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Témoignage d’un machiniste à la fabrique d’Hochelage

Le machiniste interrogé dans le cadre de la commission est un machiniste à la fabrique d'Hochelage de Montréal la fin du XIXe siècle.
Témoignage d'un machiniste à la fabrique d'Hochelage - William Notman | Domaine public
Témoignage d’un machiniste à la fabrique d’Hochelage – William Notman | Domaine public

Le témoignage de ce machiniste à la fabrique d’Hochelage a été obtenu grâce au travail d’enquête d’une commission gouvernementale. Nous ne reviendrons pas intégralement sur le contexte de réalisation de cette enquête, nous en parlons dans l’article du témoignage de Théophile Charron.

Néanmoins, pour rappel, elle est mandatée par le gouvernement après des pressions du monde ouvrier. En effet, les conditions de travail et de vie sont déplorables. Cette commission royale enquête sur les rapports qui existent entre le Capital et le Travail au Canada.

En complément de ce témoignage, nous vous conseillons notre article : « Les ouvriers au XIXe siècle, le cas de La Réunion » qui permet d’avoir un autre point de vue, mais néanmoins terrible.

Retranscription du témoignage de ce machiniste

La retranscription du témoignage de ce machiniste se fait sous forme de questions-réponses. Ainsi le « Q » correspond à la question du membre de la commission royale, et le « R » à la réponse du machiniste. Il y a plusieurs interlocuteurs durant cet interrogatoire, mais ils posent les questions toujours à la même personne, le machiniste.

Q.- Impose-t-on des amendes pour d’autres offenses ?
R.- Oui, on impose une amende à une personne qui fait trop de waste (gaspillage) comme on dit. Une weaveuse (tisserande) qui fait trop de gaspillage, on lui impose une amende de vingt-cinq centins. Il est vrai que les waeveuses peuvent faire du gaspillage, mais souvent ce n’est pas leur faute ; souvent, elles font du mauvais ouvrage, parce que les cannelles qu’elles reçoivent d’en haut sont mauvaises. Celles qui paient l’amende ne sont pas celles qui font du mauvais ouvrage ; ce sont celles qui sont obligées de recevoir de l’ouvrage mal fait d’en haut.

Q.- Combien vaut une cannelle ?
R.- Cela vaut presque rien ; ça ne doit pas valoir plus qu’un quart de cent.

Q.- Ce que vous voulez dire c’est que ceux auxquels on impose des amendes ne sont pas ceux qui ont fait le mauvais ouvrage ?
R.- Oui, ce sont ceux qui sont obligés de l’employer ; quelque- fois il y a un morceau dans la cannelle que l’on emploie pas, parce qu’il est mal fait et cela fait de la perte, et une waeveuse qui fait trop de gaspillage on lui impose vingt-cinq centins d’amende, mais elle fait ce gaspillage parce que les fillings (pièces de rechange) sont mal faites. Le contremaître m’a dit avant-hier que l’amende d’un seul étage, de la waeving room, était d’au moins cinquante piastres par mois pour d’autres causes comme celles que je viens de mentionner.

Le témoin remet quatre enveloppes qui se lisent comme suit :
– La 1°. Salaire 12,60 $ ; amende 1 $ pour une fille.
– La 2°. Salaire 12,55 $ ; amende 0,75 $.
– La 3°. Salaire 10,50 $ ; amende 0,25 $.
– La 4°. Salaire 6,30 $; amende 0,40 S.
Ces quatre enveloppes contenaient les gages de quatre filles.

Q.- Est-ce six piastres et trente centins pour les quinze jours ?
R.- Oui, Monsieur. Des enveloppes comme celle-là, je puis vous en apporter des centaines, si vous voulez ; parce que tous les employés ont les mêmes enveloppes et il n’y a presque pas d’employés dans la manufacture qui n’ont pas d’amende à payer, à peu près comme celles-là.

Q.- Quelle est la condition sanitaire de la manufacture ?
R.- Assez bonne.

Par M. Heakes :
Q.- Les privées sont-elles séparées les unes des autres, pour les femmes et les hommes ?
R.- Non, elles sont ensemble. Il y a une cloison entre les deux, mais on va dans l’une ou l’autre ; c’est la même place pour les femmes et les hommes.

Q.- Les femmes sont-elles obligées de passer devant la porte des privées des hommes ?
R.- Oui, si elles vont dans la deuxième, car il y a deux portes l’une contre l’autre et on peut aller dans l’une ou dans l’autre. Si elles vont dans la première, elles ne passent pas devant la porte, mais si elles vont dans l’autre, elles sont obligées de passer devant la porte.

Q.- Ces privées sont-elles situées de telle façon que les autres personnes dans l’établissement ne peuvent pas voir ceux qui y entrent ?
R.- On peut voir toute personne qui entre là ; une fois entrée on ne la voit pas, mais on peut la voir entrer.

Q.- La compagnie vous donne-t-elle un endroit ou les employés prennent leur repas?
R.- Non, on le prend à notre ouvrage, généralement ; il n’y a pas de place choisie pour prendre le repas.

Q.- À quelle heure les enfants commencent-ils à travailler, le matin ?
R.- A six heures et vingt-cinq minutes.

Q.- A quelle heure finissent-ils le soir ?
R.- À six heures et un quart.

Q.- Combien de temps prennent-ils pour leur diner ?
R.- Trois quarts d’heure.

Par M. Freed :
Q.- Ont-ils d’autre temps pour se reposer que ces vingt-cinq minutes pour le diner ?
R.- Non, du moment qu’ils sont entrés c’est pour jusqu’au soir, excepté le temps du diner, trois quarts d’heure.

Par M. Helbronner :
Q.- Quand il y a beaucoup d’ouvrage vous faites des heures de plus, n’est-ce pas ?
R.- Oui, Monsieur.

Q.- À quelle heure les enfants viennent-ils à l’ouvrage, le matin ?
R.- A la même heure.

Q.- A quelle heure, à votre connaissance, ont-ils quitté la fabrique dans les jours de presse ?
R.- Quand on travaille du temps extra on travaille jusqu’à neuf heures du soir et les enfants laissent la manufacture à cette heure-là.

Q.- Voulez-vous dire que les enfants de dix ans dont vous avez parlé et au-dessous restent à la fabrique depuis six heures et vingt-cinq minutes du matin jusqu’à neuf heures du soir, pendant ces jours-là ?
R.- Oui, Monsieur.

Q.- Entre l’heure du diner et neuf heures du soir, heure à laquelle ils quittent la fabrique, ces enfants ont-ils un moment de repos ?
R.- Non.

Q.- Reçoivent-ils un salaire supplémentaire pour les heures qu’ils font en plus ?
R.- Oui, j’ai entendu dire que plusieurs des jeunes enfants ne sont pas payés pour cela, mais moi, chaque fois que j’ai travaillé j’ai été payé.

Par M. Kerwin :
Q.- Quelques-uns de ces enfants ont-ils été malades à cause de l’ouvrage extra qu’ils ont été obligés de faire ? R.- Pas à ma connaissance.

Par M. Heakes :
Q.- Quand les enfants travaillent treize heures par jour quel temps leur donne-t-on pour le souper ?
R.- On ne leur en donne pas ; ils travaillent tout le temps, de une heure moins un quart de l’après-midi jusqu’à neuf heures le soir ; quelquefois ils nous laisseront aller souper pendant une demi-heure mais généralement on travaille tout le temps. Quelquefois ils nous avertissent l’après-midi que l’on va travailler le soir et on apporte notre souper.

Par M. Helbronner :
Q.- Ferme-t-on les portes de l’atelier pour empêcher les ouvriers de sortir ?
R.- Oui et les contremaîtres se mettent un à chaque porte pour ne pas laisser sortir personne.

Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur le déroulement de ce témoignage et son utilisation au sein de la commission royale, vous pouvez vous rendre sur le site de la banque numérique du Québec.

Si vous souhaitez comprendre comment ce machiniste et l’ensemble des travailleurs au Québec vivaient, nous vous invitons à découvrir notre article sur les conditions de travail de cette époque.

En découvrir plus avec la source originale

Commission royale, Enquête sur les rapports qui existent entre le Capital et la Travail au Canada, Québec, 1886-1889, Vol. 3: 26-27-28-304-305;

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