La majorité des États africains sont confrontés à de multiples défis, incluant des enjeux sociaux, économiques et culturels.
Toutefois, l’un des problèmes les plus pressants reste la sécurité, en particulier avec l’expansion du djihadisme sur leur territoire. Cette menace croissante a exacerbé les tensions existantes, déstabilisant davantage des régions déjà vulnérables et compliquant les efforts de développement et de maintien de la paix.
La lutte contre le djihadisme, en plus de nécessiter une approche sécuritaire, appelle également à des solutions à long terme qui adressent les racines profondes du mécontentement et de l’instabilité, telles que la pauvreté, l’exclusion sociale et le manque d’accès à l’éducation et aux opportunités économiques.
Le djihadisme, l’émergence d’une menace
Au cours de son histoire, le continent africain a été à de multiples reprises sujet à l’insécurité et aux menaces armées. On pense, par exemple, à la guerre civile en Somalie en 1991, au conflit en Casamance au Sénégal, aux massacres perpétrés contre les civils dans la région du lac Kivu, ainsi qu’aux guerres civiles tchadiennes du XXe et du XXIe siècle.
L’Afrique est ainsi un espace de conflits particulièrement important. Depuis les années 1990-2000, une nouvelle menace s’est ajoutée à ce contexte : le djihadisme.
Pour illustrer notre propos, citons quelques-uns de ces groupes pour rendre compte de leur présence.
À l’ouest du continent, sévissent des groupes tels que l‘État Islamique au Grand Sahara (EIGS), Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest, ainsi que le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM).
Dans la Corne de l’Afrique, les pays luttent contre le groupe Al-Shabaab. Enfin, dans la région des Grands Lacs et plus précisément en République Démocratique du Congo, le groupe des Forces Démocratiques Alliées (ADF) mène depuis peu des attaques.
Bien que ces groupes émergent et évoluent initialement au sein d’un pays comme la Somalie pour Al-Shabaab, la menace qu’ils représentent s’étend à l’ensemble de la région. En effet, les organisations djihadistes profitent de leur implantation au sein d’un État pour attaquer les pays voisins, comme le Cameroun, pays frontalier du Nigeria et cible des attaques de Boko Haram. Ainsi, le djihadisme représente une menace pour de nombreuses régions du continent.
Mais comment cette menace, née durant le conflit entre l’URSS et l’Afghanistan et qui a évolué au Moyen-Orient, est-elle devenue aujourd’hui l’un des enjeux sécuritaires les plus importants du continent ?
L’Afrique, une nouvelle terre du djihadisme
Pour répondre à cette question, nous devons nous intéresser à quatre points principaux : les contextes locaux, les défaillances des États, les difficultés socio-économiques et la marginalisation de la jeunesse.
Les organisations djihadistes, et plus précisément leurs entrepreneurs, ont rapidement compris que, pour conquérir les cœurs et les esprits des populations, ils devaient s’adapter au contexte local. Ainsi, ils ont choisi de présenter leur idéologie comme offrant une interprétation cohérente des problématiques sociales et politiques des sociétés.
À ce premier point s’ajoutent les défaillances de l’État. De nombreux écrits montrent que les groupes djihadistes émergent dans des contextes d’opportunité, tels qu’un État en difficulté pour gouverner. Cette situation est avantageuse pour les groupes djihadistes qui opèrent sur un continent confronté à une certaine instabilité politique et qui compte plusieurs États dits “défaillants”, comme la Somalie.
Ainsi, l’Afrique, et plus précisément les zones rurales de ces États, semble être un terrain fertile pour ces organisations. Les groupes djihadistes y sont particulièrement avantagés en raison de la capacité limitée des États à exercer leur autorité sur ces territoires. Par conséquent, les groupes ayant tenté de construire leurs bases en zone urbaine, à l’image de Boko Haram à Maiduguri dans le nord-est du Nigeria, ont pu être rapidement neutralisés par les autorités.
Les défaillances de l’État offrent aux organisations djihadistes une apparence de légitimité aux yeux de la population, en se présentant comme une alternative, comme le souligne l’étude de l’Institut de Timbuktu, « Défis transnationaux et sécuritaire aux frontières Guinée-Mali-Sénégal : Entre vulnérabilités et résilience ».
« Les longues années de désengagement de l’État ont favorisé la montée en puissance d’organisations religieuses se substituant progressivement à l’État pour finir par le concurrencer dans des secteurs névraligues comme l’éducation, le travail social et les politiques de jeunesse ».
Cette stratégie de contre-pouvoir ou de contre-modèle est particulièrement perceptible en Somalie. En effet, depuis 2007, Al-Shabaab a connu une montée en puissance fulgurante dans un pays où l’État manquait cruellement à ses devoirs en raison de la guerre civile de 1991. Ainsi, dans les zones contrôlées par les Shebaabs (nom des membres d’Al-Shabaab), ils ont rétabli l’ordre et la sécurité, instauré une justice, rouvert des infrastructures économiques et géré la propreté des rues.
Des actions normalement à la charge de l’État mais dont Al-Shabaab s’est occupé afin de conquérir les cœurs et les esprits. Ainsi, en mettant en place ces actions particulièrement attendues par la population, Al-Shabaab est devenu une force incontestable en Somalie et empêche le gouvernement fédéral de transition d’étendre son autorité sur le territoire.
Mais pour comprendre davantage l’émergence du djihadisme en Afrique, nous devons nous intéresser à la radicalisation. En effet, elle nous apporte de nombreuses réponses sur les raisons qui permettent à ces organisations de prospérer sur le continent. Cependant, il est important de rappeler qu’aucun portrait-type de radicalisés n’existe, seuls des points communs entre eux suscitent.
La première similarité que nous pouvons mettre en avant est la responsabilité des difficultés socio-économiques sur la volonté de rejoindre ces groupes, comme nous le démontre une étude menée par le Programme des Nations Unies pour le Développement.
En effet, ce rapport réalisé auprès de deux mille personnes issues de nationalités différentes et ayant rejoint les groupes djihadistes, montre l’importance de ces problématiques dans le processus de radicalisation. Un quart d’entre elles déclarent avoir rejoint ces organisations en raison du manque d’emploi dans leur pays. Il est essentiel de souligner que les groupes djihadistes offrent une rémunération à leurs membres qui proviennent majoritairement des pays les plus pauvres du monde.
Un constat qui rejoint celui de l’étude « Défis transnationaux et sécuritaires aux frontières Guinée-Mali-Sénégal : Entre vulnérabilités et résilience » de l’Institut de Timbuktu susmentionnée. Au sein de cette étude, il apparaît que les frustrations socio-économiques sont l’une des principales causes de la radicalisation.
Le second point commun à exposer est l’âge des recrues. En effet, elles sont essentiellement issues de la jeunesse des pays. Une jeunesse qui, comme au Sahel, se sent délaissée et désabusée par un manque de perspectives. Ainsi, rejoindre les groupes djihadistes offre l’espoir d’un avenir meilleur au sein de sociétés où 85 % des jeunes sont touchés par des difficultés socio-économiques.
Des États défaillants, une jeunesse marginalisée et inquiète pour son avenir sont autant de facteurs qui permettent aux groupes djihadistes de prospérer.
Les perspectives de l’Afrique face au djihadisme
Pour contrer la montée en puissance de ces organisations et la menace qu’elles représentent pour le continent, les pays africains ont sollicité l’aide d’autres États et d’institutions régionales africaines. Parmi ces initiatives, on peut citer l’opération Serval au Mali, l’opération Barkhane au Sahel, ou encore l’AMISOM en Somalie.
Des missions octroyant une force militaire non négligeable aux pays concernés. Cependant, toutes ces opérations n’ont pas su durer dans le temps et satisfaire les populations locales, à l’image de Barkhane.
De la même manière, les coups d’État dans la région du Sahel ont mis fin aux bonnes relations diplomatiques entre les pays hôtes et les pays intervenants, comme en témoignent les rapports actuels entre la France et les pays de la zone des trois frontières, à savoir le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Des États qui aujourd’hui se sont tournés vers d’autres partenaires tels que la Russie.
Un bouleversement géopolitique mais aussi sécuritaire comme nous le démontre le Mali. En effet, nouvel allié de la Russie et de la milice Wagner qui participent à la lutte antiterroriste, le pays connaît une recrudescence des attaques. Depuis l’arrivée de la milice, le nombre d’attaques menées s’est multiplié. De la même manière, les processus de radicalisation ont été alimentés par la présence des mercenaires puisqu’une partie de la population est hostile à l’arrivée de Wagner. Un ressentiment sur lequel les organisations s’appuient pour inciter les habitants à rejoindre leurs rangs. De plus, les échecs des mercenaires dans la lutte anti-terroriste alimentent la propagande des groupes djihadiste qui se vantent de leur succès face à Wagner.
De la même manière, le Niger qui a exigé le départ des troupes françaises après le coup d’État de juillet 2023 est confronté à une recrudescence des attaques. Tandis que l’année 2022 et 2023 ont été marquées par un apaisement de la situation sécuritaire, le coup d’État et la mobilisation des troupes dans la capitale ont permis aux groupes djihadistes d’avancer à travers le territoire. Une présence importante comme en témoigne la mort récente de 7 soldats de l’armée nigérienne et celle de 22 civils dans un village près du Mali.
Sans oublier évidemment le Burkina Faso qui est également sujet à des attaques.
Ainsi, la situation sécuritaire de ces pays est particulièrement préoccupante comme en témoignent les chiffres de l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project. En effet, au Niger, 210 personnes ont été tuées en raison des attaques des groupes djihadistes depuis le coup d’État.
Au Mali, ce sont 5000 personnes qui ont perdu la vie depuis mai 2021, date à laquelle le colonel Assimi Goita s’empare du pouvoir. Enfin, le Burkina Faso compte 4100 morts depuis son coup d’État de septembre 2022. Un pays qui, en plus de ces pertes importantes, ne parvient pas à reprendre le contrôle des territoires aux mains des groupes djihadistes.
La lutte contre le djihadisme semble alors être en difficulté au Sahel. De la même manière, les missions telles que l’AMISOM devenu l’ATMIS en 2022 peine à trouver un équilibre entre la réponse militaire et la réponse politique, permettant à Al-Shabaab de conserver une place auprès de la population.
L’Afrique est ainsi devenue une terre du djihadisme, entraînant de nombreux États dans une nouvelle crise sécuritaire.
Quelques liens et sources utiles
Ibrahim, Ibrahim Yahaya. « Insurrections djihadistes en Afrique de l’Ouest : idéologie mondiale, contexte local, motivations individuelles », Hérodote, vol. 172, no. 1, 2019, pp. 87-100.
Corinne Deloy, « Afrique, le prochain califat ? – La spectaculaire expansion du djihadisme. Entretien avec Luis Martinez« , 28 avril 2023,
Guy Aimé Eblotié, « Carte du terrorisme en Afrique subsaharienne« , 29 juin 2021,