Les archives occupent aujourd’hui une place essentielle dans le domaine politique. Qu’elles soient publiques ou privées, elles permettent par exemple de garantir la continuité des politiques menées. Autrement plus intéressantes, elles permettent de documenter la politique menée. Mieux encore, elles sont la garantie pour le citoyen que le politique est redevable envers le peuple de son action car celle-ci est documentée.
Il est donc primordial que ces documents soient conservés, à commencer par les documents de la présidence de la République. Si aujourd’hui la situation est stabilisée, durant une longue partie de notre histoire, la chose a été bien plus ambiguë.
Quel bilan historique pour les archives des dirigeants ?
Pendant longtemps, les papiers de dirigeants politiques ont été un aspect négligé dans la conservation. Si l’on jette un œil sur les siècles précédents, on voit que c’est la volonté qui a longtemps empêché la mise en place d’un système précis.
Avec les papiers d’États par exemple, qui concernent aussi bien l’administratif que le politique, le pouvoir fait en sorte de les collecter afin de les conserver. Dès 1504, Louis XII décide que les papiers relatifs au domaine royal que des particuliers détiennent soient déposés au trésor des Chartes, lieu où les titres royaux ou actes étaient conservés à partir de Philippe Auguste.
Cette première préoccupation n’est pas suivie de beaucoup d’effets étant donné l’affaiblissement que le pouvoir royal connaît au XVIe siècle et c’est alors une sorte de privatisation de ces documents qui rentrent dans les mœurs.
Une autre tentative doit être notifiée, par le cardinal de Richelieu au XVIIe siècle afin de mieux contrôler ces documents. C’est par un arrêt du Conseil du Roi, daté du 23 septembre 1628, qu’il établit la remise de ces papiers liés à l’État. Mais la décision ne permet rien de concret et le législateur est d’ailleurs le premier à esquiver cette obligation.
Nouvelle tentative sous Louis XIV, qui permet de mieux encadrer ces documents, mais sans systématiser la chose. Malgré la Révolution française, la situation demeure floue, car rien n’est précisément décidé.
C’est donc un flou légal qui subsiste donc pendant plus d’un siècle ensuite. Certains hommes politiques ont évidemment essayé de résoudre ce problème de dispersion des documents, comme Léon Blum. Il propose un projet de loi en 1936 afin de garantir la propriété de l’État sur ces documents et donc permettre de leur conservation.
Néanmoins, la loi est un échec et aucune suite ne lui est donnée.
Vers le dépôt des archives présidentielles
C’est au début de la Ve République que l’on constate un premier effort à ce sujet, mais assez incertain tout de même. Charles de Gaulle portait un intérêt à la question et s’interroge sur l’avenir de ses documents, et précise en conséquence que quelqu’un soit chargé de la gestion de ces derniers dès 1961.
Les premiers dépôts : De Gaulle et Pompidou
Si à son départ en 1969 ces archives sont divisées entre la rue de Breteuil et la rue de Solférino (où se trouve l’actuelle Fondation Charles de Gaulle qui contient des archives), il est d’accord pour faire don de ses archives.
Il précise d’ailleurs au directeur des Archives de France de l’époque, André Chamson de « remettre un jour aux Archives nationales tout ce qui a le caractère de documents d’État, comme je l’ai fait pour mes archives de guerre ».
Ainsi, de 1971 à 1985, les archives du général seront progressivement versées.
Avec Georges Pompidou, la situation évolue un peu plus. L’intérêt personnel de l’homme est visible, comme en témoigne une note d’Henri Domerg, conseiller culturel du président, où Pompidou écrivait :
Il faut en effet collecter les documents annotés de ma main et que quelqu’un de qualifié les classe en me soumettant ceux pour lesquels il aurait des doutes quant à l’opportunité de leur donner un caractère d’archives.
Note de Georges Pompidou à Henri Domerg
Mais la mort du président le 2 avril 1974 change la situation et les archives sont alors déplacées et progressivement déposées. Le plus intéressant est que ce dépôt concerne à la fois les documents du président mais aussi ceux des collaborateurs de ce dernier.
On a donc un fonds d’archives assez complet qui regroupe à la fois les documents du président et de ses plus proches conseillers, permettant une meilleure compréhension.
La révolution giscardienne
Le mandat de Valéry Giscard d’Estaing a été l’occasion de progrès dans de nombreux domaines en France et les archives n’y échappent pas. Il y a déjà la loi de 1979 d’une importance majeure pour le monde des archives.
Néanmoins, celle-ci ne règle pas le problème des archives présidentielles. C’est autrement que la chose est débloquée.
Le président a d’ailleurs écrit vouloir « que ces sept années laissent derrière elles une trace incontestable, vérifiable, non manipulée de l’ensemble des réflexions et des décisions qui avaient été prises au cours de cette période ».
Il avait déjà été ministre auparavant et donc avait dû se questionner sur le sujet des archives.
C’est sous son mandat que l’Élysée se dote de son premier en la personne de Perrine Canavaggio, qui était alors déjà en poste au ministère de l’Intérieur. Cela signait le début d’un véritable service d’archives, qui était au stade embryonnaire, avec l’aide d’une bibliothécaire.
Mais plusieurs problèmes se posent face au souhait de Valéry Giscard d’Estaing. Une fois son mandat terminé, il redevient un simple citoyen et se pose alors la question de l’accès à ses propres archives : peut-il garder cet accès ?
La loi pose un problème, ainsi, un contrat privé a été signé le 25 octobre 1979, qui comprenait à la fois les documents du président mais aussi ceux de ses collaborateurs. Il prévoyait qu’au bout de 60 ans, les archives seraient propriété de l’État et que le président avait un droit d’accès permanent aux documents tout en pouvant décider ou non la consultation pour le public.
La pérennisation d’une pratique
Cette pratique est importante car elle signe le début d’une véritable pratique de dépôt, bien qu’elle ne soit pas en total accord avec la loi. Ce contrat évolue d’ailleurs : contrat de dépôt en 1979, il devient protocole de versement en 1982, puis contrat de versement en 1983 et finalement protocole de remise en 1986. La forme persiste, bien que quelques détails évoluent au fur et à mesure.
La plus grande évolution de ce procédé est qu’il est ensuite appliqué aussi à des ministres ou autres collaborateurs qui étaient alors un peu mitigés à l’idée de déposer leurs archives. Un tel protocole a permis en même temps de sensibiliser le public politique à ses archives et de récupérer de nombreux documents qui pouvaient être perdus par la suite.
Enfin, c’est avec Jacques Chirac que les archives présidentielles sont finalement considérées comme « des archives publiques soumises aux dispositions du Code du patrimoine », finalisant la publicité de ces documents et la possibilité de les disperser. En concorde, la loi de 2008 vient rendre légale cette pratique du contrat en l’introduisant précisément dans le texte.
Ainsi, on voit que les archives présidentielles sont aujourd’hui des documents bien mieux conservés qu’auparavant. Si cette révolution est récente, elle est salutaire car elle permet une plus grande prise en charge de ces documents essentiels pour la vie démocratique. Les archivistes ont eu un rôle central dans ce processus, étant donné qu’ils ont fait en sorte d’adapter la pratique aux besoins et aux attentes du monde politique.
Quelques sources et liens utiles
Association des archivistes français, Les archives des hommes politiques contemporains. Actes du colloque « Action, mémoire et histoire. Les Archives des hommes politiques contemporains », organisé par l’Association des archivistes français (AAF) les 20 et 21 octobre 2006 à Paris, au palais du Luxembourg, Paris, Gallimard, 2007, 384 p.
CANAVAGGIO Perrine, « Les archives des cabinets ministériels et leur collecte : problèmes et propositions », La Gazette des archives, n° 119, 1982, p. 266-283.
CORNU Marie, NOUGARET Christine, POTIN Yann, RICARD Bruno et WAGENER Noé, sous la dir. de, 1979. Genèse d’une loi sur les archives, Paris, La documentation française, 2019, 731 p.