Privée d’un accès direct à la mer Rouge depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993 et d’un accès indirect depuis la guerre de 1998-2000 contre ce même pays, l’Éthiopie, le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, a récemment conclu un accord stratégique avec le Somaliland le 1er janvier.
Le Somaliland, une république autoproclamée non reconnue par les Nations Unies, cherche à faciliter l’accès maritime de l’Éthiopie par le biais du port de Berbera en échange de sa reconnaissance officielle du Somaliland comme pays indépendant. Cette initiative vise à pallier l’absence d’accès direct à la mer Rouge de l’Éthiopie, pays enclavé.
Cependant, la Somalie réagit vivement en dénonçant l’accord comme étant « illégal », intensifiant ainsi les tensions régionales.
La signature d’un accord historique
Alors que les attaques des rebelles Houthis en mer Rouge et le conflit israélo-palestinien monopolisent l’attention de tous les médias dans la région, une intrigue diplomatique prend forme à l’abri des caméras dans la corne de l’Afrique.
Le 1er janvier, le Premier ministre de la République fédérale démocratique d’Éthiopie, Abiy Ahmed Ali, et le président de la République du Somaliland, Muse Bihi Abdi, ont annoncé la signature d’un accord.
Selon cet accord, le Somaliland s’engage à octroyer à l’Éthiopie un accès à 20 kilomètres de ses côtes pour une durée de 50 ans, établissant ainsi une entente de « leasing ». En échange, l’Éthiopie s’engage à reconnaître officiellement la République du Somaliland.
L’accord « ouvrira la voie à la réalisation de l’aspiration de l’Éthiopie à sécuriser son accès à la mer et à diversifier son accès aux ports maritimes »
a affirmé lundi un communiqué des services du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed sur X (anciennement Twitter).
Cette initiative permet à l’Éthiopie d’acquérir une partie des terres à proximité du port de Berbera, situé en bordure de la mer Rouge. Cette décision intervient quelques mois après les déclarations d’Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, soulignant la nécessité pour son pays d’affirmer son droit à l’accès à la mer Rouge, suscitant ainsi des préoccupations dans la région.
Le port de Berbera, un port africain stratégique situé sur la côte méridionale du golfe d’Aden, à l’entrée de la mer Rouge menant au canal de Suez, devient ainsi le point focal de cette démarche visant à sécuriser l’accès maritime de l’Éthiopie.
Si ce dernier se faisait aussi insistant sur l’obtention d’un accès à la mer, c’est parce qu’il utilisait jusqu’à maintenant le port de Djibouti, qui exerçait une sorte de monopole sur le transit des exportations et des importations éthiopiennes. De plus, l’utilisation du port de Djibouti coûtait relativement cher à l’Éthiopie, plus d’un milliard de dollars. Il faut aussi notifier la volonté du Premier ministre éthiopien de militariser le territoire « en location » avec la création d’une marine de guerre afin d’y développer son influence avec pour objectif de devenir un acteur incontournable de la région.
Réaction en Somalie et particularité du Somaliland
« Je n’accepterai pas qu’on nous enlève un morceau de notre terre »
déclarait, Hassan Cheikh Mohamoud, le président de la Somalie devant les parlementaires.
Le mardi 2 janvier, en réponse à l’accord susmentionné, le gouvernement somalien a convoqué en urgence une réunion. Mogadiscio a déclaré son intention de défendre son territoire par « tous les moyens légaux » et a procédé au rappel de son ambassadeur en Éthiopie.
La Somalie a qualifié l’accord de « violation flagrante » de sa souveraineté. Le gouvernement somalien a vigoureusement réagi dans un communiqué, affirmant que
« le Somaliland fait partie de la Somalie en vertu de la constitution somalienne, de sorte que la Somalie considère cette mesure comme une violation manifeste de sa souveraineté et de son unité ».
Pour se défendre, Hassan Sheikh Mohamud, le président somalien, plaide sa cause auprès de l’ONU, de l’UE, de l’Union africaine, de la Ligue arabe et du groupement régional d’Afrique de l’Est, qui pour l’instant ont uniquement appelé au respect de « l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République fédérale de Somalie ». Le président a annoncé le 6 janvier avoir « signé la loi annulant le protocole d’accord illégal entre le gouvernement de l’Éthiopie et le Somaliland ».
Cet accord entre l’Éthiopie et le Somaliland intervient alors que les autorités somaliennes et somalilandaises avaient annoncé la reprise des discussions diplomatiques, une première après les échecs de 2020, sous l’arbitrage du président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh.
Le Somaliland est un État qui s’est autoproclamé indépendant le 18 mai 1991. Cette année-là, il s’est séparé de la Somalie à la suite d’années de guerre civile (1981-1991) qui ont opposé le régime de Mohamed Siad Barre – président de la Somalie de 1969 à 1991 – et des groupes séparatistes du Somaliland, en particulier le Mouvement national somalien, le SMM, dont les leaders ont ensuite proclamé l’indépendance en rétablissant les anciennes frontières coloniales du Somaliland britannique et de la Somalie italienne.
Peuplé de 4,5 millions d’habitants, c’est un pays pacifié qui s’est doté de tous les attributs étatiques possibles : une administration politique, des institutions de sécurité, une école, une monnaie, une devise nationale, un hymne, un drapeau, des douanes, un passeport, des visas, tout comme un État, malgré l’absence de reconnaissance internationale. Aucun pays ne reconnaît son existence.
Vers un nouvel échec de la Somalie ?
En 2016, la conclusion de l’accord d’environ 450 millions de dollars pour le développement du port de Berbera entre le Somaliland et Dubaï avait déjà suscité des réactions véhémentes de la part de Mogadiscio. À la suite d’un vote, le Parlement somalien avait déclaré cet accord caduc, mais cela n’avait eu aucune conséquence pour le Somaliland.
Par la suite, en 2018, une annonce concernant la distribution des parts du port de Berbera, avec 19 % attribués à l’Éthiopie, avait été faite. Une fois de plus, Mogadiscio avait exprimé son opposition. Cependant, les événements avaient suivi leur cours sans provoquer de réactions internationales.
Cependant, tout n’est pas perdu pour la Somalie, car cet accord provoque des dissensions entre les deux signataires. En effet, la population somalilandaise n’est pas favorable à accepter une présence militaire éthiopienne sur son territoire, et cette initiative est soutenue par le ministre de la Défense du Somaliland, qui a démissionné de ses fonctions en signe de protestation alors que son armée fait face au retour d’affrontements contre des milices soutenant le gouvernement somalien dans la région de Las Anod, région disputée entre le Somaliland et son voisin.
Quelques sources pour aller plus loin
L’Éthiopie d’Abiy Ahmed : De la paix à la guerre – leçon de géopolitique – Le dessous des cartes | ARTE
Robert Wiren, La Somaliland pays en quarantaine, BROCHÉ, 2014