Le 22 octobre 2022, le gouvernement italien le plus à droite et le plus eurosceptique depuis 1946 prenait ses fonctions à Rome. C’est la présidente du parti d’extrême droite des Frères d’Italie, Giorgia Meloni, qui a été élu présidente du Conseil il y a maintenant plus de deux ans et demi.
Si un tel virage politique est pris aujourd’hui en Italie, ce n’est pas le fruit du hasard. Plusieurs cadres du parti de Giorgia Meloni sont issues du Peuple de la Liberté (PdL), parti fondé par Silvio Berlusconi.
Un homme qui est le troisième chef de gouvernement à la plus grande longévité depuis l’unification de l’Italie en 1861, avec neuf ans en fonction, et le détenteur du record du mandat le plus long sous la République italienne.
Ce dernier a profondément marqué la façon de faire de la politique en Italie et est considéré par certains comme celui qui a ressuscité la droite radicale dans le pays.
Un homme d’affaires avide d’ambitions
Né le 29 septembre 1936 à Milan. Il passe son enfance autour de l’agglomération milanaise, dans les petites villes de Saronno puis de Lomazzo. Silvio Berlusconi est issue d’une famille de la moyenne bourgeoisie italienne.
Aux origines de Berlusconi
Son père, Luigi Berlusconi, est banquier à la Banque Rasini – banque milanaise créée en 1954, dont la renommée tient surtout au fait que ses principaux clients sont des criminels – Il y gravit les échelons avant d’en devenir le directeur en 1957. Sa mère est femme au foyer, même si elle a pu exercer en tant que secrétaire durant la Seconde Guerre mondiale.
Silvio Berlusconi passe l’équivalent du baccalauréat à ses 18 ans au lycée catholique Copernic de Milan, et aurait étudié deux années à l’université de la Sorbonne, à Paris. En parallèle de ses études, il chantait sur des bateaux de croisière la nuit, ce qui lui permettait de « gagner sa vie » en tant qu’étudiant selon ses propos, et en même temps de s’adonner à sa passion pour la chanson française.
Il revient ensuite étudier à l’université de Milan et obtient une licence de droit en 1961. Déjà intéressé par le milieu de la communication audiovisuel, il présente une thèse sur les aspects juridique de la publicité à la fin de son cursus.
Un début de carrière professionnelle dans l’immobilier, déjà nébuleux
Après ses études, Silvio Berlusconi devient entrepreneur dans le secteur immobilier. Le contexte est alors particulièrement propice à Milan puisque dans les années 60, l’économie de la ville est en pleine effervescence favorisant ainsi une forte immigration de travail en provenance du sud du pays, et donc, augmentant considérablement la demande en logements.
Le financement des projets de Berlusconi reste néanmoins toujours nébuleux. Une interrogation qui est d’ailleurs restée constante tout au long de la constitution de son empire. Pour sa première opération immobilière lors de laquelle il a pu faire construire un petit lotissement, il est fort probable que la Banque Rasini, alors dirigée par son père, se soit portée caution.
De nombreuses théories existent concernant les sources de financement de Silvio Berlusconi dans ses projets immobiliers. Par exemple, le soutien de la Mafia, qui aurait elle aussi émigrée vers le nord, et aurait donc eu intérêt à s’associer à Berlusconi.
Au début des années 70, l’homme d’affaires italien fonde la première ville nouvelle italienne, au nord-est de Milan. Ce projet, dénommé « Milano 2 », est retenu comme son plus grand succès dans l’immobilier. Un nouveau quartier d’habitations luxueuses de près de 700 000 m² est érigé sur une ancienne exploitation agricole, entourées de nombreux équipements et services du quotidien : supermarché, écoles, hôpital, terrains de sport, etc. L’urbanisme de Milano 2 est très novateur pour l’époque.
Il parvient à séduire ses futurs acheteurs par une habile communication et mène à bien le projet économiquement et juridiquement par la création de la société Edilnord. Elle est fondée en collaboration avec d’autres personnalités du monde des affaires et son rôle reste encore entouré de mystères aujourd’hui.
Il ne s’agit d’ailleurs que d’une société parmi beaucoup d’autres ayant été créée pour les activités économiques de Silvio Berlusconi. Néanmoins, Fininvest en est la société de holding principal – il s’agit d’une entreprise gérant les activités de ses filiales dans un objectif d’optimisation économique (investissements, fiscalité,…).
La constitution d’un empire médiatique à partir des années 70
En 1978, la Fininvest est la deuxième plus importante compagnie italienne après Fiat. Et, au milieu des années 80, on peut parler d’un duopole dans le domaine de l’audiovisuel italien. Cela signifie que deux grandes sociétés dominent le marché, en l’occurrence, la Rai, contrôlée par l’État italien, et Mediaset, le groupe médiatique de Berlusconi. La télévision italienne connaît ainsi un bouleversement majeur, jusqu’alors monopolisée par la Rai.
C’est dans un contexte de libéralisation de la télévision dans le pays que Silvio Berlusconi inaugure la chaîne de télévision milanaise « Telemilano ». Il contourne rapidement la règle de cantonnement de la diffusion au niveau local en transmettant ses programmes depuis une multitude d’émetteurs locaux dans toute la Lombardie.
Et Silvio Berlusconi ne se limite pas au secteur de l’audiovisuel. À la fin des années 70, la Fininvest possède trois chaines télévisées à travers le groupe Mediaset, le quotidien italien Il Giornale via Mondadori ainsi que la plus grande régie publicitaire nationale avec la société cinématographique de Medusa. Il investit même dans le milieu du football, en achetant le Milan AC en 1986, club dont il aura été le propriétaire pendant trente ans.
C’est en 1980 qu’il lance sa première chaine de télévision généraliste au niveau nationale, Canale 5. Six ans plus tard, il dépasse les frontières nationales, en lançant La Cinq en France, ainsi que deux chaînes équivalentes en Allemagne et en Espagne.
La Cinq naît de l’annonce de François Mitterrand de la création de deux nouvelles chaines de télévisions privées en 1986. Silvio Berlusconi lui est recommandé par le président du conseil italien de l’époque, Bettino Craxi, avec qui il entretient une relation amicale. Le jeudi 20 février 1986, La Cinq, première chaîne privée généraliste nationale française est né et Berlusconi en devient partenaire aux côtés de Jérôme Seydoux.
Le succès entrepreneurial de Silvio Berlusconi est de plus en plus reconnu et lui donne de plus en plus de visibilité dans la sphère publique italienne. Il reçoit même le titre honorifique de « chevalier de l’ordre du Mérite du travail » en 1977, en « se distinguant singulièrement » dans ses domaines d’activité. C’est de là que Berlusconi tient son surnom d’il Cavaliere.
Il en est pour autant radié en 2014, à mesure que les scandales et mises en causes judiciaires se multiplient à son encontre.
La télévision berlusconienne
Les programmes télévisés de Berlusconi sont qualifiés de révolution culturelle en Italie. On y retrouve des jeux télévisés en tous genre, beaucoup de séries américaines et japonaises, tel que Dallas. Une image réductrice de la femme y est véhiculée en permanence. De nombreux programmes font en effet apparaître les femmes, très souvent en petites tenues, en train de danser, mais gardant toujours le silence.
Luzia Braun, correspondante de la télévision allemande en Italie, affirme que les femmes sont réduites à des objets de désir sexuel dans les émissions d’il Cavaliere, et ancre une telle image de la femme dans la société italienne.
Peppino Ortoleva, spécialiste italien d’histoire et de théorie des médias, souligne tout de même que Berlusconi a davantage créé une télévision « banale » et « l’art passif du canapé », qu’une télévision hardcore. En effet, selon ses dire, la Rai diffusait dès les années 60 des programmes mettant en avant des danseuses partiellement dévêtues en Italie.
À travers ses chaînes, Il impose également un modèle de réussite par l’argent dans le pays, voyant lui-même la télévision d’abord comme un support de publicité d’après les propos de Vittorio Dotti, un de ses collaborateurs de longue date dans l’audiovisuel.
Ses jeux télévisés et feuilletons, véritables rendez-vous du quotidien des familles italiennes, sont devenus des mythes dans l’histoire culturelle et sociale du pays, et de son côté, Berlusconi devient un personnage majeur de la culture populaire.
Le lancement d’un businessman en politique
L’ascension de Silvio Berlusconi aurait évidemment été impossible sans les réseaux d’influence qu’il s’est constitué dans divers milieux, et particulièrement en politique. En effet, son amitié avec Bettino Craxi dès les années 70, alors même que celui-ci devient secrétaire du parti socialiste italien en 1976 et président du conseil des ministres à partir de 1983 comme évoquée précédemment, constitue un appui politique considérable.
Berlusconi adhère également en 1978 à une association franc-maçonne secrète, du nom de Propagande Due. Il y côtoie d’anciens ministres, des hommes d’affaires ou encore des officiers dévoyés des services secrets. Cette loge maçonnique avait pour mission la lutte contre le communisme ainsi que l’instauration d’un régime autoritaire en Italie. Plusieurs années plus tard, l’homme d’affaire italien est condamné pour avoir nié son appartenance à cette organisation.
Un engagement en politique controversé
C’est le 26 janvier 1994 que Silvio Berlusconi apparaît sur ses chaînes télévisées pour annoncer son intention de lancer sa campagne pour les élections législatives. Il créé alors son propre parti politique, Forza Italia – « allez l’Italie » – et s’érige en défenseur de la liberté, de la famille, de la tradition chrétienne et du travail.
Il faut savoir que les ressources d’ordre financière, humaine ou organisationnelle, nécessaires à la création d’un parti politique, étaient toutes fournies par la Fininvest. En effet, celle-ci contrôle environ trois cents firmes s’illustrant dans des secteurs d’activité variés – assurances, construction, publicités, grandes surfaces,… – et comptant près de 40 000 salariés dans tout le pays ! D’un point de vue purement économique, c’est comme si Forza Italia était une nouvelle filiale de la Fininvest, intervenant sur le marché électoral.
Ses adversaires politiques dénoncent rapidement son engagement politique comme un moyen d’éloigner les enquêtes judiciaires sur ses sociétés par l’immunité parlementaire, à un moment où il est alors fortement endetté.
L’expert en médias Carlo Freccero estime aussi que Berlusconi a dû se lancer en politique en y voyant son ultime succès, après avoir réussi dans l’immobilier, la télévision ou encore le football. Néanmoins, officiellement, le discours d’Il Cavaliere est celui d’un désintéressement et d’une seule volonté de servir le pays et de le sauver du communisme.
Un succès politique malgré des discours clivants et des mises en cause judiciaires à répétition
En seulement quelques mois, il parvient à recueillir l’adhésion de millions d’italiens, et remporte les élections de mars 1994. Il est même nommé président du conseil le 10 mai, sur la promesse de conduire une « révolution libérale ». Toutefois, il ne reste en fonction que quelques mois, puisqu’en décembre, il est soupçonné de lien avec la Mafia et est mis en examen, obligeant le président de la République à le destituer.
Ayant évoqué son possible retirement de la vie politique, Silvio Berlusconi n’abandonne finalement pas et remporte les élections de 2001, à la tête de la coalition de droite « La Casa delle Liberta »(« la maison des libertés »).
Il parvient à effectuer le mandat de président du conseil le plus long de l’histoire de la République italienne, soit quatre ans, onze mois et six jours de fonction. Pourtant, les positions et discours de Berlusconi ont été plus que clivants.
Sa politique étrangère a été très critiquée. En effet, il se met à dos le monde musulman en affirmant que « le respect des droits de l’homme et de la religion n’existe certainement pas dans les pays islamiques », et il soutient l’invasion de l’Irak décidé en 2003 par le président américain Georges W.Bush. De plus, il lie une amitié de longue date avec Vladimir Poutine. Ce dernier aurait même affirmé en 2015 qu’il aurait aimé le nommer ministre dans son pays.

Après deux années d’opposition, la nouvelle coalition de centre droit lancée par Silvio Berlusconi, le Peuple de la Liberté (PdL) remportent les élections législatives parlementaires italiennes de 2008.
Un an après sa prise de fonction pour un nouveau mandat, l’Italie est en pleine crise économique. Paradoxalement, c’est bien à partir de ce moment que la popularité de Silvio Berlusconi bat son plein, bien qu’il soit aussi détesté par un grand nombre de citoyens. Il s’engage personnellement dans le relogement de milliers de personnes à L’Aquila, ville la plus touchée lors d’un tremblement de terre dans la région, le 6 avril 2009.
Quelques jours après cet événement, le 27 avril 2009, une affaire dévoile la relation de Silvio Berlusconi avec une jeune fille de 18 ans. A la fin de l’année, Entre 90 000 et 500 000 manifestants descendent dans les rues de la capitale italienne, pour demander la démission du chef de gouvernement, dans ce qui a été intitulé, le « No Berlusconi Day ».
Il Cavaliere parvient à rester au pouvoir jusqu’en 2011, et adopte une politique ultra-libérale, en allégeant au maximum les taxes pesant sur les entreprises, et par la même occasion, sur les siennes. Selon l’opposition, il a édicté 21 lois dites ad personam, soient des lois dont le contenu ne bénéficie qu’à une seule personne, afin de sortir indemne face à la justice.
Il est toutefois condamné dans l’affaire Mediaset, le 1er août 2013, il écope de huit ans de prison pour fraude fiscale et est déchu de ses fonctions de sénateur en octobre.
À partir de là, son parti politique baisse dans les sondages et ses sociétés déclinent. Le multimilliardaire cède le club du Milan AC à des investisseurs chinois en 2016.
Son état de santé se dégrade rapidement, et à 86 ans, Berlusconi meurt des suites de sa pneumonie et de sa leucémie.
Une nouvelle façon de faire de la politique : le populisme
De nombreuses questions restent en suspens concernant la carrière professionnelle et politique de Silvio Berlusconi, notamment concernant les véritables raisons de son lancement en politique, les détails de la naissance de son parti politique ou encore le nombre exact de lois ad personam qu’il a fait promulguer par le Parlement.
On peut aussi se demander comment a-t-il eu cette « insolente popularité », comme le titrait Le Monde en 2009, comment a-t-il pu susciter l’adhésion populaire et avoir une telle longévité dans la vie politique, jusqu’à être réélu sénateur de la circonscription de Lombardie en 2022 ?
On peut déjà évoquer le fonctionnement de Forza Italia, dont les premiers cadres sont des dirigeants de la Fininvest. Berlusconi s’assurait ainsi d’un grand soutien et d’une fidélité des membres de son parti politique, puisqu’il s’agit également de ses salariés.
Le politologue français Pierre Musso évoque aussi un contexte politique intérieur favorable au succès de Berlusconi : une bipolarisation de la vie politique, avec une alliance très forte des partis de droite, et en revanche, une plus forte division des partis de gauche et de centre-gauche.
Concernant la popularité du multimilliardaire auprès des italiens, l’historien Giovanni Orsina et le politologue Gianfranco Pasquino avancent deux grands facteurs d’explication.
D’abord, Silvio Berlusconi est à l’origine d’une nouvelle forme de populisme, s’appuyant notamment sur sa mainmise sur les médias italiens. Il se réclamait comme la voix du peuple, et adoptait un discours d’opposition entre les ménages italiens et les élites politiques du pays. Cela, pour affirmer par la suite qu’il était celui qui était le plus proche de ses concitoyens.
Le second argument tient à une identification forte des italiens à ce qu’incarne Silvio Berlusconi. Giovanni Orsina évoque une « italianité droguée à la télé paillettes, avide de fric, portée sur l’illégalité, indulgente à l’égard de la corruption et viscéralement hostile à l’Etat » portée par un homme vu comme un « self-made man », – soit quelqu’un dont le succès serait avant tout lié à ses actions et ses décisions plutôt qu’à d’autres facteurs, notamment la condition sociale – qui représenterait « une autobiographie de la nation ».
La politique italienne d’aujourd’hui a été profondément influencé par Berlusconi, et en est au moins partiellement le résultat. Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’Histoire contemporaine à Paris 8, évoque que ce dernier « a érigé le populisme en système de gouvernement et a contribué à dédiaboliser l’extrême droite dès 1994, lorsqu’il est devenu pour la première fois président du Conseil. » et que « tout cela annonçait le système politique actuel avec l’extrême droite au pouvoir ».
Quelques liens et sources utiles
Ridet, P., & Gautheret, J. (2023, 12 juin). Silvio Berlusconi, figure majeure de la droite italienne, est mort. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2023/06/12/silvio-berlusconi-figure-majeure-de-la-droite-italienne-est-mort_6177250_3382.html
Ravaz, B. (2009). Le populisme de Berlusconi ou les recettes de la popularité durable. Pouvoirs, 131(4), 149-161. https://doi.org/10.3917/pouv.131.0149.
Orsina, G. (2018). Le berlusconisme dans l’histoire de l’Italie (pp. 1-329). Les Belles Lettres.