L’ouverture officielle de la route maritime du Nord (RMN) le 6 octobre 2023 voit un accroissement significatif du transit maritime le long des côtes arctiques russes, un transit principalement chinois. Ces derniers investissent cette route économiquement depuis plusieurs années dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », permettant le développement de cette voie.
Sur le papier performante, que vaut aujourd’hui concrètement cette voie maritime, et son développement peut-il se poursuivre ?
Une ouverture prometteuse sur le papier
En 2023, la route maritime du Nord a connu un record de transit de cargaisons, avec plus de 1,5 million de tonnes de pétrole brut expédiées depuis la mer Baltique vers la Chine via l’Arctique. Cela a représenté un total de 2,1 millions de tonnes de marchandises en transit, dépassant le précédent record de 2021.
La coopération accrue entre la Russie et la Chine dans la région arctique s’est reflétée dans cette augmentation, avec plus de 95 % des cargaisons en transit liées à la Chine. Les cargaisons comprenaient principalement du pétrole brut, du minerai de fer, du charbon et du GNL, suite à l‘interdiction par l’UE d’importer du pétrole russe.
Malgré une majorité de navires pétroliers sans protection contre la glace, ces voyages étaient concentrés entre juin et novembre, avec une forte présence en septembre.
Les experts prévoient une augmentation du trafic pour 2024, pouvant atteindre entre 4 et 7 millions de tonnes, principalement en raison d’une possible augmentation des expéditions de pétrole brut et d’autres ressources. Cependant, la pénurie persistante de navires équipés pour naviguer dans les glaces pourrait limiter cette croissance.
De plus, une seule cargaison de GNL a été expédiée de Finlande en Chine, tandis que les exportations de GNL vers l’Europe et l’Asie ont continué. Novatek a expédié 234 cargaisons vers l’Europe et l’Asie jusqu’au 15 novembre.
La viabilité de la route maritime du Nord à nuancer
La route maritime du Nord, conçue pour concurrencer les canaux de Suez et de Panama, attirait encore jusqu’à aujourd’hui peu de trafic. En 2021, elle n’a accueilli qu’environ 3200 voyages, loin des 13 342 transits par le canal de Panama et 20 694 par le canal de Suez la même année.
Les entreprises hésitent à utiliser ces routes en raison de multiples contraintes : incertitudes météorologiques, coûts d’assurance et de matériel adapté, disponibilité limitée pendant six mois, entre autres. De plus, le manque d’infrastructures maritimes complique le transit rentable des cargaisons. Outre une préparation rigoureuse, elle nécessite l’obligation d’un brise-glace russe en tête du convoi et des règles strictes pour les navires souhaitant l’emprunter.
Ces problèmes pourraient diminuer avec le réchauffement climatique et les politiques de mise en valeur des routes polaires. Ces voies sont essentielles pour exporter les ressources de la région, mais principalement pour des destinations définies, pas pour un transit continu. Avec l’ouverture de la route maritime du Nord, Moscou entend changer cela pour la rendre concurrentielle et alternative.
Le ministre Chekounkov a réaffirmé en septembre 2022 que « la bascule [de la Russie] vers l’Asie se fera par l’Arctique ». Reprenant les chiffres apportés par l’État, il affirme que 100 millions de tonnes de marchandises seront transportées par la RMN d’ici à 2025. Selon les plans du Kremlin, cette voie maritime devrait générer plus de 220 milliards d’euros de taxes au budget, soit l’un des projets les plus rentables de l’histoire du pays.
La Chine et la route maritime du Nord
La Chine s’engage dans le développement de la route maritime du Nord dans le cadre de sa stratégie des « nouvelles routes de la soie ». Ce projet ambitieux inclut la « route de la soie polaire », visant à faciliter le commerce entre la Chine et l’Europe via l’Arctique. Étant donné que la Chine réalise 90 % de son commerce par voie maritime, la route maritime du Nord offrirait un accès direct aux ressources russes et européennes à moindre coût.
Cette route représenterait une alternative aux détroits de Malacca et d’Ormouz, considérée comme plus sûre en termes de sécurité maritime (pas de piraterie notamment). La Russie reçoit des capitaux chinois pour développer les infrastructures nécessaires à la route maritime du Nord, notamment au niveau extractif afin de préparer les terminaux pétrolier et gaziers à l’exportation vers l’Asie.
Cependant, malgré ces ambitions, les investissements chinois dans les routes polaires semblent stagnants voire en baisse depuis 2021. Les investissements ont toujours été modestes, indiquant que les routes maritimes déjà établies sont encore dominantes et que les investissements polaires servent principalement des objectifs identitaires pour la Chine.
L’implication des flottes maritimes chinoises depuis l’ouverture de la route maritime du Nord reste tout de même à surveiller, afin de voir si la tendance se pérennise. Dans tous les cas, il n’a pas fallu longtemps à la Chine pour se faire remarquer sur cette route après l’incident sur le gazoduc Balticconnector reliant la Finlande à l’Estonie.
Des câbles sous-marins ont été endommagés début octobre 2023, et une ancre soupçonnée d’appartenir au cargo Newnew Polar Bear a été retrouvée près du gazoduc, corroborant les soupçons des autorités concernées. Incriminé par la Finlande suite à l’enquête, ce bâtiment est le tout premier navire à relier la Chine à la Russie via la route maritime du Nord… Une voie maritime encore sujette à de nombreuses interrogations, mais qui ne va pas manquer de faire parler d’elle à l’avenir.
Quelques liens et sources utiles
Baudu, Hervé, Les routes maritimes arctiques, L’Harmattan, 2023.
Lasserre, Frédéric, Les nouvelles routes de la soie : Géopolitique d’un grand projet chinois, PUQ, 2020.
Urvoy, Théo, L’Arctique, un espace convoité en proie à une sécurisation et à une militarisation croissantes, UCO Angers, 2023.