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Avortement en Amérique latine : état des lieux

La lutte pour le droit à l'avortement en Amérique latine est encore un combat, soumis à de fortes pressions culturelles et religieuses.
Marche à l'occasion de la Journée Mondiale du droit à l'avortement, Buenos Aires - 28 septembre 2018 | Creative Commons BY 4.0.
Marche à l’occasion de la Journée Mondiale du droit à l’avortement, Buenos Aires – 28 septembre 2018 | Creative Commons BY 4.0.

Ce jeudi 28 septembre 2023, à l’occasion de la Journée Mondiale pour le droit à l’avortement, une vague verte a déferlé sur l’Amérique Latine, symbolisant l’espoir et la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur propre corps.

La couleur verte est devenue emblématique de ce mouvement, représentant la quête de l’autonomie reproductive et de l’égalité des sexes dans une région où de nombreuses femmes ont été longtemps privées de ces droits fondamentaux. Des manifestations massives ont éclaté dans tout le continent, mettant en lumière les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes dans leur quête de contrôler leur propre corps et leur propre destin.

Le poids de la religion face à l’avortement en Amérique Latine

Pour comprendre la situation actuelle du droit à l’avortement en Amérique latine, il est essentiel de remonter dans le temps. L’histoire de la colonisation a laissé une empreinte indélébile sur la région, introduisant des valeurs et des systèmes de croyances qui ont fortement influencé le statut des femmes.

L’évangélisme a joué un rôle prédominant dans la propagation du conservatisme religieux, ce qui a contribué à l’oppression des femmes et à la restriction de leurs droits reproductifs.

Manifestation de soutien à Mexico pour la légalisation de l'avortement en Argentine, "la maternité est la décision de chaque femme" - 8 août 2018 | Creative Commons BY 4.0.
Manifestation de soutien à Mexico pour la légalisation de l’avortement en Argentine, « la maternité est la décision de chaque femme » – 8 août 2018 | Creative Commons BY 4.0.

Au fil des siècles, les sociétés latino-américaines ont intégré ces croyances, créant des normes sociales profondément ancrées qui ont entravé la liberté de choix des femmes en ce qui concerne leur propre corps.

Le poids de la religion en Amérique latine a profondément influencé les politiques et les normes sociales, notamment en ce qui concerne le contrôle du corps des femmes.

Les répercussions de cette influence religieuse sont particulièrement évidentes dans le domaine du droit à l’avortement. En effet, systématiquement, la domination et le contrôle ont été exercés sur le corps des femmes à travers des arguments religieux et politiques, même si l’avortement est un choix intime et un droit fondamental à disposer de son propre corps.

L’Église catholique, en particulier, exerce une influence considérable en Amérique latine, où une grande majorité de la population se déclare catholique. Les dirigeants religieux ont souvent utilisé leur position pour promouvoir des politiques anti-avortement, en invoquant des croyances religieuses et en qualifiant l’avortement de péché. Par exemple, le pape François, originaire d’Argentine, a exprimé son opposition ferme à l’avortement, déclarant que « l’avortement est le meurtre de l’innocent à naître » et encourageant les responsables politiques à s’opposer à toute législation pro-choix (en faveur du choix des femmes, opposés aux pro-vie, contre l’avortement).

En plus de l’Église catholique, les groupes évangéliques gagnent également en influence en Amérique latine. Leur perspective conservatrice sur les questions de moralité et de famille a conduit à une opposition virulente à l’avortement. Par exemple, le pasteur évangélique Miguel Núñez, en République dominicaine, a déclaré que l’avortement est « un crime contre Dieu » et a plaidé en faveur de lois plus restrictives dans son pays.

Sur le plan politique, de nombreux hommes politiques latino-américains ont également alimenté le débat contre l’avortement. Le président du Salvador, Nayib Bukele, a publiquement affirmé que l’avortement ne serait pas légalisé sous son mandat, malgré les pressions internationales pour assouplir les lois strictes du pays. De même, l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro a été un fervent opposant à l’avortement, le qualifiant de « crime » et promettant de renforcer les restrictions.

Symbole de la Campagne nationale pour un avortement légal, sûr et gratuit lors de la marche du 8 mars 2018 à Buenos Aires, Argentine | Creative Commons BY 4.0.
Symbole de la Campagne nationale pour un avortement légal, sûr et gratuit lors de la marche du 8 mars 2018 à Buenos Aires, Argentine | Creative Commons BY 4.0.

Ces pays qui font bouger les choses

Cependant, au cours des dernières décennies, certains pays d’Amérique latine ont fait des progrès significatifs en matière de droit à l’avortement.

1. L’Argentine : En décembre 2020, l’Argentine a marqué un moment historique en devenant le premier pays majeur d’Amérique latine à légaliser l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse. Cette décision a été saluée comme une victoire majeure pour les droits des femmes et a été le fruit d’une mobilisation intensive des groupes féministes.

2. L’Uruguay : En 2012, l’Uruguay a adopté une loi qui a décriminalisé l’avortement jusqu’à la 12e semaine de grossesse. Cette avancée a permis aux femmes uruguayennes de bénéficier d’un accès plus sûr et plus légal à l’interruption de grossesse.

3. Le Mexique : En 2023, le Mexique a fait un bond de géant en dépénalisant et décriminalisant l’avortement dans tout le pays. Cela marque une évolution majeure dans un pays où les lois variaient considérablement d’un État à l’autre.

4. La Colombie : En 2006, la Cour constitutionnelle de Colombie a légalisé l’avortement dans trois circonstances : en cas de danger pour la vie de la mère, en cas de malformation fœtale grave, et en cas de viol.

5. Le Chili : Le Chili a longtemps été l’un des pays les plus restrictifs en matière d’avortement, mais en 2017, une loi est entrée en vigueur, permettant l’avortement en cas de danger pour la vie de la mère, de malformation fœtale grave ou de viol. Cette décision a marqué un changement majeur dans le paysage juridique chilien.

Ces avancées montrent que même dans une région fortement influencée par la religion et la tradition, il est possible de progresser vers la reconnaissance des droits reproductifs des femmes. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour garantir un accès équitable à des soins d’avortement sûrs et légaux dans toute l’Amérique latine.

Ces pays qui restent réfractaires au droit à l’avortement

Malheureusement, plusieurs pays d’Amérique latine maintiennent des lois strictes et conservatrices en matière d’avortement, ce qui limite considérablement l’accès des femmes à des soins d’avortement sûrs et légaux. Voici quelques exemples de pays qui restent parmi les plus conservateurs dans cette région :

1. Le Salvador : Le Salvador est l’un des pays les plus restrictifs au monde en ce qui concerne l’avortement. En 1998, il a interdit l’avortement dans toutes les circonstances, y compris en cas de danger pour la vie de la mère ou de viol. Les femmes qui avortent illégalement risquent de lourdes peines de prison, ce qui a conduit à des situations tragiques où des femmes en détresse médicale ont été condamnées pour avoir perdu leur fœtus.

2. Le Nicaragua : En 2006, le Nicaragua a adopté une loi interdisant l’avortement en toutes circonstances, même lorsque la vie de la mère est en danger. Cette décision a eu des conséquences graves pour la santé et la vie des femmes nicaraguayennes.

3. La République dominicaine : La République dominicaine a des lois restrictives en matière d’avortement depuis longtemps, mais en 2020, le gouvernement a renforcé ces lois en interdisant totalement l’avortement, y compris en cas de danger pour la vie de la mère.

4. Le Honduras : Le Honduras a également des lois très restrictives en matière d’avortement, interdisant la procédure en toutes circonstances. Cette situation a des conséquences tragiques pour de nombreuses femmes confrontées à des grossesses non désirées ou à des complications médicales.

5. Le Paraguay : En 2015, le Paraguay a attiré l’attention internationale lorsqu’une jeune fille de 11 ans a été contrainte de mener à terme une grossesse résultant d’un viol. Le pays a des lois très restrictives en matière d’avortement, ne le permettant que lorsque la vie de la mère est en danger.

Ces exemples mettent en lumière les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes dans certains pays d’Amérique latine en ce qui concerne l’accès à des soins d’avortement sûrs et légaux. Malgré les appels internationaux à l’assouplissement de ces lois, de nombreux gouvernements maintiennent des politiques conservatrices qui mettent en danger la santé et les droits des femmes. La lutte pour le droit à l’avortement dans ces pays reste un défi majeur.

L’avortement en Amérique Latine, un combat sans fin

En conclusion, la situation de l’avortement en Amérique latine est complexe et contrastée, avec des pays sur la voie du progrès, tandis que d’autres restent fermement ancrés dans des politiques restrictives. Les progrès récents, tels que la légalisation de l’avortement en Argentine et l’assouplissement des lois dans certains États mexicains, témoignent de l’évolution des mentalités et de la détermination des mouvements féministes à faire entendre leur voix.

Le Brésil, le pays le plus peuplé de la région, est un exemple intéressant de cette dynamique. Bien que l’avortement y demeure une question politiquement controversée, des efforts sont en cours pour assouplir les lois restrictives. En 2020, la Cour suprême brésilienne a élargi les exceptions légales pour l’avortement, ouvrant la voie à des avancées potentielles dans le futur.

Cependant, les obstacles restent considérables en Amérique latine. L’influence persistante de la religion, les préjugés sociaux profondément enracinés et le manque d’accès à une éducation sexuelle complète continuent d’entraver les droits reproductifs des femmes. De nombreux pays, comme le Salvador et le Nicaragua, maintiennent des lois draconienes qui criminalisent l’avortement, mettant en danger la santé et la vie des femmes.

La lutte pour le droit à l’avortement en Amérique latine est un combat continu. Les mouvements féministes et les défenseurs des droits des femmes travaillent sans relâche pour sensibiliser à cette question, changer les mentalités et promouvoir des politiques plus justes. Bien que des progrès aient été réalisés, il reste encore beaucoup à faire pour garantir que toutes les femmes de la région aient accès à des soins d’avortement sûrs et légaux et puissent exercer leur droit fondamental à disposer de leur propre corps.

La voie vers l’égalité des sexes et la reconnaissance des droits reproductifs des femmes en Amérique latine est semée d’obstacles, mais la détermination des défenseurs de la justice reproductive reste inébranlable.

Quelques liens et sources utiles

Podcast ¡Basta Ya!, le droit à l’avortement en Amérique Latine, Julia Heres Garcia & Marion Lambert, 2020.

Margot Hinry, « Alors que le droit à l’avortement recule aux États-Unis, il avance (doucement) en Amérique du Sud », 27/06/2022.

Le Monde, « Droit à l’avortement : partout en Amérique latine, des femmes manifestent pour le réclamer ou le défendre », 29/09/2021.

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