Une guerre a encore éclaté dans le Haut-Karabagh. Mardi 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan a lancé une attaque, embrasant une nouvelle fois la région et laissant l’Arménie démunie. Un énième chapitre dans ce conflit qui s’enlise depuis des décennies. Majoritairement, peuplée d’Arméniens l’enclave a été le théâtre d’une offensive éclair menant les forces armées azerbaïdjanaises à assiéger le peuple Artsakh.
Alors que Bakou considère le territoire comme appartenant à la souveraineté de son pays, il est également revendiqué par les séparatistes. Ainsi leur régime indépendant a subi un vaste et fulgurant assaut militaire qui l’a poussé à la reddition ce mercredi 20 septembre 2023. Acculés, les séparatistes ont rendu leurs armes et ont dissout leur république autonome.
Instabilité et complexité d’une région sous influence
Cette guerre dans le Haut-Karabagh se joue au cœur du Caucase du sud. Où les rivalités politiques, mais surtout ethniques affectent les relations et la stabilité entre les pays de cette région. La Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se retrouvent alors dans un espace géographique, où le manque de cohésion régionale, et d’uniformité des projets territoriales malmène la stabilité entre les pays.
Alors que l’Arménie et la Géorgie tissent des liens étroits avec l’Union européenne, et sont culturellement rattachées à l’Europe. Le gouvernement azerbaïdjanais turcophone coopère quant à lui étroitement avec le gouvernement turc, ennemi historique des Arméniens.
Du fait de, cette pluralité d’acteurs dans la région, les relations sont complexes, mais des liens demeurent tout de même. Notamment par des partenariats économiques entre UE et l’État azerbaïdjanais. À titre d’exemple, un accord pour acheminer l’électricité par câble sous la mer Noire a été signé à Bucarest en décembre 2022.
Entre accords et désaccords, cet enchevêtrement compliqué des perspectives géopolitiques a jalonné l’histoire du Caucase depuis des siècles. Et précisément depuis les conquêtes des empires. En effet qu’ils soient, russes, perses ou ottomans, les heurts entre les grands États ont traversé le temps. L’Empire russe qui a longtemps eu une cohabitation tendue avec l’Empire ottoman, a revêtu par le passé la fonction de protecteur des nations chrétiennes et a gardé une forte relation avec l’Arménie. Cependant, il a aussi une histoire commune et des relations commerciales avec l’Azerbaïdjan. La complexité politique et culturelle du Caucase Sud témoigne de l’évolution inquiétante des perspectives de la région.
La Guerre dans le Haut-Karabagh : héritage de l’ère soviétique
Avec la suprématie soviétique, le nationalisme des pays a longtemps été inhibé. Mais les ambitions soviétiques, instables, ont laissé des traces indélébiles et ont fait naître les prémisses d’une mésentente qui s’éternise.
C’est avec l’impulsion de Staline en 1921 que s’amorce le début des hostilités avec l’intégration de la région du Haut-Karabagh à la République socialiste soviétique (RSS) d’Azerbaïdjan. Alors qu’il est nommé commissaire aux nationalités d’Union soviétique, il établit un projet qui assène le coup de massue aux Arméniens peuplant majoritairement l’enclave depuis 3000 ans. Cette union forcée se poursuit pendant des décennies. Une décision prise par le tsar rouge, pour appliquer sa stratégie politique du « diviser pour mieux régner ». Voulant en outre avoir bonne réputation auprès de l’Azerbaïdjan et lui donner ainsi un gage d’amitié.
Alors que dans la fin des années 80 l’Union soviétique refuse toujours d’abroger l’héritage stalinien, en 1988, de violentes manifestations secouent les républiques hostiles. Tentant de désamorcer la crise, Gorbatchev se réunit avec les hauts dirigeants de l’URSS à Moscou, mais ce dernier refuse de concéder la région à l’Arménie, et perd le contrôle de la situation. C’est avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991 que les séparatistes arméniens profitent de la confusion régnante pour se proclamer indépendants.
Cet imbroglio marque une transition postsoviétique délicate. Laissant Azéris et Arméniens dans un perpétuel conflit au sein du Haut-Karabagh. De cette façon, la cause arménienne a connu une histoire tumultueuse et traversée depuis son indépendance proclamée une série de révoltes désespérées. Mais alors que la région était sous influence russe, le projet de l’ère soviétique n’a pas favorisé la cohésion et le maintien de la paix entre les états.
Un conflit soutenu par la Turquie et Israël
Après 30 ans, l’Arménie voit son projet s’achever brutalement. Une fin amère qui survient avec l’affaiblissement de l’influence russe sur l’État azerbaïdjanais. Et l’affermissement de l’ascendant Turc. De ce fait, la Russie, grand acteur de la région, a fortement négligé l’influence de la nation d’Erdogan et sa forte proximité avec les Azéris.
Une précédente guerre du Haut-Karabagh avait déjà eu lieu en 2020 à l’initiative de l’Azerbaïdjan et de son allié pour reprendre le contrôle des territoires annexés en 1994 par l’Arménie. L’implication turque avait ainsi favorisé le déséquilibre militaire entre les deux États. Ainsi, en ce mois de septembre 2023, l’histoire s’est répétée. Dans cette initiative de reconquête, les Européens ont été pris de court.
L’Azerbaïdjan a donc repris l’ascendant sur l’Arménie et tiré profit de l’aide militaire octroyée par la Turquie et Israël. Disposant ainsi de moyen humain avec les mercenaires syriens, d’une préparation militaire, et d’armements de dernière génération, particulièrement des drones. L’Azerbaïdjan a ainsi réintégré le territoire dans des opérations d’une rare intensité. Vaincus en 24 h, les séparatistes ont annoncé dans un communiqué qu’ils capitulaient.
L’exode des populations à la suite du conflit du Haut-Karabagh ?
Dans ces annexions territoriales, en réponse à la première guerre de l’Azerbaïdjan, la Russie avait permis en 2020 par les accords tripartites une entente sur l’arrêt des projets de progression. Mais cette guerre éclair est venue réveiller les souvenirs d’un profond traumatisme, forçant la république d’Artsakh à la dissolution. Et les vidéos violentes des récents affrontements ont instauré ainsi la terreur poussant les Arméniens à s’exiler. Une fuite massive de la population, terrorisée par l’opposant.
Ceux qui ne peuvent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter.
Georges Santayana, Vie de Raison (1905), Littérature
Alors que depuis l’époque soviétique, la présence militaire russe n’a cessé d’augmenter dans le Caucase du sud pour maintenir la paix. Les récents conflits ont démontré par les deux alliances de l’Azerbaïdjan avec la Turquie, puis avec Israël, que la multiplication de ces partenariats déstabilise la région du Haut-Karabagh. De la sorte que les territoires caucasiens subissent des exactions de plus en plus violentes. Alors même que des embargos sur les armes sont en vigueur.
Quelques liens et sources utiles
« Haut-Karabakh : un dénouement tragique mais prévisible », Le Monde, 2023
Charlotte Chaulin, « Haut-Karabakh : les origines du conflit entre Arméniens et Azéris », GEO, 2019
Olivier CIGOLOTTI, Marie-Arlette CARLOTT, « HAUT-KARABAGH : 10 ENSEIGNEMENTS D’UN CONFLIT QUI NOUS CONCERNE », Commission des Affaires Étrangères et de la Défense
Eric Dénécé et Tigrane Yégavian, Haut-Karabakh : le livre noir, Ellipses, 2022
Torossian Sévag, Le Haut-Karabakh arménien : Un État virtuel ?, Éditions L’Harmattan, 2005
Ramiz Mehdiyev, Le Haut-Karabakh : l’histoire à la lumière des sources, Éditions L’Harmattan, 2016