Femme célèbre : figure de pouvoir, de rupture et de mémoire

Qu’est-ce qu’une femme célèbre ? Une femme qu’on a vue, lue, redoutée, admirée ? Ou une femme que l’histoire a tenté d’oublier.
Les six premières femmes astronautes de la NASA posent avec une maquette d'enceinte de sauvetage personnelle (PRE) ou "ballon de sauvetage" dans le laboratoire des systèmes d'équipage du Centre spatial Johnson. De gauche à droite, Margaret R. (Rhea) Seddon, Kathryn D. Sullivan, Judith A. Resnik, Sally K. Ride, Anna L. Fisher et Shannon W. Lucid. 1980. | Domaine public.
Les six premières femmes astronautes de la NASA posent avec une maquette d’enceinte de sauvetage personnelle (PRE) ou « ballon de sauvetage » dans le laboratoire des systèmes d’équipage du Centre spatial Johnson. De gauche à droite, Margaret R. (Rhea) Seddon, Kathryn D. Sullivan, Judith A. Resnik, Sally K. Ride, Anna L. Fisher et Shannon W. Lucid. 1980. | Domaine public.

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Derrière chaque règne, chaque révolution, chaque basculement historique, une femme se dresse. Connue ou oubliée, adorée ou redoutée, elle occupe l’espace public, transgresse les normes ou incarne les valeurs d’un temps.

Le mot “célèbre” ne dit rien de la reconnaissance, encore moins de l’admiration. Il dit seulement qu’on ne l’a pas oubliée. Mais ce que l’on retient d’une femme célèbre dit autant sur son époque que sur elle-même.

Cléopâtre : l’intelligence travestie

On la réduit à ses amours avec César et Antoine, à son maquillage au khôl noir ou à sa fin tragique. Pourtant, Cléopâtre VII Philopator fut l’une des souveraines les plus habiles de l’Antiquité. Parlant au moins sept langues, cultivée, diplomate, elle gouverne un royaume fragile entre deux géants : Rome et la décadence ptolémaïque.

L'actrice française Sarah Bernhardt (1844-1923) en Cléopâtre - Napoléon Sarony | Domaine public
L’actrice française Sarah Bernhardt (1844-1923) en Cléopâtre – Napoléon Sarony | Domaine public

Sa célébrité tient autant à sa personne qu’au récit masculin qui l’a suivie. Les historiens romains, désireux de légitimer la domination d’Auguste, en firent une tentatrice, une manipulatrice, une étrangère dangereuse. Mais derrière ces fantasmes subsiste une vérité : Cléopâtre incarne une souveraineté féminine assumée, capable de faire trembler les puissants.

Jeanne d’Arc : la voix et l’épée

La France ne compte pas de figure plus ambivalente. Paysanne illettrée, elle devient chef de guerre, convainc Charles VII de se faire sacrer, galvanise les troupes et défie les Anglais. À dix-neuf ans, elle est brûlée vive à Rouen, condamnée pour hérésie, avant d’être réhabilitée vingt-cinq ans plus tard. Canonisée en 1920, elle devient tour à tour symbole catholique, icône républicaine, puis récupération politique.

Jeanne d’Arc est la femme célèbre par excellence : elle fascine parce qu’elle échappe à toutes les catégories. Ni reine, ni épouse, ni mère, elle agit hors des normes de son temps. Et c’est précisément cette déviance — religieuse, sociale, genrée — qui fait d’elle un objet inépuisable d’interprétation.

Marie Curie : la science au féminin

Aucune autre femme dans l’histoire n’a reçu deux prix Nobel, dans deux disciplines différentes. Marie Skłodowska-Curie, née en Pologne, naturalisée française, a bouleversé la physique avec son mari Pierre. Ensemble, ils isolent le polonium et le radium. Veuve à 38 ans, elle continue seule ses recherches, puis dirige l’Institut du radium.

Son nom devient rapidement synonyme d’intelligence rigoureuse et de dévouement scientifique. Mais Marie Curie fut aussi l’objet de critiques violentes, notamment lorsque sa vie privée fut exposée à la presse. Elle incarne cette tension typiquement française entre admiration sincère et suspicion sexiste.

Aujourd’hui, son visage est sur les billets, ses cahiers sont encore radioactifs, et son héritage traverse les disciplines. Si elle est célèbre, c’est parce qu’elle a su imposer l’excellence féminine dans un monde exclusivement masculin.

Olympe de Gouges : la plume guillotinée

On cite souvent Robespierre, Danton ou Marat pour incarner la Révolution française. Mais peu de figures en incarnent les contradictions avec autant de force qu’Olympe de Gouges. Auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, elle réclame l’égalité juridique, le droit au divorce, à l’éducation, à la représentation politique.

Olympe de Gouges, portrait de femmes célèbres - Alexandre Kucharski | Domaine public
Olympe de Gouges, portrait de femmes célèbres – Alexandre Kucharski | Domaine public

Elle sera guillotinée deux ans plus tard, accusée d’avoir « oublié les vertus qui conviennent à son sexe ». Elle meurt avec la lucidité de celle qui savait que l’histoire ne retient pas toujours celles qui dérangent.

Et pourtant, son texte, longtemps marginalisé, est aujourd’hui étudié, cité, enseigné. Elle est devenue une figure majeure du féminisme historique, non parce qu’elle a gagné, mais parce qu’elle a osé écrire.

Joséphine Baker : de la scène à la Résistance

Danseuse, chanteuse, actrice. Puis espionne, résistante, militante. La vie de Joséphine Baker traverse le siècle comme une performance ininterrompue. Née dans la misère aux États-Unis, elle triomphe à Paris dans les années 1920. Sa célébrité mondiale ne l’empêche pas de s’engager : elle transporte des messages pour la Résistance pendant la guerre, soutient les droits civiques, adopte douze enfants de nationalités différentes.

Elle devient la première femme noire à entrer au Panthéon, en 2021. Plus qu’une reconnaissance tardive, c’est une réhabilitation. Car si Joséphine fut célèbre, elle fut aussi inconfortable pour les autorités : trop libre, trop engagée, trop vivante.

Simone Veil : le courage au service du droit

Déportée à 16 ans, ministre à 47, immortelle à 79. La trajectoire de Simone Veil résume à elle seule les combats d’un siècle. Survivante de la Shoah, elle devient magistrate, puis femme politique. En 1975, elle fait voter la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse en France, dans un hémicycle majoritairement hostile.

Insultée, menacée, elle tient bon. Non par militantisme idéologique, mais par conscience morale et juridique. Sa parole, toujours mesurée, toujours ferme, force le respect. Simone Veil est restée célèbre, non par goût de la lumière, mais parce qu’elle a su faire passer des lois qui libèrent sans diviser.

De la célébrité à la postérité

Qu’est-ce qu’une femme célèbre ? Une femme qu’on a vue, lue, redoutée, admirée ? Ou une femme que l’histoire a tenté d’oublier, mais que le présent réclame à nouveau ? La célébrité n’est jamais neutre. Elle est construite, transmise, mise en récit. Et souvent, les femmes célèbres le sont devenues malgré l’histoire, non grâce à elle.

Elles ont dû franchir les frontières du genre, de la nation, du préjugé. Elles n’ont pas été célèbres parce qu’elles étaient des exceptions. Elles le sont devenues parce qu’elles ont donné forme à l’exception.

Quelques liens et sources utiles

Virginie Girod, Les Ambitieuses… – 40 femmes qui ont marqué l’histoire par leur volonté d’exister, Pocket, 2023

Amélie Poggi, Petit livre des femmes célèbres, Hachette Pratique, 2022

Chiara Pasqualetti Johnson, Femmes d’exception: 50 portraits du XXème siècle à nos jours, L’Imprévu, 2021

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