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L’Histoire regorge de récits improbables, mais aussi de périodes complexes qui méritent d’être explorées. Plongez, à travers les séries de Revue Histoire, dans un fragment de notre histoire mondiale.
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Ils sont vendeurs de poudres miraculeuses, prédicateurs sans clergé, médecins sans diplôme, ou parfois même historiens improvisés. On les retrouve dans les rues de la Rome antique, sur les routes du royaume de France, dans les salons du XIXe siècle, sur les plateaux télé du XXe, et désormais sur les réseaux sociaux. Le charlatan est une figure ancienne et pourtant toujours contemporaine. Il prospère dans les fissures du savoir officiel, là où la science est floue, où l’État est lointain, où l’émotion précède l’analyse.
Le terme lui-même vient d’Italie. Ciarlatano, celui qui bavarde trop, qui vend par le verbe. L’étymologie donne déjà le ton : le charlatan ne prouve pas, il convainc. Il ne soigne pas, il rassure. Il n’enseigne pas, il séduit. Et c’est peut-être cela qui le rend si dangereux : il offre des réponses simples à des problèmes complexes.
Dans la France d’Ancien Régime, les charlatans s’installent à la croisée des chemins, sur les marchés, près des églises. Ils montent sur une estrade, font danser un singe, promettent un élixir de jouvence ou une pommade contre la peste. Ils imitent les médecins, récitent du latin approximatif, exhibent des fioles colorées. Le public rit, applaudit, et parfois achète. Les autorités tolèrent, puis interdisent, puis tolèrent à nouveau. Il est difficile de distinguer l’escroc de l’artiste, le danger du folklore.
Certains deviennent célèbres. Tabarin, au XVIIe siècle, est à la fois vendeur et comédien. Il improvise des dialogues grotesques, se moque des savants, tourne en dérision les puissants. Il est publié, imité, caricaturé. Le charlatan devient un personnage de théâtre, une figure ambivalente : ridicule mais populaire, menteur mais libre.
Au XIXe siècle, alors que la médecine se professionnalise, les charlatans se multiplient. Chaque avancée scientifique crée une nouvelle angoisse. La vaccination, l’asepsie, l’électricité, l’hypnose : tout est matière à récupération. On vend des ceintures magnétiques pour renforcer la virilité, des poudres minérales contre le choléra, des eaux miraculeuses pour guérir l’ennui.
Certains journaux leur consacrent des pages entières, mêlant publicité et reportage. Le capitalisme médical naissant ne fait pas toujours la différence entre le soin et la promesse de soin. Dans les colonies, on trouve aussi des figures hybrides : entre le guérisseur local respecté et l’exploitant européen qui s’auto-proclame spécialiste des fièvres tropicales, la frontière est floue.
Et puis, il y a les faussaires de l’histoire. Ceux qui publient de prétendus journaux intimes de figures célèbres, qui inventent des archives, qui manipulent les symboles. Leur but n’est pas seulement de tromper. Ils veulent imposer un récit, forger une mémoire, s’inventer une légitimité.
Certains charlatans dépassent la sphère du commerce. Ils entrent dans celle du pouvoir. Le cas le plus emblématique reste sans doute Raspoutine, ce moine mystique russe qui fascine la cour impériale à la veille de la Révolution. Ni prêtre, ni médecin, ni noble, il prétend soigner le tsarévitch, influence la tsarine, affole les élites. Son aura tient au mystère, à la peur qu’il inspire, à la confusion qu’il entretient. Il ne guérit peut-être pas, mais il convainc. Jusqu’à sa mort brutale en 1916, il incarne la puissance du charlatanisme adossé à un vide politique.
Plus près de nous, le XXe siècle a vu fleurir les figures de pseudo-experts autoproclamés. Des astrologues invités dans les cours royales jusqu’aux « docteurs » sans diplôme conseillant les dictateurs africains ou sud-américains, le pouvoir aime s’entourer de ceux qui disent ce que personne n’ose dire. Le charlatan, dans ces cas, devient un outil : il rassure le tyran, entretient l’illusion, sert de paratonnerre.
Au XXIe siècle, le costume change mais le principe demeure. Le charlatan moderne a troqué le chariot pour la chaîne YouTube, la poudre de perlimpinpin pour le podcast confidentiel, l’étrier de foire pour le compte Instagram. Il parle vite, cite sans source, coupe les phrases, interrompt, joue sur l’indignation. Il n’a pas besoin d’avoir raison. Il lui suffit de créer le doute.
Il s’approprie le vocabulaire de la science : « études récentes », « preuves irréfutables », « chercheurs indépendants ». Il s’habille en blouse blanche, présente des graphiques, manipule les chiffres. Le public, déboussolé, ne distingue plus l’expertise de l’apparence d’expertise. Et plus le discours est radical, plus il est partagé.
Ce phénomène n’épargne pas l’histoire. On voit proliférer les récits révisionnistes, les vidéos niant des événements établis, les discours où tout devient complot. Certains se proclament historiens sans formation, interprètent les archives à leur convenance, tirent des conclusions massives sur la base d’un document unique. Ils ne cherchent pas à comprendre, mais à convaincre ceux qui ne veulent plus croire aux institutions.
Pourquoi les charlatans rencontrent-ils toujours un public ? Parce qu’ils s’adressent au désir, non à la raison. Ils offrent du sens, là où il n’y a que complexité. Ils promettent une cause unique à tous les maux. Ils réenchantent un monde devenu incertain. Et surtout, ils identifient un ennemi. Le médecin qui ne guérit pas, l’historien trop prudent, le chercheur trop nuancé deviennent suspects. Le charlatan, lui, rassure. Il n’explique pas tout, mais il offre une grille de lecture.
Son succès révèle aussi les failles de nos systèmes éducatifs et médiatiques. L’information circule vite, sans hiérarchie, sans validation. Les réseaux sociaux fonctionnent comme des foires permanentes, où chacun peut installer son estrade. Ceux qui parlent fort prennent toute la place.
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