La Moldavie et la Transnistrie : prochains fronts de la guerre en Ukraine ?

Depuis quelques mois, le conflit en Ukraine s'enlise et l'issue de la guerre semble incertaine. Cependant, la Transnistrie devient un enjeu majeur et peut raviver les tensions.
Ursula Van der Leyen (présidente de la Commission Européenne) et Maia Sandu (présidente de la République de Moldavie), le 10 octobre 2024 - Dati Bendo | Creative Commons Attribution 4.0
Ursula Van der Leyen (présidente de la Commission Européenne) et Maia Sandu (présidente de la République de Moldavie), le 10 octobre 2024 – Dati Bendo | Creative Commons Attribution 4.0

Sommaire

Le déclenchement de la guerre en Ukraine par Vladimir Poutine en février 2022, a mis la lumière sur la Transnistrie, un territoire séparatiste prorusse proche de la mer Noire.

Pour Moscou, la protection des russophones ukrainiens constituait un prétexte d’intervention. Pour sortir de l’enlisement actuel du conflit, cet argument pourrait être réutilisé. Dans ce cas, la Moldavie et la Transnistrie deviendraient des zones de tensions majeures.

La Moldavie : Entre influence russe et rapprochement avec l’UE

La Moldavie est un pays d’Europe centrale de 33851 km², avec une population de 2,6 millions d’habitants enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine. Le pays se situe culturellement plus proche de la Roumanie, avec qui elle partage la même langue et la même religion.

Depuis la chute de l’URSS, le pays est tiraillé entre un rapprochement de l’UE et l’influence russe, et cette question se pose de nouveau avec le déclenchement du conflit ukrainien, auquel la Moldavie est affectée.

La Moldavie devient en effet un refuge humanitaire, éprouve des difficultés économique, la question transnistrienne prend plus d’ampleur sur le plan stratégique, et diplomatiquement des liens avec l’UE doivent se tisser rapidement.

L’opinion publique moldave prend une orientation pro-européenne de plus en plus prononcée depuis le début de la guerre en Ukraine, accélérant le processus d’adhésion du pays dans l’Union Européenne.

Cependant, les gouvernements prorusses et pro-occidentaux se succèdent, sans donner de ligne directrice claire au pays, et les estimations démontrent qu’entre 200 000 et 600 000 moldaves travaillent en Russie. Ces expatriés seraient alors naturellement contre le rapprochement diplomatique du pays avec l’UE.

En 2007, une enquête d’opinion démontrait que 75% de la population était favorable à un rapprochement avec l’Ouest, tandis que ce chiffre est descendu à 45%, dix ans plus tard, signe que de forts liens russes existent dans la population, et qu’il n’est pas si facile de s’en défaire.

Néanmoins, ces chiffres ne font pas reculer le gouvernement moldave actuel. En 2016, les exportations moldaves vers l’UE ont rapporté 1,3 milliards d’euros, pour seulement 200 millions vers la Russie, prouvant que l’Union Européenne est devenue un partenaire majeur pour la Moldavie.

Maia Sandu lors de la conférence annuelle sur le budget de l'UE - Belgium24.eu | Creative Commons Attribution 2.0
Maia Sandu lors de la conférence annuelle sur le budget de l’UE – Belgium24.eu | Creative Commons Attribution 2.0

Maia Sandu a été élue présidente de la Moldavie en novembre 2020, avec 57% des voix, et avec le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, l’activité diplomatique du pays s’est fortement renforcée.

Le 3 mars 2022, le gouvernement a tenté une procédure d’adhésion à l’UE. Si cette décision ravie de nombreux moldaves, le territoire de Transnistrie y est fortement opposé.

Le pays est reconnu comme candidat à l’Union Européenne, mais la procédure peut s’avérer longue, comme en témoigne les pays des Balkans. Avant cela, le pays doit lutter contre la corruption et régler la question transnistrienne.

Le pays est également en proie à de nombreuses manifestations, menées par des partisans prorusses contre le gouvernement actuel pro-européen, déstabilisant la société civile et l’opinion publique.

La Transnistrie : Une région sous l’influence russe

La Transnistrie est une région accolée à l’Ukraine, séparée de la Moldavie par le Dniestr et peuplée d’un demi million d’habitants,

La région autonome dispose de son propre Parlement, sa propre armée, sa propre monnaie, un système éducatif ou encore de son drapeau, sa capitale Tiraspol, et son hymne.

La Transnistrie et l'Europe - TUBS | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0
La Transnistrie et l’Europe – TUBS | Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0

Elle représente 40% du PIB de la Moldavie, bien que l’économie illégale représente 60% du PIB de la région. Elle abrite également le barrage hydro-électrique du pays, la principale centrale thermique, ainsi que la plus grande usine textile d’Europe. C’est donc une région stratégique pour la Russie au vue des ressources qu’elle dispose, et au vue de la population largement prorusse.

L’entité se proclame autonome en septembre 1990, avant la Moldavie, avec le rattachement à l’URSS comme objectif principal. Un accord passé entre la Moldavie et la Russie donne le droit à la Transnistrie de faire sécession si la Moldavie se rapprochait de la Roumanie.

Du point de vue économique, la Transnistrie possède des relations privilégiées avec les services de sécurité russes et possède des liens divers avec l’Ukraine. L’industrie transnistrienne s’appuie sur des prix du gaz avantageux, et adresse sa facture à la Moldavie.

Parallèlement à cela, la région séparatiste nourrit les circuits de corruption et de contrebande, développant une économie souterraine, freinant le développement du pays. La contrebande concerne les trafics d’armes, mais également la réexportation vers la Moldavie de produits importés d’Ukraine avec de faibles tarifs douaniers : comme des cigarettes, des produits pharmaceutiques ou encore de l’alcool.

La région est en proie à un faible tourisme, la population est surveillée et les industries se dégradent. Le seul recours devient alors la Russie qui envoie des aides économiques et matérielles.

Au delà du soutien économique, la Russie possède un soutien populaire en Transnistrie, comme en témoigne le référendum de septembre 2006 :

Les électeurs devaient se prononcer sur deux questions : « Soutenez-vous le processus d’indépendance de la République de Transnistrie et son rattachement libre à la Fédération de Russie ?», « Estimez-vous possible de renoncer à l’indépendance et d’entrer dans la République de Moldavie ?»

On dénombra alors 97,1% de oui à la première question, et 94,6% de non à la deuxième question, le tout pour 70% de participation.

Toutefois, ce scrutin, comme tous les autres en Transnistrie, ne fut considéré ni juste, ni libre. Le manque de médias indépendants, de société civile, ni d’outils démocratiques remettent en cause la sincérité du scrutin. Aucun États, ni organisations internationales, ni la Russie n’y ont reconnu sa véracité.

La région reste soutenue par la Russie et est profondément russophile, représentant un intérêt stratégique pour le Kremlin.

Le prochain front de la guerre en Ukraine ?

La Moldavie est actuellement en proie à des manifestations contre le régime pro-européen en place et tente d’intégrer l’UE. Les relations avec Vladimir Poutine se sont dégradées depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022 et la Russie est maintenant vue comme une menace militaire directe.

D’autant plus que depuis le début du conflit, la Moldavie souffre économiquement. Le taux de chômage est important, il existe un fort exode rural provoquant une expatriation de la population active, auxquels il faut ajouter un taux d’inflation les plus élevés d’Europe.

La Moldavie reste solidaire de l’Ukraine, mais agit avec prudence par rapport à la Russie pour des raisons sécuritaires. Elle n’a, par exemple, pas souhaité mettre en œuvre les sanctions européennes contre l’agresseur russe, prétextant des difficultés économiques.

Enfin, la priorité numéro une pour l’opinion publique moldave comme de son gouvernement, est d’éviter l’implication directe du pays dans cette guerre. C’est pourquoi, la Transnistrie devient un acteur stratégique majeur dans la suite du conflit.

On dénombre 1500 soldats russes de « maintien de la paix » positionnés dans la région séparatiste depuis la chute de l’URSS, pour protéger le territoire et surveiller les équipements militaires soviétiques.

Contingent militaire russe de maintien de la paix - Vadim Savitsky | Creative Commons Attribution 4.0
Contingent militaire russe de maintien de la paix – Vadim Savitsky | Creative Commons Attribution 4.0

Bien que la Transnistrie veuille un rattachement avec la Russie, le Kremlin estime que les équipements soviétiques stationnés dans la région sont obsolètes par rapport aux équipements que possède actuellement l’armée russe.

La présence de soldats représente néanmoins un atout pour la défense de la région autonome. Les exercices conjoints avec l’armée russe, permettent aux transnistriens de manier un matériel plus moderne et d’être opérationnel si un conflit se déclenche rapidement.

En cas d’avancée des troupes russes, il est possible que le Kremlin reconnaisse diplomatiquement la région (comme la Crimée ou le Donbass) créant alors un prétexte pour sauver les populations russophones de Transnistrie, provoquant alors une guerre avec la Moldavie.

On comprend alors les réticences de la population moldave à intégrer l’UE, et le risque que cela représente. Vladimir Poutine pourrait faire passer cette adhésion pour un prétexte pour reconnaître la Transnistrie.

Pour l’heure, le conflit ukrainien semble loin de ces régions, mais une avancée russe, une reconnaissance diplomatique, ou un autre évènement majeur, peut faire de la Transnistrie et la Moldavie l’épicentre de tensions entre le monde russe et le monde occidental.

Quelque soit la fin du conflit, il aura des conséquences considérables sur le futur de la Moldavie et de la Transnistrie.

Quelques sources et liens utiles

LAMBERT Michael Eric « Comprendre la présence militaire russe en Transnistrie » dans Revue de Défense Nationale, 2019

LAMBERT Michael Eric « Les séparatismes pro-russes en Moldavie » dans Revue de Défense Nationale, 2022

MARCHAND Pascal, « Moldavie et Transnistrie », dans Atlas Géopolitique de la Russie, 2020

PARMENTIER Florent, « La Moldavie à l’épreuve de la guerre en Ukraine » dans Revue Internationale et Stratégique, 2022

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