La Nova et Aucta Orbis Terrae Descriptio ad Usum Navigantium Emendate Accommodata qui peut être traduit en français par : « Nouvelle représentation plus complète du globe terrestre bien adaptée à la navigation » est le deuxième planisphère que nous vous présentons dans cette série d’articles et le premier utilisant la projection de Mercator.
La projection de Gérard Mercator facilite la navigation
Le planisphère a été publié en 1569, par Gérard Mercator, mathématicien, géographe et cartographe flamand. Il a été l’élève de Frisius et il met en place une projection spécifique, que nous appelons projection de Mercator.
Une invention qui va marquer l’histoire
Cette projection permet de conserver les angles et un écart équivalent entre les méridiens.
En revanche, les latitudes ne sont pas respectées, ce qui déforme grandement les continents. Cette carte a pour objectif d’améliorer significativement la navigation des marins et également d’améliorer les connaissances cartographiques.
Le désir initial de Mercator est de faciliter la navigation. Cependant, sa première projection est un échec et les différentes versions qui sont réalisées par la suite aussi.
Un concept novateur, mais des données erronées
Le concept était bien trop avancé par rapport aux procédés utilisés par les navigateurs en mer. En effet, les marins sont dans l’incapacité de définir précisément les longitudes en mer. Les cartes de l’époque comportent également de nombreuses erreurs qui sont aussi la source de l’échec dans un premier temps de la projection de Mercator.
La carte, en comparaison avec celle d’Alberto Cantino, est bien plus complexe, que ce soit dans son élaboration mais également dans les informations qu’elle présente. Mercator a utilisé à la fois des données de son époque, mais aussi des données obsolètes. Ainsi, sa cartographie est proche de celle de Diego Ribero ou encore Girolamo Ruscelli.
Mercator utilise leurs travaux pour mettre en place sa représentation du globe terrestre.
L’Europe explore et découvre le monde
Les Européens ont de bonnes connaissances sur le monde qui les entoure. La circumnavigation de Magellan entre 1519 et 1522 a apporté énormément de connaissances cartographiques, avec le passage le long des côtes d’Amérique du Sud, la découverte du détroit de Magellan, permettant de se rendre dans l’Océan Pacifique par le Sud, puis du reste de la traversée.
Il y a également tout au long du XVIe siècle des explorations terrestres en Amérique. Entre 1519 et 1532, les Conquistador explorent les Empires Inca et Aztèque, ils captent énormément de détails cartographiques de l’intérieur des terres.
Entre temps, il y a également eu des expéditions supplémentaires dans l’Océan Indien et en Asie tout au long du XVIe siècle. Pedro Álvares Cabral, Afonso de Albuquerque ou encore Rafael Perestrelo réalisent des explorations vers l’Océan Indien et en Asie, notamment à Madagascar, l’île de la Réunion, l’île Maurice, le Sri Lanka ou encore Malacca.
De nouveaux acteurs apparaissent dans la grande course à l’exploration. L’Amérique du Nord n’intéresse pas les membres de la péninsule Ibérique. Ainsi, ce territoire est partagé entre les Anglais et les Français.
L’Espagne perd sa dominance sur les mers après la destruction de l’Invincible Armada en 1588, une importante flotte d’invasion dirigée vers les Anglais. Le commerce maritime et les explorations de nouvelles nations s’intensifient, avec notamment les Hollandais.
De nombreuses cartouches d’aide à la navigation
Pour revenir sur la carte, elle est représentée en noir et blanc et possède différents textes informatifs et d’éléments cartographiques. La bordure de la carte représente les points cardinaux, en plus des roses des vents qui permettent d’indiquer les points cardinaux.
Les informations sont inscrites en latin dans des cartouches et traitent des rhumbs (quart d’angle, ou quart de vent) qui sont des lignes de navigation prenant en compte la rotondité de la Terre. En plus des informations sur les rhumbs, il y en a aussi sur les méridiens, les pôles magnétiques, les caractéristiques régionales, les rapports de navigation et des descriptions sur les mythes et légendes du monde marin.
Les illustrations sur la carte sont nombreuses et permettent d’apporter des informations à la fois mystiques et réelles. Dès lors, nous retrouvons des navires d’explorations dans l’Océan Pacifique et l’Océan Atlantique, des monstres et des animaux à plusieurs endroits du globe.
- Au large des côtes brésiliennes, il y a la représentation d’un long serpent des mers.
- Dans le Pacifique, au large des côtes américaines, il y a la représentation probable d’un dauphin, que nous pouvons également retrouver dans l’Océan Atlantique.
- Il y a également la représentation probable d’un dieu, peut-être Poséidon, chevauchant un mi-hippocampe et mi-cheval.
Ainsi, l’ensemble de l’océan – excepté l’Océan Indien – est représenté de manière vivante, avec des navires, des monstres, des animaux et même des représentations divines.
L’île de Frisland, une erreur récurrente des planisphères
Au milieu de l’Océan Atlantique se trouve l’île de Frisland, une île fantôme qui n’existe pas dans la réalité, mais qui est recopiée sur de nombreux planisphères entre 1560 et 1660. Les frères Nicolò et Antonio Zeno sont les premiers à représenter cette île. Mercator a donc utilisé les travaux d’autres cartographes pour réaliser sa projection.
A contrario les territoires terrestres sur cette projection de Mercator sont très pauvrement illustrés et détaillés. Les territoires qui ne sont pas connus par les Européens ont été représentés avec des montagnes, des forêts, des fleuves complètement hypothétiques
Certaines villes ont été ajoutées sur la carte, mais une grande partie des données ajoutées proviennent de travaux antiques, notamment de Ptolémée, Pline l’Ancien ou encore Pomponius Mela. Ces auteurs antiques ont aussi été complétés avec les travaux d’explorateurs plus récents comme Marco Polo.
Mercator a utilisé tout un panel d’auteurs, de sources, d’exemples pour mettre en place sa vision du globe terrestre.
Une compréhension du globe qui se précise
Le planisphère gagne en détail et fiabilité. Il y a en tout cas une grande différence de connaissances entre l’Europe, l’Asie et le Nord de l’Afrique vis-à-vis du reste du monde. Pour autant, il faut être prudent vis-à-vis des détails apportés. La représentation terrestre n’est pas complètement et sans arrière pensée. Ainsi, nous pouvons retrouver des cannibales et des géants (Amérique du Sud), mais aussi des musiciens (Asie de l’Est).
Vis-à-vis du folklore, Mercator a représenté nombre de choses, notamment la Baba Yaga, un mythe des peuples d’Europe de l’Est, ou encore le prêtre Jean. Il est dans la légende le dirigeant d’un Royaume chrétien se trouvant initialement au Proche Orient, puis en Inde. Finalement, les Portugais se persuadent de l’avoir découvert en Afrique et plus précisément en Éthiopie. Ainsi, Gérard Mercator le représente sur un trône portant une croix dans la main.
Il y a donc une volonté de représenter certains détails, pour faire passer des messages aux utilisateurs sur cette projection de Mercator.
Quelques liens et sources pour comprendre l’histoire des planisphères à l’époque moderne
Auteur inconnu, Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole., Bibliothèque Estence de Modène, Italie, 1502
GerardusMercator, Nova et Aucta Orbis Terrae Descriptio ad Usum Navigantium Emendate Accommodata, Duisburg, 1569, BnF
Frederik de Wit, Nova Orbis Tabula in Lucem Edita, Amsterdam, entre 1660 et 1680, Bibliothèque royale de Belgique
Guillaume Delisle, Mappemonde a l’usage du Roy, Paris, 1720, BnF
PELLETIER, Monique. Science et cartographie au Siècle des lumières In : Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières. Paris : Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2002
KABAKOVA Galina, « Baba Yaga dans les louboks », Revue Sciences/Lettres, 2016
TOLIAS Georges, « Représentations de l’espace, fin du Moyen Âge – époque moderne », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 2017
DE CRAECKER-DUSSART Christiane, « La cartographie médiévale : d’importantes mises au point », Le Moyen Age, 2010/1 (Tome CXVI), p. 165-175
MOLHO Anthony, RAMADA Curto Diogo, « Les réseaux marchands à l’époque moderne », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003/3 (58e année), p. 569-579
CHASSAGNETTE Axelle, « Les usages de la cartographie au début de l’époque moderne (XVe-XVIIe siècle) / Der Gebrauch der Karten am Anfang der Frühen Neuzeit (15.-17 Jahrhundert) », Revue de l’IFHA, 2009
BnF – Les cartes marines. http://expositions.bnf.fr/marine/arret/10-32.htm