Si la charlotte a longtemps été considérée comme un dessert un peu désuet, elle revient aujourd’hui progressivement sur le devant de la scène culinaire. Entre technique, raffinement et surtout gourmandise, la charlotte a traversé de nombreux siècles, ce qui fait d’elle un fleuron de la cuisine internationale. Retour sur l’histoire d’un dessert aux mille visages.
Origines historiques
C’est en Angleterre au XVIIIe siècle que la charlotte a vu le jour. En 1747, dans son livre L’art de la cuisine rendu simple et clair, la cuisinière Hannah Glasse évoquait déjà un plat intitulé “Pulpton of apples”. Plat cuit au four à base de viande ou de fruits, il s’agit ni plus ni moins que de l’ancêtre de la charlotte.
Par la suite, la recette se développe, et John Simpson ainsi que Maria Rundell mentionnent dans des livres publiés en 1806 et en 1807 la recette d’une charlotte aux pommes. À l’époque, cela ressemble toutefois surtout à un pudding rustique, composé de tranches de pain de mie beurrées garnies d’une compote de pommes que l’on cuisait lentement au four.
Le nom de “charlotte” serait quant à lui inspiré de la reine Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, reine consort de Grande-Bretagne entre 1761 et 1818, qui était connue pour sa passion pour l’horticulture, et plus précisément pour les pommiers qu’elle faisait pousser dans les jardins royaux.
Mais la charlotte telle que nous la connaissons aujourd’hui est l’œuvre du pâtissier français Antonin Carême. En 1814, celui-ci fuit en Angleterre à la suite de la chute de Napoléon, et se met au service du prince régent. Il découvre alors ce dessert populaire qui servait notamment à utiliser les restes de pain, et décide une fois de retour en France d’en faire une version froide et stylisée pour Talleyrand.
Il décide ainsi de remplacer le pain par des biscuits à la cuillère, et de changer la compote de pommes par une crème bavaroise, composée de crème anglaise, de gélatine et de crème fouettée. Carême supprime également toute cuisson, et crée donc officiellement la “charlotte à la parisienne”, qui devient plus tard “charlotte à la russe” lorsque le cuisinier part travailler pour le tsar Alexandre Ier.
L’art de la composition : entre technique et créativité
Si la charlotte a autant marqué l’histoire de la pâtisserie, c’est grâce à sa composition précise, qui permet à terme de marier harmonieusement une large diversité de textures.
La structure traditionnelle de la charlotte se base d’abord sur le moule, dont la forme cylindrique et les bords évasés accueillent l’ensemble de la préparation. À l’intérieur de celui-ci, se déploient tout autour des biscuits à la cuillère. Ces derniers sont privilégiés par rapport aux boudoirs, parce qu’ils ont une texture aérienne et moelleuse liée à l’usage de blancs en neige, là où les boudoirs sont quant à eux créés à partir d’œufs entiers, ce qui les rend plus secs et lourds. Le saupoudrage de sucre glace, appliqué traditionnellement en deux fois à cinq minutes d’intervalle, est aussi d’une importance capitale pour le visuel de la charlotte.
Ensuite, toute l’âme du dessert repose dans sa crème bavaroise. Sa fabrication est très délicate, parce qu’elle nécessite une crème anglaise portée à exactement 82°C, une gélatine incorporée avec précision, et une crème fouettée intégrée avec minutie à l’ensemble pour ne pas porter atteinte à la légèreté de la charlotte. Avec le temps, la bavaroise s’est modernisée pour inclure par exemple de la vanille, du chocolat noir ou encore des fruits de saison.
Évolution au fil du temps
Si la charlotte froide fut au départ surtout réservée à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie européenne, elle devient dans les années 1950 à 1980 un dessert populaire, notamment en France et en Suisse.
Elle perd toutefois en popularité à la fin des années 1990, car perçue comme trop rustique et peu visuelle. Dépassée par la pâtisserie dite “de vitrine” (entremets glacés, dômes, tartes fines…), la charlotte fut ainsi reléguée quelque temps à une place mineure dans la pâtisserie.
L’essor de nouveaux pâtissiers ainsi que l’apparition de concours de cuisine télévisuels ont toutefois permis en France de remettre dans les années 2010 la charlotte au goût du jour, car elle a pu être revisitée via de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques pour apparaître moins lourde.

Les charlottes exotiques côtoient par exemple désormais dans les vitrines les classiques charlottes aux fraises et aux framboises, tandis que le format verrine devient de plus en plus populaire.
Face à la recherche de plus en plus accrue de naturalité dans les ingrédients, ainsi que la demande d’adaptation de plus en plus forte à des régimes alimentaires spécifiques, la charlotte s’est aussi réinventée pour être végan (génoise sans œufs, agar-agar), sans gluten (biscuits à base de farine de riz ou d’amande), et même salée.
En bref, la charlotte est aujourd’hui plus que jamais un dessert ambassadeur de l’Hexagone. Ce dessert se distingue en effet des autres par le contraste entre la simplicité de ses ingrédients et la complexité de son montage, et incarne en ce sens parfaitement la classe à la française. Entre tradition visuelle et modernité gustative, la charlotte prouve ainsi qu’un grand classique culinaire n’est jamais figé mais toujours en constante réinvention.
Quelques liens et sources utiles :
Catherine Méry, Craquez pour les charlottes !: 30 recettes sucrées et salées, Mango, 2010
Hannah Glasse, The Art of Cookery Made Plain and Easy: The Revolutionary 1805 Classic, Dover Publications Inc, 2015