Les années 1960 et 1970 constituent une période de contestations aux États-Unis, marquée par la dénonciation de la guerre au Vietnam, le Black Power, le Brown Power, et le mouvement féministe. Parmi ces voix contestataires, le Red Power trouve également sa place.
Naissance du mouvement
Minorité marginalisée en Amérique du Nord, les Amérindiens ont vu leurs territoires accaparés par les colons, leurs populations massacrées, leurs traités bafoués, et leurs cultures attaquées tout au long de l’histoire des États-Unis.
Bien que les peuples autochtones aient résisté à de nombreuses reprises, le XIXe siècle les a affaiblis, et les États-Unis pensaient avoir résolu le « problème indien » par une politique violente envers leurs droits, intégrité et culture. Cependant, un mouvement de résistance renaît dans les années 1960 et 1970, alimenté par un renouveau de la culture et de l’identité amérindienne. L’Amérique, surprise de ce regain, voit alors un peuple trop souvent oublié et considéré comme évanoui, réaffirmer ses revendications et positions avec ardeur, notamment à travers le Red Power.
Face aux discriminations et injustices systémiques, le mouvement de revendication et de résistance s’organise peu à peu afin de faire respecter leurs droits et éveiller les consciences. Cette organisation adopte des formes plus modernes, comparées aux résistances indiennes du passé, et se manifeste notamment par la création de l’American Indian Movement (AIM) en 1968, organisation phare du mouvement amérindien.
L’AIM a d’abord lutté contre les injustices raciales et les violences policières à Minneapolis, où l’organisation est née. Elle s’est ensuite penchée sur les conditions de vie et la situation sociale et économique des autochtones dans leurs réserves, zones profondément touchées par la pauvreté, les addictions, le suicide et la criminalité.
Devenue une association nationale, l’AIM a développé son influence au-delà du cadre tribal et a attiré la sympathie de nombreux Amérindiens qui se sont reconnus dans ce mouvement.
Le mouvement de revendication amérindien a également pu s’appuyer sur une solidarité avec des militants et organismes afro-américains, ainsi qu’avec des écologistes. Des figures emblématiques du Black Power, telles qu’Angela Davis, ont apporté leur soutien, notamment lors d’opérations spectaculaires comme des occupations de territoires.
Parallèlement, une solidarité internationale se développe, et un mouvement mondial autochtone naît dans les années 1970. Les Amérindiens nord-américains s’ouvrent progressivement aux autres peuples autochtones et tentent d’intégrer leurs revendications et leur lutte dans un mouvement plus global de combat des minorités contre l’oppression.
En 1974, l’organisation International Indian Treaty Council est créée pour défendre à l’échelle internationale les droits des peuples autochtones, leur culture et leurs territoires. Cette organisation représentative des Amérindiens a obtenu un statut de voix consultative aux Nations Unies en 1977, marquant une reconnaissance importante de leurs efforts et de leur impact au niveau international.
Les luttes menées
Les Amérindiens mènent leurs luttes sur plusieurs fronts et de différentes façons. Si certains adoptent des méthodes violentes pour faire entendre leurs revendications, d’autres utilisent des outils différents.
L’utilisation de la violence par le Red Power
Dans le but de revendiquer leurs droits et de faire connaitre leur combat afin de sensibiliser le public, les autochtones ont pu mener des opérations spectaculaires, parfois violentes, qui ont surpris l’Amérique.
Ce genre de soulèvements ponctuels n’est cependant pas un moyen de résistance nouveau utilisé par les Amérindiens. Plusieurs évènements passés démontrent en effet qu’ils ont pu se soulever et utiliser la violence comme outil de résistance. Les « guerres indiennes » et guérillas en sont surement l’exemple le plus connus avec leurs figures majeures de guerriers tels que Geronimo, Sitting Bull et Crazy Horse. Les Amérindiens ont donc l’expérience du passé, un passé qu’ils font notamment revivre en utilisant des symboles évocateurs.
Parmi les exemples d’utilisation (plus modérée) de la force, le plus symbolique est certainement l’occupation de Wounded Knee en 1973. Territoire situé en Dakota du Sud, Wounded Knee fut le théâtre d’un massacre de grande ampleur perpétré par l’armée américaine en 1890. Près de 300 Sioux y furent tués brutalement. C’est sur territoire, symbolique d’une répression violente, qu’a lieu en 1973 une occupation de deux mois par des militants membres de l’AIM et des Sioux Oglaglas.
Wounded Knee est situé dans la réserve oglala de Pine Ridge, un des îlots restant du territoire sioux qui a progressivement été morcelé par la colonisation. Profondément touchée par la pauvreté, cette réserve représente bien la situation sociale et économique présente dans la plupart des réserves : le chômage, l’alcoolisme, les suicides y sont galopants. L’injustice règne aussi dans la réserve, de même que la corruption.
Les militants indiens occupèrent alors ce territoire pendant 71 jours afin d’obtenir de la part du gouvernement une enquête sur les violations des traités indiens et sur la gestion du Bureau of Indian Affairs (BIA), administration responsable de la relation entre les États-Unis et les peuples autochtones, alors très critiqué. Assiégés par un dispositif militaire important, les militants ressentent cependant une exaltation profonde, alors partagée par les tribus nord-américaine. Cet évènement spectaculaire fait l’objet d’une médiatisation importante et surprend l’opinion américaine.
Durant ces deux mois d’occupation, plusieurs affrontements épisodiques ont eu lieu sans jamais mener à de réels combats et faits d’armes. Lors de coups de semonce, quelques personnes furent blessées et trois morts sont dénombrés. Des négociations, avantageuses en apparence pour les Amérindiens, ont alors permis de mettre fin à l’occupation. Si un accord fut trouvé en mai 1973, l’occupation de Wounded Knee s’avéra cependant être un échec.
Effectivement, cet accord ne fut jamais mis en œuvre et plus de 200 personnes furent arrêtées. Plusieurs meurtres douteux ont aussi eu lieux contre des dirigeants de l’AIM à la suite des hostilités. Cependant, c’est au niveau symbolique que se trouvait la victoire. En effet, cet évènement a permis de sensibiliser le public, national et international, à la cause amérindienne et a pu, grâce à la combativité des « guerriers indiens », redonner un certain espoir et une fierté aux tribus.
D’autres épisodes de ce genre ont eu lieu tels que l’occupation pacifique de l’île d’Alcatraz en 1969 ou encore celle du BIA en 1972. Au travers de ces évènement, les militants amérindiens portent plusieurs réclamations dont une des principales est le respect des traités. Ces actions coup de poing sont aussi accompagnées de manifestations plus pacifistes, les militants et tribus on pu notamment utiliser la justice afin d’atteindre leurs objectifs.
La lutte pour le respect des traités et des droits
Au cours de son histoire, les États-Unis ont signé plus de 350 traités avec les populations amérindiennes. La plupart étaient négociés sous la contrainte et consistaient à assurer la souveraineté des tribus amérindiennes sur des territoires progressivement mais largement réduis.
Cependant, ces traités n’ont pas été respectés par le gouvernement américain et les Amérindiens ont vu leurs droits et territoires accaparés et morcelés. A partir des années 1940, le gouvernement américain mena une politique consistant au démantèlement de la souveraineté amérindienne. Cette Indian termination policy prive alors les tribus autochtones de leur statut particulier et met en danger leur culture et traditions liées aux territoires.
Le mouvement amérindien s’organise alors surtout à partir des années 1960 et œuvre pour le respect des traités. En 1972, le mouvement Trail of Broken Treaties, caravane de militants amérindiens partis de l’ouest des États-Unis pour rejoindre le BIA à Washington, porta notamment cette revendication. Si des manifestations unies comme celle-ci ont pu voir le jour, des actions plus fractionnées et ciblées ont aussi participer à la lutte pour le respect de la souveraineté.
En effet, certains militants ont par exemple pu porter des affaires devant les tribunaux et cours du pays dans le but de condamner des États fédérés ne respectant pas les droits des autochtones sur les ressources naturelles (pêche et chasse entre autres). Dans plusieurs affaires portées même jusqu’à la Cour Suprême, les militants et tribus ont pu obtenir gain de cause.
Les Amérindiens se sont donc opposés à la négation de leur souveraineté sur plusieurs fronts. Si le Red Power consiste à une lutte pour leurs droits, c’est aussi une période de réaffirmation de leur identité et de leur culture.
Le Red Power et le renouveau de l’identité amérindienne
Le combat pour le respect de la souveraineté des Amérindiens est essentiellement un moyen de préserver leurs particularités culturelles et traditionnelles. La sauvegarde du statut particulier des autochtones est cruciale pour la survie de leur identité, car le maintien de leur souveraineté est nécessaire à la préservation de leur « spiritualité« , un concept et une philosophie profondément liés au territoire. Revendiquer cette souveraineté est donc pour les Amérindiens un moyen de sauvegarder leur mode de vie.
Ce mouvement de revendication suscite également un sentiment de fierté, en particulier chez les jeunes générations, qui renouent avec les traditions et l’identité amérindienne. Les résistances ont conduit à un renouveau de l’enthousiasme pour les rites traditionnels amérindiens, tels que les pow-wows, des événements de célébration culturelle.
De nombreux Amérindiens, y compris ceux vivant dans les villes et potentiellement plus éloignés des réserves, se retrouvent dans ce mouvement de contestation et de réaffirmation culturelle, luttant contre l’acculturation et renforçant leur appartenance à leur héritage ancestral.
Bien que le mouvement Red Power ait conduit à certaines avancées, les Amérindiens sont aujourd’hui encore confrontés à de profondes discriminations et à une injustice palpable en Amérique du Nord. Les populations autochtones continuent de militer pour la défense de leur souveraineté et de leur identité. De nombreux mouvements amérindiens ont été initiés pour défendre leurs droits, leur souveraineté et leur identité, comme Idle No More, qui en 2012 et 2013 a combattu une politique canadienne jugée préjudiciable à leurs droits et à l’environnement.
De nombreuses initiatives émergent également dans le but pour les Amérindiens de renouer avec leur culture et de sensibiliser le public ainsi que les jeunes générations d’autochtones à leurs traditions afin de préserver leurs spécificités culturelles. Les réseaux sociaux sont devenus une plateforme de choix pour les militants désireux de sensibiliser à leurs problématiques actuelles, mais aussi de promouvoir leur culture et leurs traditions.
Enfin, les autochtones nord-américains occupent une place de plus en plus marquée dans les arts, comme la littérature et le cinéma, où ils représentent fièrement leur culture.
Quelques liens et sources utiles
Angie Debo et Alain Deschamps, Histoire des Indiens des États-Unis, Paris, Albin Michel, 1996.
Élise Marienstras, La résistance indienne aux États-Unis: XVIe-XXIe siècle, Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 2013.
Joëlle Rostkowski, Le Renouveau indien aux États-Unis, coll. « Terre indienne », Paris, Albin Michel, 2001.
Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski, Les Indiens Dans l’histoire Américaine, Paris, A. Colin, 1996.