L'ouvrage coup de cœur d'avril : Petit dictionnaire des Sales Boulots par Nicolas Méra

L’interminable quête d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie

Face aux lourdes fractures autour de la décolonisation, quel avenir politique pour la Nouvelle-Calédonie ?
Bulletin de vote pour le 3ème référendum d'autodétermination en Nouvelle-Calédonie le 12 décembre 2021 - Délégation à l'information et à la communication, Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer
Bulletin de vote pour le 3ème référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie le 12 décembre 2021 – Délégation à l’information et à la communication, Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer

Le mois de mai 2024 fut particulièrement sombre pour la Nouvelle-Calédonie, qui a connu un énième épisode de violence lié à son processus de décolonisation.

Ces événements tragiques soulignent une fois de plus les tensions persistantes et les divisions profondes qui marquent ce territoire d’outre-mer français. Depuis les Accords de Matignon en 1988 et l’Accord de Nouméa en 1998, la Nouvelle-Calédonie s’engage dans un chemin complexe vers une autonomie accrue, voire une indépendance totale. Cependant, malgré les efforts considérables déployés pour parvenir à une solution pacifique et consensuelle, le processus de décolonisation reste inachevé, et surtout contesté.

Face à cette situation, la question de savoir si la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie est possible devient centrale. Les discussions en cours entre le gouvernement français, les leaders indépendantistes et les loyalistes peuvent-elles vraiment aboutir à un cadre institutionnel qui pourrait permettre de surmonter ces divisions ? Un compromis politique durable est-il envisageable avec les modalités de reconnaissance et de réconciliation des différentes identités et aspirations au sein de l’archipel ?

La route vers une décolonisation effective semble pour l’instant semée d’embûches, posant alors la question de la légitimité même d’un tel processus. Pour savoir si la décolonisation est vraiment possible de nos jours en Nouvelle-Calédonie, retour sur l’histoire de la colonisation française et des revendications Kanak, qui ont pour le moins été agitées.

Évolution tumultueuse des relations entre les Kanak et la métropole (1853-1968)

Depuis la colonisation de l’archipel par la France en 1853 jusqu’au « boom du nickel » dans les années 1960, les Kanak ont été confrontés à une domination coloniale croissante qui a profondément transformé leur société et leur environnement. Cette période a été caractérisée par des conflits fonciers, des politiques d’assimilation forcée, ainsi que des résistances et des revendications identitaires kanak, préfigurant les tensions politiques majeures qui émergeront lors de la Cinquième République.

Les débuts de la colonisation et de la marginalisation des Kanak

C’est en 1853 que la Nouvelle-Calédonie, archipel du Pacifique Sud, devient une colonie française. Jusqu’ici, vivait uniquement sur l’île le peuple Kanak, dont les premiers habitants étaient arrivés 2800 ans avant en provenance des régions austronésiennes (Indonésie, Philippines…).

Une tranquillité de plusieurs millénaires qui a finalement été troublée à partir de 1864 par l’arrivée forcée de criminels et d’opposants politiques français, telle la figure majeure de la Commune de Paris Louise Michel ou encore de nombreux Kabyles qui se heurtaient à l’époque de manière véhémente à l’Algérie française. Si la Nouvelle-Calédonie était au départ vouée à n’être simplement qu’une colonie pénitentiaire pour la France, elle est toutefois rapidement devenue un territoire de peuplement, aussi bien pour des anciens bagnards que pour des colons européens libres attirés par l’espoir d’une vie meilleure sur l’île.

Cette immigration a été particulièrement encouragée par la France, qui avait alors découvert la présence en Nouvelle-Calédonie de nombreux gisements de nickel, qu’elle avait donc tout intérêt à faire exploiter pour s’assurer un avenir doré. Seulement, cette politique de peuplement s’est fait au détriment des Kanak, qui se sont retrouvés marginalisés sur leurs propres terres.

La Société Le Nickel de Nouvelle-Calédonie – Domaine public

Appelés vulgairement « indigènes », les Kanak se sont retrouvés privés de leurs terres pour être cantonnés dans des réserves où la terre était bien moins fertile et propice à l’agriculture. Ils se sont également retrouvés soumis au travail obligatoire dans des plantations agricoles ou des mines de nickel, de chrome et de cobalt, le tout bien sûr au bénéfice des colons.

Les Kanaks ont bien essayé de se révolter en 1878 contre cette expropriation des terres, mais cela s’est terminé par la mort de 600 insurgés et l’exil de 1500 Kanaks. Par la suite, il a été instauré en 1887 sur l’île, comme dans toutes les autres colonies françaises, un Code de l’indigénat, qui est venu durcir les conditions de vie des Kanaks en permettant aux colons de sanctionner d’amendes ou de peines de prison les autochtones les plus récalcitrants.

Si les Kanaks étaient alors considérés comme des sujets français, ils étaient pourtant loin de pouvoir prétendre à la citoyenneté française, et à tous ses avantages en matière de liberté d’expression ou de droit de vote. Un statut déplorable pour autant pas vraiment contesté par les Kanak, qui ne disposaient alors pas vraiment d’élite intellectuelle ou de classe ouvrière structurée pour critiquer le colon français. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils laissaient leurs supérieurs hiérarchiques prendre la parole en leur nom dans le débat public, ce qui ne reflétait évidemment pas les opinions des principaux concernés.

Réforme citoyenne et début des réflexions autour de la décolonisation

La Seconde guerre mondiale fut un véritable électrochoc pour la France en ce qui concernait son Empire colonial. La lutte contre le nazisme fut en effet l’occasion pour les dirigeants français de se rendre compte de l’absurdité de promouvoir une idéologie de supériorité raciale dans ses colonies, ainsi que des politiques de coercition, de division sociale et d’exploitation.

C’est ainsi que la Nouvelle-Calédonie est devenue en 1946 un territoire d’outre-mer, dans lequel les Kanak avaient en toute légitimité droit à la citoyenneté française. S’il on était loin de parler d’indépendance, il y avait cependant dans ce renforcement des droits une volonté de moderniser le territoire français, et de satisfaire les mouvements nationalistes qui commençaient à devenir problématiques en Asie et en Afrique du Nord.

Mais alors que la loi accordant la citoyenneté aux indigènes de l’Empire colonial français a été signée le 25 avril 1946, elle n’a été promulguée en Nouvelle-Calédonie que le 12 octobre, soit presque six mois après, puisque le gouverneur français de l’époque avait alors obtenu le droit de reporter l’inscription de la majorité des Kanak sur les listes électorales. Seuls 10% des Kanaks avaient ainsi le droit de vote, parce que le gouverneur avait estimé ne pas être en mesure de contrôler la colère des colons européens s’il venait à retirer tous leurs avantages d’un seul coup.

Une injustice fortement contestée par le Parti communiste calédonien (PCC), qui, après sa création en janvier 1946, a lutté pour que ces réformes puissent être appliquées sans discriminations sur les Kanak. Grand défenseur de la souveraineté kanak sur la Nouvelle-Calédonie, le PCC avait ainsi de lourds ressentiments contre les colons européens présents sur l’île, qui ralentissaient le processus d’intégration de la population à la République.

Le PCC a toutefois décliné de manière extrêmement rapide, la faute à une contre-mobilisation anticommuniste massive de la part des missionnaires, qui ont créé vers août 1946 l’Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l’ordre (UICALO) pour les catholiques, et l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF) pour les protestants. Si les revendications pour la Nouvelle-Calédonie étaient globalement similaires au PCC, ces mouvements n’appelaient toutefois pas par le biais de la décolonisation à la révolution internationale chère aux communistes. Un prisme moins radical, moins dangereux, mais pas moins effiacace.

Dès juillet 1951, 60% de la population Kanak finit par obtenir le droit de vote, puis 100% en 1956. Entre temps, l’UICALO et l’AICLF se sont battus pour un collège électoral unique en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’un partage équitable des postes à responsabilité entre les Européens et les Kanak sur l’île, qui étaient alors aussi nombreux l’un que l’autre par le nombre.

L’idée principale derrière ce projet était ainsi de mettre en pratique les nouveaux droits politiques des Kanak, mais également de créer une alliance électorale durable entre les clans Kanak et européen pour une meilleure représentation à l’échelle nationale de la Nouvelle-Calédonie. L’UICALO et l’AICLF ont finalement eu gain de cause en 1952, la métropole s’étant rendue compte qu’il était plus simple de contrôler les Kanak en les intégrant politiquement davantage.

Alors que des rapprochements concluants avaient déjà été effectués, l’UICALO et l’AICLF finissent par fusionner en 1953 pour donner l’Union calédonienne (UC). Le succès de ce nouveau parti politique a été fulgurant, en témoigne le fait qu’il ait remporté toutes les élections législatives et territoriales jusque dans les années 1970. Il faut dire qu’en intégrant dans son programme la libération du peuple calédonien, aussi bien d’un point de vue économique que géographique, l’UC avait alors de quoi fédérer aussi bien les Européens que les Kanak.

Plus radical dans ses positions que ne pouvait alors l’être l’UICALO et l’AICLF séparément, l’UC a commencé à sérieusement inquiéter l’État français à partir des débuts de la Cinquième République. Si la Quatrième République a eu tendance à encourager la décentralisation de l’Outre-mer, Charles de Gaulle a quant à lui décidé de davantage centraliser le pouvoir, et de mettre un frein à l’autonomisation de la Nouvelle-Calédonie.

Si la difficulté de gérer les mouvements de décolonisation dans les autres colonies françaises peut expliquer cette volonté de renforcer le contrôle sur l’île, cela n’a évidemment pas convaincu l’UC, qui a ainsi conservé une certaine rancœur contre la métropole et ses démonstrations de pouvoir.

L’inévitabilité d’un processus d’indépendance en Nouvelle-Calédonie (1968-2018)

De 1968 à 2018, l’évolution des relations entre les Kanak et la métropole française a été façonnée par des mouvements nationalistes et des accords politiques cruciaux. Cette chronologie révèle non seulement les aspirations profondes des populations autochtones à l’autodétermination, mais aussi les défis persistants liés à la réconciliation des diverses communautés de l’archipel.

« Boom du nickel » en Nouvelle-Calédonie : expansion économique et tensions politiques

De 1968 à 1972 s’est tenu en Nouvelle-Calédonie le « boom du nickel ». Concrètement, la demande mondiale pour cet élément chimique a explosé à cette période, permettant alors à l’archipel de connaître une forte expansion économique grâce à l’abondance du nickel dans ses sous-sols. Le mouvement était tel que le nickel représentait en 1970 pas moins de 30% du PIB de la Nouvelle-Calédonie.

Mais face à ce développement économique rapide, la Grande-Terre s’est retrouvée en manque de main d’oeuvre pour son industrie minière. C’est ainsi que plus de 15 000 Français sont venus s’installer en Nouvelle-Calédonie pour pouvoir travailler dans les mines, mais aussi dans les secteurs de la construction, des services ou encore des infrastructures.

Seulement, les Kanak se sont retrouvés complètement déboussolés par cet afflux de travailleurs. En effet, cette forte immigration a entraîné une expansion rapide des villes de l’archipel afin de pouvoir accueillir en masse de nouveaux habitants. Une urbanisation brutale qui tranchait alors clairement avec la ruralité calédonienne dominante à l’époque.

Aussi, l’arrivée de dizaines de milliers de métropolitains est venue complètement rabattre l’équilibre démographique de l’île, en venant rendre les Kanak minoritaires par le nombre sur leurs propres terres. Un déséquilibre démographique qui n’était pas pour déplaire au Premier ministre Pierre Messmer, puisqu’il avait affirmé en 1972 encourager “l’immigration massive de citoyens français métropolitains” pour affaiblir “la revendication nationaliste autochtone”.

Si les Européens et les Kanak avaient finalement réussi à trouver une harmonie politique basée sur une certaine opposition à la métropole, l’immigration massive liée au « boom du nickel » a clairement rabattu toutes les cartes. Rappelés au mauvais souvenir de la colonisation, les Kanak, et plus précisément leurs leaders indépendantistes, ont accusé leurs alliés européens d’être responsables de cette immigration via une alliance avec l’État afin de retrouver leur domination coloniale passée. La goutte de trop pour une partie de la population kanak, qui a ainsi commencé à formuler clairement des demandes d’indépendance.

Une revendication qui a progressivement pris de plus en plus de place dans le discours de l’UC, et avec laquelle les Européens n’étaient pas franchement en accord. C’est ainsi que ces derniers ont en fin de compte quitté le parti en 1977, faisant alors de l’UC un véritable parti kanak animé par l’indépendance.

La création en 1984 du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste (FLNKS) a ensuite permis de mieux structurer ces aspirations indépendantistes, mais également de radicaliser plus qu’il ne l’était déjà le discours afin de sa faire entendre de la métropole. Les violences politiques et les affrontements entre indépendantistes majoritairement kanak et loyalistes majoritairement d’origine européenne se sont derrière multipliées, embrasant alors une Nouvelle-Calédonie scindée en deux.

Attaques armées, affrontements meurtriers et grèves ont ainsi pullulé dans un relatif silence métropolitain, jusqu’à la prise d’otages d’Ouvéa en 1988 par des militants du FLNKS. En effet, 19 militants kanak et deux gendarmes ont perdu la vie à cette occasion, faisant alors prendre conscience à la France que ce conflit ne pouvait déboucher que sur une guerre civile sanglante.

Accords de Matignon et de Nouméa : vers une Nouvelle-Calédonie apaisée et autonome ?

Pour calmer les fortes tensions entre les indépendantistes et les loyalistes, le gouvernement a décidé d’agir, et de faire conclure en 1988 les accords de Matignon.

Concrètement, les accords ont divisé la Nouvelle-Calédonie en trois provinces : Sud, Nord et îles Loyauté. L’objectif était ainsi de mieux représenter les populations locales, en conférant à chaque province une certaine autonomie administrative et financière, avec en prime des compétences locales pour gérer les affaires régionales. Par cela, les différentes communautés disposaient donc d’une partie du pouvoir, et d’une légitimité plus claire pour faire entendre leurs revendications.

Carte des provinces et des communes de Nouvelle-Calédonie – Dvtrano [pseudo Wikipedia ] | Creative Commons BY-SA 4.0

Aussi, les accords de Matignon prévoyaient un grand plan de développement économique et social pour améliorer les infrastructures, l’éducation, la santé et les services publics, notamment dans les régions du nord à majorité kanak. Des investissements significatifs ont d’ailleurs été promis pour stimuler l’économie de l’archipel, et réduire des inégalités flagrantes entre Européens et Kanak.

À cela s’ajoute une politique de redistribution des terres historiquement spoliées par la colonisation, ainsi que l’annonce de la tenue d’un référendum d’autodétermination pour l’année 1998. En attendant de laisser les habitants se prononcer sur leur avenir politique, la Nouvelle-Calédonie est placée sous statut transitoire, dans le but avant tout de permettre au territoire de retrouver sa stabilité économique et politique.

Mais si les accords de Matignon ont contribué à réduire les violences et à instaurer une relative stabilité en Nouvelle-Calédonie, il n’empêche que les tensions et les divisions subsistaient toujours en 1998 entre indépendantistes et loyalistes. Combiné aux frustrations liées aux inégalités économiques et sociales toujours bien présentes sur l’île, il était alors clair pour le gouvernement qu’organiser un référendum dans ce climat délétère risquait fortement de raviver un conflit qui avait déjà été suffisamment compliqué à pacifier.

C’est la raison pour laquelle le référendum d’autodétermination prévu en 1998 a été transformé et intégré dans un processus plus long et structuré, défini par les accords de Nouméa du 5 mai 1998.

D’abord, ces accords ont prévu de renforcer progressivement l’autonomie de l’archipel, en le dotant de nouvelles institutions de gouvernance. Ont ainsi été créés par la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie du 19 mars 1999 un véritable organe exécutif, avec gouvernement et président, ainsi qu’un organe législatif, composé d’un Congrès néo-calédonien ainsi que d’un Sénat coutumier.

Cette autonomie renforcée est passée également par le transfert progressif sur 20 ans de compétences vers la Nouvelle-Calédonie, sauf en ce qui concerne le domaine régalien (affaires étrangères, défense, justice, monnaie, sécurité), toujours réservé à l’État français.

Par ailleurs, les accords de Nouméa ont aussi insisté sur la nécessité de recréer un lien social solide entre Kanak et Européens, et entre indépendantistes et loyalistes via la construction d’un « destin commun ». Cette notion assez vague a été basée sur un concept bien plus concret : la reconnaissance d’une citoyenneté néo-calédonienne.

Entérinée le 19 mars 1999, cette citoyenneté permet ainsi à tous les personnes ayant vécu en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998, ainsi qu’à leurs enfants, de pouvoir automatiquement participer aux élections provinciales et aux référendums du pays. Un moyen de protéger la représentation électorale de Kanak minoritaires (41%) d’éventuels colons qui arriveraient à nouveau sur l’île.

Enfin, les accords de Nouméa ont repoussé la question de l’autodétermination à 2018. Mais plutôt que de prévoir un référendum précipité en 1998, il a été décidé de faire se tenir plusieurs consultations sur l’indépendance, échelonnées sur une période de 20 ans, afin de permettre une prise de décision plus informée et démocratique.

Le scrutin d’autodétermination a donc été décalé en 2018, avec possibilité de faire se tenir deux autres référendums dans les deux et quatre ans après le premier en cas d’échecs du « oui ». Par cela, le gouvernement de Jacques Chirac a entériné le fait de ne pas toucher au statut de l’archipel avant la fin des référendums, ce qui était censé calmer définitivement toutes les tensions.

La Nouvelle-Calédonie face à l’impasse politique (2018-)

La Nouvelle-Calédonie se trouve actuellement dans une impasse politique complexe depuis 2018, marquée par une série de référendums sur l’indépendance et des tensions croissantes entre les partisans de l’autodétermination et ceux favorables au maintien de liens avec la France. Cette période post-référendum a révélé des divisions profondes au sein de la société calédonienne, exacerbées par des débats sans fin sur l’avenir politique de l’archipel et des controverses autour de réformes électorales.

Les référendums, parcours semés d’embûches vers l’autodétermination

Après 20 ans d’attente, s’est tenu le 4 novembre 2018 le premier référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. La question posée est alors limpide : Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?

À cette interrogation, c’est le « non » qui l’emporta, avec 56,7% des voix pour une participation s’élevant à 81%. Ce premier rejet de l’indépendance est marqué par une division claire entre le Nord et le Sud de l’archipel, puisque les Kanak localisés au nord ont majoritairement voté « pour » et les loyalistes au sud « contre ».

Comme le prévoyait la loi de mars 1999, un second référendum s’est tenu sur l’île le 4 octobre 2020, avec à l’ordre du jour exactement la même question qu’en 2018. La participation est plus massive encore qu’au premier scrutin (95%), et voit une nouvelle fois le « non » s’imposer, mais seulement à 53,3%. Un recul qui peut s’expliquer par une meilleure mobilisation des indépendantistes, une persistance des inégalités socio-économiques sur l’île ou encore l’influence de jeunes électeurs n’ayant pu voter en 2018.

Résultats de la consultation du 4 octobre 2020 en Nouvelle-Caledonie (pourcentage de « Oui » à l’indépendance) – Aréat [pseudo Wikipedia] | Creative Commons BY-SA 4.0

En raison de ces résultats de plus en plus serrés, le troisième et dernier référendum était particulièrement attendu. Seulement, la date fixée pour ce scrutin aux lourds enjeux a fait polémique chez les indépendantistes. En effet, en refusant de décaler le référendum prévu pour le 12 décembre 2021, l’État français a délibérément choisi de faire se tenir campagne électorale et vote en plein confinement de la population néo-calédonienne.

Si la métropole n’était pas confinée à cette date, ce n’était pas le cas de l’archipel, qui avait entamé un troisième confinement le 7 septembre 2021. Difficile alors pour les indépendantistes minoritaires de pouvoir faire campagne pour renverser le scrutin, surtout que la communauté kanak était dans le même temps en train de porter le deuil traditionnel de leurs morts.

Un contexte particulier n’ayant pas choqué la métropole, qui avait quant à elle surtout envie que la question de l’indépendance soit bouclée avant l’organisation des présidentielles d’avril 2022. Face à ces conditions jugées injustes et inappropriées au vu du contexte, les indépendantistes ont donc fait appel au boycott de ce référendum, et ont annoncé refuser de reconnaître les résultats.

C’est ainsi que le « non » l’a remporté de manière écrasante le 12 décembre 2021, avec 96,5% des suffrages, mais seulement 44% de participation. Le gouvernement métropolitain a ainsi acté la fin de la question de l’indépendance, et dans le même temps, la fin d’un long processus de décolonisation. Pas les indépendantistes, et c’est là tout le problème.

Révolte de la Nouvelle-Calédonie face à une réforme électorale controversée

En estimant que le référendum de 2021 mettait fin aux questions d’indépendance et de décolonisation, le gouvernement métropolitain a donc estimé avoir le droit de toucher à nouveau au statut de l’archipel.

C’est ainsi qu’une réforme constitutionnelle a été votée le 15 mai 2024 par l’Assemblée nationale afin de dégeler le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, et ainsi ouvrir le droit de vote aux natifs et à ceux résidant sur l’île depuis au moins dix ans.

Alors que 7,5% seulement de la population néo-calédonienne était exclue du processus électoral néo-calédonien en 1999, c’est aujourd’hui 20% de la Nouvelle-Calédonie qui se retrouve privée de la citoyenneté et de tous ses avantages, d’où la nécessité pour Emmanuel Macron de venir toucher aux accords de Nouméa. Son objectif est clair : augmenter de 14,5% le corps électoral de l’archipel, en rajoutant 12 441 natifs et 13 400 citoyens français présents depuis dix ans.

Seulement, ce projet suscite une colère noire de la part des indépendantistes. Ces derniers ont d’abord peur que cela affaiblisse politiquement encore plus les Kanak, qui risqueraient en cas de dégel du corps électoral de perdre le contrôle de plusieurs provinces du Nord, et de ne plus être représentés du tout dans le Sud. De par ce risque d’affaiblissement politique s’ajoute aussi un risque d’affaiblissement économique et éducationnel pour les Kanak, qui ont déjà du mal à faire remonter leur manque de représentation dans le monde du travail (27% de chômage) et dans l’enseignement supérieur (8% de titulaires d’un bac +2).

De manière plus globale, les indépendantistes estiment surtout que le processus de décolonisation n’est pas fini, puisqu’ils ne reconnaissent pas la légitimité du troisième scrutin. Accepter un dégel du corps électoral n’est donc pas acceptable pour eux d’un point de vue légal, mais également d’un point de vue idéologique, car cela reviendrait à accepter une nouvelle colonisation en Nouvelle-Calédonie. Une chose qui n’est bien évidemment pas envisageable pour les Kanak, car cela renierait l’essence même de leur combat depuis plus de 40 ans.

L’ironie grotesque de la situation a logiquement conduit les indépendantistes à descendre dans les rues pour protester contre cette réforme jugée injuste. Seulement, ces revendications ont vite tourné aux émeutes, et ce sont neuf personnes qui ont trouvé la mort depuis le 13 mai à cause d’un déferlement de violence.

En conséquence, le gouvernement français a déclenché l’état d’urgence pour 12 jours sur l’archipel, envoyé des gendarmes et des policiers pour réprimer les manifestations et enfin interdit temporairement TikTok. Si la situation est devenue plus calme depuis juin, il n’empêche que France et Nouvelle-Calédonie restent toujours dans une impasse politique, et ce d’autant plus avec l’annonce par Emmanuel Macron de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024.

Imaginer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie : quels scénarios ?

Face à l’histoire et au présent, comment imaginer l’avenir pour la Nouvelle-Calédonie ?

D’un point de vue juridique, dégeler le corps électoral peut paraître nécessaire, ne serait-ce que pour ne pas mettre en péril la tenue même des futures élections. Seulement, la réforme proposée par Emmanuel Macron est vue comme une injustice par les Kanak, qui voient dans ce projet une profonde méconnaissance de la Nouvelle-Calédonie, et du quotidien de ses habitants par rapport à celui de la métropole.

Engager une réforme en métropole sans avoir obtenu un quelconque accord local au préalable apparaissait en effet très osé, et les émeutes de mai 2024 l’ont prouvé. Le manque de dialogue entre le gouvernement et les indépendantistes a ici été flagrant, et le passage en force démocratique que représente la réforme a vite été sanctionné par la population locale.

En utilisant la démocratie pour écraser les revendications anticolonialistes, le gouvernement d’Emmanuel Macron a pris le risque de détruire plus de 40 ans d’efforts, et la légitimité même des accords de Matignon et de Nouméa. À considérer l’échec du troisième référendum comme le signe de la fin de la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, le président a non seulement ignoré les aspirations profondes des populations autochtones kanakes, mais aussi miné la confiance dans un processus démocratique qui était censé réconcilier les différentes communautés du territoire.

Incontestablement, un choix politique doit être fait au plus vite concernant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, afin de mettre fin à un colonialisme de confort s’appuyant sur un déni des problèmes locaux. Le « statut particulier » dont jouit la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui doit disparaître au profit d’un projet plus stable.

Trois possibilités sont envisageables :

  • Faire de la Nouvelle-Calédonie une simple collectivité d’outre-mer

Aujourd’hui considérée comme une collectivité d’outre-mer à statut particulier, la Nouvelle-Calédonie pourrait simplement devenir une collectivité d’outre-mer classique, comme la Polynésie française ou Wallis-et-Futuna. Seulement, cela impliquerait de réduire l’autonomie à laquelle l’archipel tient tant, ainsi qu’à modifier sa structure politique pour la centraliser davantage. Par ailleurs, cela reviendrait aussi à aligner la Nouvelle-Calédonie de manière plus étroite avec les autres collectivités d’outre-mer, ce qui ne semble pas très pertinent au vu des différentes réalités vécues par les populations.

  • Faire de la Nouvelle-Calédonie un département ou une région d’outre-mer

Si la métropole veut avoir la main plus ferme sur la Nouvelle-Calédonie, elle a tout intérêt à intégrer pleinement l’archipel dans la République française, au lieu de de le laisser lui et sa population dans l’indécision, et dans l’espoir d’une indépendance. Le passage au droit commun via une départementalisation pourrait en ce sens résoudre tous les problèmes, car cela agirait en faveur de l’égalité, et viendrait sur le papier mettre fin à la colonisation en faisant bénéficier aux habitants des mêmes droits et protections que tout autre département.

Toutefois, la pleine intégration dans la République entraînerait pour la Nouvelle-Calédonie une réduction des pouvoirs locaux, ainsi surtout que la fin du rêve indépendantiste, ce qui là encore risque de ne pas faire l’unanimité.

  • Faire de la Nouvelle-Calédonie un territoire indépendant

En examinant les différentes possibilités, on se rend rapidement compte qu’une décolonisation totale ne peut passer que par l’indépendance totale. Une décolonisation ne peut en effet être complète d’un point de vue local que si la souveraineté complète est acquise, de même qu’une autodétermination respectant les spécificités culturelles, politiques et historiques de la Nouvelle-Calédonie.

Au vu des avancées politiques de ces dernières décennies, faire de la Nouvelle-Calédonie une simple collectivité d’outre-mer ou un département français reviendrait à une régression politique, et à la continuation d’une domination française déjà particulièrement contestée. Devenus minoritaires à cause de l’exploitation française, les Kanak semblent être en droit de retrouver ce qu’ils ont perdu depuis trop longtemps, à savoir la liberté sur leur territoire.

C’est la raison pour laquelle refaire se tenir le référendum de 2021 pourrait être un bon début, afin déjà de savoir si la remontée du « oui » en faveur de l’indépendance se confirme ou non. Si le « non » l’emporte à nouveau largement, il sera peut-être temps pour la France d’envisager de donner l’indépendance à la partie nord de la Nouvelle-Calédonie, majoritairement kanak, afin ensuite de dégeler le corps électoral sur la partie sud, et d’avancer en faveur d’une meilleure intégration de celle-ci à la République.

Quelques liens et sources utiles :

Michel Levallois, De la Nouvelle-Calédonie à Kanaky : Au coeur d’une décolonisation inachevée, Vents d’ailleurs, 2018

Joseph Confavreux, Périodique Mediapart, Une décolonisation au présent: Kanaky-Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir, La Découverte, 2020

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