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La destruction des archives : entre déni et réconciliation mémorielle

Pourquoi détruire des archives ? C’est ici sur le cadre mémoriel que nous allons insister au travers de quelques exemples.
Illustrations de la Chronique de Nuremberg par Hartmann Schedel (1440-1514) | Domaine public
Illustrations de la Chronique de Nuremberg par Hartmann Schedel (1440-1514) | Domaine public

En juillet 2023, l’ancien maire de Villeneuve-sur-Yonne, Cyril Boulleaux, était accusé, avec plusieurs membres de son administration, d’avoir organisé la destruction de documents d’archives. S’il est finalement relaxé, une personne, l’ancienne directrice des Services généraux est reconnue coupable.

Dès lors, cette destruction pose une question centrale : qu’est-ce motive une personne, physique ou morale, à ordonner la destruction d’archives ? C’est ici sur le cadre mémoriel que nous allons insister au travers de quelques exemples.

Le Parti socialiste : construire le futur sans passé ?

Les archives sont très fréquemment associées à la notion de mémoire, et pour cause, elles en sont une des incarnations matérielles. Dans le domaine de la politique, les archives ont parfois du mal à se faire une place et ce pour différentes raisons : désintérêt, manque de moyens…

En bref, elles sont souvent la dernière roue du carrosse. Il arrive cependant qu’elles puissent servir l’idéologie d’un parti. L’organisation de la collecte est alors un enjeu mémoriel et historique et certains partis n’hésitent pas à dialoguer activement avec les services d’archives pour organiser leur conservation : c’est le cas du Parti communiste français.

Au Parti socialiste (PS), si la Fondation Jean-Jaurès y joue aujourd’hui un rôle crucial, on constate que par le passé, les archives ont eu une portée symbolique et mémorielle.

Photographie de François Mitterrand en 1968 | Domaine public
Photographie de François Mitterrand en 1968 | Domaine public

Lorsque François Mitterrand devient premier secrétaire du PS en 1971 avec le congrès d’Épinay, les relations sont tendues avec certains de ses adversaires, en l’occurrence les partisans de Guy Mollet. C’est ce dernier qui fonde en 1969 l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS), qui s’intéresse aussi bien à la recherche qu’à la conservation de documents et ouvrages relatifs à l’histoire socialiste.

Or, en 1980, lorsque les archives de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) (qui fusionne avec d’autres mouvements de gauche pour devenir le PS en 1969) sont envoyées à l’OURS, on constate un manque : la sténotypie des congrès de 1950 à 1971 d’un côté et les correspondances des fédérations de 1959 à 1971 de l’autre. Se pose alors la question de ce manque, qui supprime une partie du passé de l’ancien parti tenu par Guy Mollet de 1946 à 1969 alors qu’il existait des tensions entre celui-ci et François Mitterrand.

S’il est difficile de véritablement connaître les motivations d’une telle disparition, la coïncidence est troublante. Elle semble témoigner d’un refus symbolique, mais aussi physique, d’une filiation avec un parti, voire de ses membres.

Au contraire, lorsqu’il y a une véritable volonté de documenter, de conserver, des initiatives sont prises. La preuve avec les archives du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti du général de Gaulle. Les dossiers du parti ont été minutieusement conservés (le général lui-même avait une sensibilité pour ces archives), ce qui représente plus de 830 cartons d’archives. Cela témoigne bien de l’utilisation militante de la mémoire, qui peut passer aussi bien par la conservation que la destruction.

Les dossiers d’opinion grecs : faire nation par la destruction du passé

En Grèce, l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition politique, composée de la droite de Konstantinos Mitsotakis et de la gauche post-communiste de Charilaos Florakis, provoqua le départ du Mouvement socialiste panhellénique (PASOK) en 1989. Dès lors, s’ouvrit une séquence politique particulièrement propice pour constater les effets de la destruction d’archives. Avec leur volonté de panser les plaies du conflit civil grec du milieu du XXe siècle, alors toujours sensible, les nouveaux dirigeants essayèrent d’instaurer une plus grande égalité entre les citoyens et éviter que les divisions ne naissent une nouvelle fois.

Cette réconciliation doit notamment passer par la destruction des dossiers individuels d’opinions politiques des citoyens grecs : ce sujet était alors assez sensible. Certains souhaitaient les garder, soit pour prouver leur parcours, soit pour la recherche et documenter l’histoire, même dans ses passages les plus controversés : c’était notamment le cas des historiens et archivistes.

Mais d’un autre côté, les partisans de l’élimination étaient assez nombreux aussi. Pour eux, détruire les archives, c’était éviter tous les futurs litiges basés sur ces documents, qui contenaient parfois des informations sensibles. De même, la confiance envers le pouvoir était tellement ébranlée, que les promesses de respect de la confidentialité qu’il pouvait proposer n’inspiraient aucune confiance.

Konstantinos Mitsotakis, alors ministre des Affaires étrangères de Grèce, à la tribune de l'ONU en 1980 | Domaine public
Konstantinos Mitsotakis, alors ministre des Affaires étrangères de la Grèce, à la tribune de l’ONU en 1980 | Domaine public

Ainsi, pour répondre à ce besoin symbolique, le pouvoir nouvellement installé a organisé la destruction de ces archives. Plutôt que de garder cette menace perpétuelle dans des cartons, en risquant le scandale à tout moment, le pouvoir grec a jugé préférable de les faire disparaître, bien que cela se fasse au détriment de l’histoire. En bref, comme le dit l’historien Vangelis Karamanolakis :

« L’envie de connaître le passé a été chassée par la peur des conséquences de cette connaissance, mais aussi par la fatigue d’un monde qui souhaitait tourner la page : la distance temporelle, la réparation morale et matérielle de la gauche, la réminiscence d’un passé encombrant. »

Les conflits d’archives, Vangelis Karamanolakis

C’est alors toute une cérémonie qui est ordonnée. La mémoire est purifiée par le feu. Il vient libérer la mémoire et oblitère les souvenirs des conflits qui pèsent toujours sur l’union nationale grecque. Néanmoins, pour garantir une mémoire, une trace, aussi minime soit-elle, 2 500 dossiers sont conservés. Après plusieurs modifications du délai de communicabilité des documents, c’est finalement en 2016 qu’un arrêté annonce la mise à disposition des dossiers aux membres des familles d’abord, puis aux chercheurs dans un second temps.

Ce qu’il convient de retenir de nos deux exemples, c’est comment les archives conditionnent la mémoire et l’usage que l’on a d’elle. Elles matérialisent cette dernière sous différentes formes, et dès lors, le traitement qu’on réserve auxdits documents nous renseigne sur le désir du protagoniste : cherche-t-on l’hommage mémoriel ou bien le mémoricide ? De même, l’exemple grec que nous avons donné redouble d’intérêt, car c’est une démocratie et non un régime répressif comme l’Espagne franquiste qui détruisit des archives pour éviter des incriminations futures. Cela doit toujours nous inciter à réfléchir au contexte d’un choix pour l’appréhender le plus historiquement possible.

Quelques liens et sources utiles

PÉQUIGNOT Stéphane et POTIN Yann (dir.), Les conflits d’archives. France, Espagne, Méditérranée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2022.

RIGLET (Marc), « Les partis politiques ont-ils perdu la mémoire ? », L’Histoire, n° 93, 1986, p. 64-69.

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