À l’extrême nord-ouest de la presqu’île du Cotentin, dans le département de la Manche, surgit le Cap de la Hague. Située à environ 25 kilomètres de Cherbourg, cette péninsule granitique située au bout du monde est à la fois un sanctuaire naturel, un bastion de mémoire ainsi qu’un foyer de récits transmis depuis des siècles. Zoom sur ce territoire d’exception.
Un territoire façonné par les éléments
Le sol de la Hague est composé principalement de granite porphyroïde à deux micas, qui date de plus de 600 millions d’années. Visible à Auderville, à Jobourg ou bien encore dans la vallée de Cul-Rond, cette formation géologique est ainsi la source de paysages tout aussi extraordinaires les uns que les autres.
Mais le plus célèbre d’entre eux est sans aucun doute le Nez de Jobourg. Avec ses falaises culminant à 128 mètres de haut, il détient le second record de France en matière de hauteur derrière les falaises d’Étretat. D’un point de vue visuel, ces murailles de granite et de gneiss offrent un spectacle saisissant, surtout qu’elles se superposent aux criques aux eaux transes d’Ecalgrain.

Le Cap de la Hague se distingue également par son climat océanique rude, influencé par le Gulf Stream. Concrètement, cela se manifeste par des hivers doux mais ventés, des précipitations fréquentes et des embruns salés. Côté biodiversité, cela encourage le développement d’une végétation rase ainsi que de haies denses qu’on appelle barrières de talus.
Enfin, il est impossible de parler du Cap de la Hague sans mentionner le Raz Blanchard, qui n’est ni plus ni moins que l’un des courants les plus puissants d’Europe. Détroit séparant la Hague de l’île anglo-normande d’Aurigny, distante de 13 km, le Raz Blanchard produit des courants de marée qui peuvent atteindre 12 nœuds (= 22 km/h) lors des grandes marées d’équinoxe. Disposant du troisième courant de renverse le plus fort au monde, le Cap de la Hague est donc un cauchemar pour les navigateurs, mais un rêve pour les fournisseurs d’énergie marine renouvelable, qui mènent actuellement en son sein des projets de développement d’hydroliennes.
L’héritage légendaire de la Hague
Ce qui fait la beauté du cap de la Hague est aussi son imaginaire riche, qui a nourri un grand nombre de contes et de légendes locales.
Parmi elles, l’existence des Goublins. Lutins bienveillants mais facétieux censés garder les trésors oubliés depuis plus de cent ans, ils restent encore de nos jours très présents dans la culture locale. Le Varou, qui est une version normande du loup-garou, a aussi une influence non négociable. Désignant un individu ayant commis un crime impuni, et qui doit chaque année revêtir une peau de bête pour parcourir la lande en se faisant frapper par un démon, il continue de hanter les mémoires normandes.
Mais au-delà des contes, l’héritage de la Hague est aussi celui de la contrebande. Du fait de sa proximité avec les îles anglo-normandes, le Cap a en effet été, du XVIe au XIXe siècle, un lieu par lequel les tissus et le tabac transitaient clandestinement. Une activité illicite qui a laissé des traces, puisque plusieurs maisons haguaises de toutes les tailles étaient initialement des caches à tabac qui servaient aux contrebandiers.
D’un point de vue plus poétique, le Cap de la Hague est connu pour avoir inspiré dans les dernières années de sa vie le poète Jacques Prévert. Tombé amoureux de la région, ce dernier avait notamment acheté en 1970 une maison à Omonville-la-Petite, où il a vécu jusqu’à sa mort en 1977. De sa présence dans cette petite commune d’une centaine d’habitants subsiste encore sa maison, transformée en musée, ainsi que sa tombe dans le cimetière.

Un patrimoine vivant à préserver
Le Cap de la Hague est aujourd’hui parcouru par le GR 223, surnommé “le sentier des douaniers” en raison de son ancienne fonction lorsque la contrebande faisait rage. Chemin de randonnée de 446 kilomètres, il permet de découvrir en profondeur la diversité des paysages haguais, de ses falaises ciselées à ses landes multicolores en passant par ses plages et ses criques.
Du fait de l’exceptionnelle valeur de son territoire, la commune de La Hague est en train de se battre pour obtenir les labels “Grand Site de France” et “Géoparc mondial de l’UNESCO”. L’idée est ainsi de valoriser le patrimoine local via la préservation des paysages et la gestion de la fréquentation touristique (+25 % entre 2019 et 2022). Mais à côté de ces paysages se trouve aussi un voisinage déroutant : celui de l’usine d’Orano la Hague, qui est un camp de retraitement du combustible nucléaire.
La Hague doit donc aujourd’hui faire attention à concilier la préservation de la biodiversité et la présence industrielle lourde. De manière plus globale, elle doit aussi prendre en compte les enjeux de montée des eaux et d’expansion touristique pour que le Cap puisse rester pour l’éternité un lieu où la Terre finit et où les légendes commencent.
Quelques liens et sources utiles :
Jean-Louis Guéry, Eric Guilemot, Du Cap de La Hague au Cap Fréhel, Gallimard Loisirs, 2006