Le Drakkar ? Non, le terme est une invention du XIXe siècle, en effet chez les scandinaves, dreki, désigne au mieux la figure de proue en forme de serpent/dragon, qui est amovible et destinée à effrayer, notamment les mauvais esprits. Le navire, en réalité, porte d’autres noms, faisant références à leurs fonctionnalités.
Les sources, et l’archéologie ont permis de distinguer les catégories de navires utilisés par les scandinaves : Langskip, snekkja, skeið, knörr, byrðingr, karfi. Ceci dresse donc une mosaïque bien plus complexe de ce qu’était la navigation chez les vikings, puisque que cela soit sur les termes employés ou les techniques de navigation, les pratiques de ces peuples du nord sont nombreuses. L’article décrit la terminologie, l’ingénierie (quille, bordage, mâture) et les pratiques de navigation (cabotage, repères naturels, la pierre de soleil et le compas solaire).
Les navires scandinaves
Employer les termes corrects n’est pas un pur formalisme : cela éclaire la fonction, l’architecture et les usages de chaque navire. Le mot drakkar relève d’un néologisme français du XIXᵉ siècle et ne désigne aucun type d’embarcation médiévale. Le terme générique pour « navire » est skip, tandis que bátr désigne la barque ou la petite embarcation.

Pour la guerre, le mot structurant est langskip, littéralement « navire long », et dans cette famille des différences sont à faire pour créer des sous-types : Le snekkja, long, fin et rapide, et le skeið bateau de très grandes dimensions
Pour le commerce, le terme central est knörr, à coque plus large et franc-bord plus élevé (distance verticale entre la ligne de flottaison et le pont principal), destiné aux charges et aux longues traversées nord-atlantiques.
Le byrðingr désigne un transporteur de charge pour le cabotage, tandis que karfi s’emploie pour un bateau polyvalent, de travail, de liaison, de guerre ou de transport.
Architecture et matériaux : la logique du clin
Les charpentiers scandinaves travaillent dans le fil du bois, principalement le chêne et le pin/sapin. La coque est bordée à clins : les virures (suite de bordage, c’est à dire des pièces de charpente couvrant la partie extérieur du navire) se recouvrent partiellement, à la manière de tuiles, ce qui confère au navire une certaine souplesse, une légèreté.
Au lieu de frapper la vague, la carène la suit et l’absorbe (partie immergée de la coque), ce qui améliore la tenue à la mer et limite les chocs. Cette peau souple s’appuie sur une ossature : une quille souvent taillée d’une seule grande pièce.
Un mât unique s’abat aisément en cas de nécessité et porte une voile carrée que l’équipage peut hisser, orienter et amener rapidement grâce à un plan de cordage simple. Le gouvernail latéral est fixé à tribord.
En bonnes conditions, les vitesses de pointe se situent généralement autour de 5 à 10 nœuds, mais peuvent atteindre pour 20 nœuds pour les navires rapides.
Une telle architecture a un coût : la mise en œuvre exige des artisans hautement qualifiés, des bois sélectionnés et un temps de fabrication conséquent. Ajoutés à la valeur de la cargaison et à la solde des hommes, ces facteurs font de chaque navire un investissement conséquents.
Naviguer sans boussole
La force scandinave tient d’abord à une méthode plus qu’à un instrument : observation et mémoire transmise par les ancêtres. Le long des côtes, la navigation se fait à vue, c’est à dire par cabotage, en gardant la terre visible à l’œil nu. On progresse d’amer en amer en gardant toujours une solution de repli pour réparer si nécessaire.
La lecture du vivant complète ces repères, en effet que cela soit le rayon de vol des oiseaux, lâchés depuis l’embarcation, et leurs retours sur le navire, ou la présence de cétacés ainsi que la couleur de l’eau, les nappes d’algues, le régime des marées et la dérive des glaces. Grâce à un très faible tirant d’eau, les navires peuvent atterrir presque partout, ce qui sécurise la progression.
Au large, la clé consiste à tenir une latitude. Les traversées répétées de l’Atlantique Nord s’expliquent par la conservation d’un parallèle d’environ 60° N, jalonné d’étapes : les Shetland se laissent voir depuis la mer par beau temps ; les Féroé, hautes de falaises, doivent apparaître à mi-hauteur au-dessus de l’horizon si l’on est bien placé ; plus à l’ouest, le sud de l’Islande se confirme par l’abondance d’oiseaux et de baleines, avant la poursuite vers le cap Farewell au Groenland.
Quant aux instruments, les hypothèses abondent mais les certitudes manquent. La pierre de soleil (sólarsteinn), qu’il s’agisse de spath d’Islande (calcite) ou de cordiérite, pourrait en théorie aider à repérer la direction du soleil par ciel voilé ; rien ne prouve toutefois un usage embarqué régulier à l’époque viking.
Le compas solaire, un petit disque muni d’un gnomon, calibré la veille en marquant, parfois dans une cuvette d’eau, la courbe de l’ombre horaire a une assise archéologique.

En pratique, la combinaison du cabotage, de la tenue de latitude, d’une estime rudimentaire (cap–temps–distance), de repères naturels et d’une longue expérience suffit à rendre la route reproductible.
La logique scandinave
Remplacer drakkar par ces termes n’est pas du purisme : c’est entrer dans la logique scandinave des bateaux. C’est ce couplage entre formes de coque et pratiques de navigation qui explique la mobilité et la portée des entreprises nordiques du VIIIᵉ au XIᵉ siècle. La supériorité scandinave ne procède ni d’un instrument « miracle » ni des serpents de proue, mais d’une ingénierie, coûteuse en savoir-faire, et d’une culture pratique de la mer. Adopter le bon lexique, c’est donc se donner les moyens d’analyser des choix techniques et de lire sans anachronisme l’archéologie comme les textes.
Quelques liens et sources utiles
BOYER R., Les Vikings, Le Cavalier Bleu, Paris, 2002.
DE CRAECKER-DUSSART C., « Moyens d’orientation et de navigation des Vikings, marins d’exception de l’Atlantique Nord« , dans : Le Moyen Âge, De Boeck Supérieur, Bruxelles, 2019.
LAGET F., « La mer dans l’Europe du Nord : frontière ou trait d’union ?« , dans : Confrontation, échanges et connaissance de l’autre au nord et à l’est de l’Europe de la fin du VIIe siècle au milieu du XI siècle, Revue d’histoire nordique, n° 23, 2016/2.