Jean-Paul Rabaut est né en 1743 à Nîmes, et est le fils de Paul Rabaut. Il porte en outre le nom de Saint-Étienne en raison d’une petite propriété près de Nîmes. Ses frères sont Jacques Antoine Rabaut-Pommier et Pierre-Antoine Rabaut-Dupuis, tous deux également actifs en politique.
Comme son père, Jean-Paul Rabaut devient pasteur calviniste et se distingue par son zèle pour ses coreligionnaires, devenant le porte-parole de la communauté protestante de France.
Il travaille en étroite collaboration avec Guillaume-Chrétien de Lamoignon de Malesherbes, ministre de Louis XVI, et avec les membres du parlement d’Ancien Régime pour obtenir la reconnaissance officielle des droits civils des protestants, malgré les inquiétudes de certains conseillers royaux.
Un auteur qui milite pour apporter la justice religieuse
Mettant officiellement fin aux persécutions religieuses en France, Louis XVI signe l’édit de tolérance le 7 novembre 1787, et celui-ci est enregistré au parlement deux mois et demi plus tard (29 janvier 1788). Cet édit offre un répit à toutes les principales confessions non catholiques de l’époque : les huguenots calvinistes, les luthériens et les juifs.
Après plus d’un siècle d’interdiction, il leur accorde toute reconnaissance civile et juridique ainsi que le droit de former ouvertement de nouvelles congrégations.
Il faudra attendre deux ans de plus pour que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 accorde la pleine liberté religieuse.
L’édit de tolérance de 1787 constitue tout de même une étape décisive dans la maîtrise des conflits religieux et met officiellement fin aux persécutions religieuses en France.
Ayant acquis une certaine notoriété avec son Histoire primitive de la Grèce, Rabaut de Saint-Étienne est élu député aux États généraux de 1789 par le tiers état du bailliage de Nîmes.
À l’Assemblée constituante, il travailla à la rédaction de la constitution, il se prononça contre l’établissement de la République, qu’il jugeait ridicule, il vota le veto suspensif, comme susceptible de renforcer la position de la Couronne. À la Convention, il siégea parmi les Girondistes, s’opposa au procès de Louis XVI, fut membre de la Commission des Douze et fut proscrit avec son parti.
Jean-Paul Rabaut reste caché pendant un certain temps, mais il est finalement découvert et guillotiné en décembre 1793.
Un réquisitoire contre les persécutions
Ce document est à la fois un roman historique et un conte philosophique. Son auteur, Jean-Paul Rabaut réalise une critique de l’état de persécution des non catholiques dans le royaume de France.
Ambroise s’en retournait chez lui, la tête baissée et les yeux fixés vers la terre ; il marchait dans l’attitude d’un homme qui médite profondément. Le bruit confus d’une canaille ameutée, qui poussait des cris affreux, le fit sortir de sa rêverie. Il voulut s’approcher, pour voir quelle était la cause de ce tumulte, et il vit, pêle-mêle dans la boue, des archers, des soldats, des prêtres, des magistrats, et, au milieu d’eux, le bourreau qui traînait sur la claie un cadavre nu, plein de fange et de meurtrissures. La tête du cadavre était entièrement défigurée par les coups de pierre et de bâtons qu’elle recevait à chaque instant. Ambroise n’eut pas besoin de demander ce que c’était. Les injures que la populace vomissait contre les huguenots, et ces cris, répétés de partout : c’est bien fait, c’est bien fait ; on devrait leur en faire autant à tous : ah ! si nous pouvions les voir tous pendre et brûler. Tout cela lui fit comprendre que c’était un de ses frères qui avaient refusé dans son lit de mort de recevoir les sacrements. La populace échauffée par ce spectacle, jetait de la boue et des pierres contre les maisons et les boutiques des huguenots et poursuivaient ceux qui avaient le malheur de se trouver dans le rue [reconnu, Ambroise cherche à échapper à la foule et se réfugie dans une maison où il entend deux hommes discuter].
L’un était un jésuite, et l’autre, le maître de maison. Leur conversation roulait sur l’affaire présente, Ambroise n’en perdit pas un mot, et voici ce qu’il entendit.
« Il faut convenir, disait le maitre de maison, qu’il est cruel d’être obligé de changer d’opinion, et de feindre, pendant toute se vie, de croire ce qu’on ne croit pas dans le fond du cœur. Je ne suis pas surpris aussi que, dans ces derniers moments, où l’on n’est plus affecté par la crainte, ni dominé par les intérêts du monde et par le plaisir de vivre à son aise, un mourant qui n’a plus rien à ménager, fasse enfin l’aveu de sa véritable croyance et, dans le fond du cœur, je ne saurais lui en faire un crime. J’aimerais mieux n’avoir dans notre religion qu’un petit nombre de croyants, que de gagner deux ou trois millions d’hypocrites.
Bon ! lui répondit le jésuite, qu’importe ce que ces gens-là croient dans le fond de l’âme, pourvu que le roi soit persuadé de leur conversion, et qu’ils assistent à la messe ? Vous sentez bien qu’on ne doute point que ce soit là des convertis de mauvaise foi, et peut-être le roi lui-même en sait-il quelque chose. La plupart il est vrai ne sont convertis que par force ou par égard humain mais, enfin, ils sont dans le bercail. Nous avons ce que nous avons dû. À présent, c’est à Dieu à les convaincre.
– C’est dire, mon révérend père ; que tant de violences, de massacres, de punitions, n’ont abouti qu’à faire un grand nombre d’hypocrites ? C’est acheter de mauvais sujets un peu cher, et je vous jure que je les aimerais mieux bons protestants que mauvais catholiques.
– Monsieur, si les pères sont hypocrites, les enfants seront de vrais croyants.
– J’en doute, mon révérant père. Jamais les hommes ne sont plus attachés à leurs opinions que lorsqu’on veut les leur ôter. Nous soupçonnons que ceux qui veulent nous engager par la force à adopter leur croyance, n’ont pas de meilleurs arguments à nous alléguer ; et la violence qu’ils nous font pour nous faire embrasser leur doctrine, nous semble un aveu de la supériorité de la nôtre. […] Voyez ce malheureux dont on traîne aujourd’hui le cadavre dans nos rues : il savait le sort qui l’attendait, il n’ignorait point quelle ignominie était attachée à ce supplice. Et cependant la force du préjugé le lui a fait braver.
– Eh bien monsieur reprit l’homme en noir, cet exemple instruira les autres et les effraiera, et quand nous n’obtiendrions point ce succès, nous sommes sûrs que ces spectacles, réitérés de temps en temps, entretiendront parmi le peuple une haine dont il doit résulter les plus heureux effets. Par exemple, en voilà pour plus d’un mois avant que les esprits reprennent un peu de calme. S’aperçoit-on que la tranquillité se rétablisse, et que l’esprit de tolérance vienne à s’introduire ? Alors on recommence à donner des exemples : on exhume le cadavre de quelque malheureux, pour l’exposer aux insultes de la populace ; on pend un ministre ; on envoie une douzaine d’hommes aux galères et les peuples se souviennent qu’il y a des hérétiques qu’il faut haïr.
Ne faudrait-il pas mieux, mon révérend père, supporter ces hérétiques et engager les sujets du roi à s’aimer les uns les autres ?
– Non, monsieur, non ! reprit l’homme noir, très impatienté […]. »
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Céline Borello, Du Désert au Royaume. Parole publique et écriture protestante (1765-1788). Edition critique du Vieux Cévenol et de sermons de Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne, Paris, Honoré Champion. 2013, p. 169-172