Si la région d’où est née Revue Histoire est riche en châteaux aussi beaux majestueux les uns que les autres, d’autres plus petits édifices dans des lieux moins connus à la frontière franco-suisse ont aussi des histoires à raconter !
Situé dans la commune de Veytaux, près de Montreux, ce château pouvant vite passer inaperçu est pourtant le monument à dimension historique le plus visité de toute la Suisse ! Comment et pourquoi un tel engouement pour cette forteresse, pourtant si éloignée des plus grosses villes du pays ?
Chillon, un château occupé depuis le Moyen Âge
Le nom du château est un dérivé de l’ancien français « chail », qui signifie « caillou ». On comprend vite pourquoi, étant donné que l’édifice se situe sur une petite île qui est en fait un immense rocher de calcaire, une plateforme rocheuse.
Cela donne à la forteresse un accès direct au lac Léman, qui le borde, et lui confère ainsi une position stratégique pour se défendre de toute agression.
Le château de Chillon est aussi placé de façon à être un point de passage presque incontournable entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, que ce soit pour les marchands, pèlerins ou voyageurs.
Justement, la première mention connue du château suisse se trouve dans une charte de 1150, où le comte Humbert III de Savoie accorde le libre passage à Chillon aux moines d’une abbaye située un peu plus au nord dans les terres. Très vite, le château devient donc un passage taxé, comme un péage, qui permet à ses propriétaires de jouir de revenus financiers.
Une forteresse suisse marquée par trois périodes
Le château de Chillon a longtemps été occupé par la Maison de Savoie, avant d’être repris par le canton de Berne qui se l’approprie. Cela change une fois de plus à la révolution vaudoise à la fin du XVIIIe siècle, qui fait du château un monument national.
L’occupation savoyarde
Ainsi, on voit que la Maison de Savoie occupe la région dès le XIIe siècle, ce qui se poursuit jusqu’au XVIe.
Le château de Chillon, en plus d’avoir des fonctions commerciales, devient aussi une résidence majeure des comtes de Savoie, nécéssaire lorsque la cour itinérante décide de s’installer entre deux voyages.
Au XIIIe siècle, de nombreux travaux de renforcement et dans l’objectif d’améliorer le confort de l’édifice ont lieu, en plus d’optimiser la défense du château, qui n’a jamais été la cible d’attaques destructrices.
Ainsi, le château de Chillon est aujourd’hui l’un des édifices médiévaux les mieux conservés d’Europe.
L’occupation bernoise
À cause des guerres de Bourgogne, opposant le duc de Bourgogne Charles le Téméraire à la Confédération suisse des VIII cantons, l’influence de la maison de Savoie s’amenuise au sein de toute la région. La maison de Savoie restent seigneurs de Chillon jusqu’en 1536, date à laquelle Berne prend le château sans grande résistance.
En effet, Antoine de Beauford, l’officier savoyard s’occupant de la gestion de Chillon, offre rapidement aux Bernois sa capitulation, avant de s’enfuir par le lac. Les Bernois font de la demeure le centre administratif du baillage de Vevey, petite circonscription territoriale sous l’autorité d’un bailli (l’officier d’un seigneur).
L’État de Vaud
Cette seconde période d’occupation prend fin en 1798, où les Vaudois, s’inspirant de la Révolution française, proclament leur indépendance avant d’être rattachés à l’éphémère République helvétique, qui dure jusqu’en 1803. La suite verra une succession de confédérations de cantons, jusqu’en 1848 où se forme l’état fédéral que l’on connaît aujourd’hui.
Le château devient donc en 1798 un bien national qui appartient au canton de Vaud. Très vite, on se préoccupe de sa mise en valeur et on prend conscience de son importance historique : ainsi est créée dans les années 1880 une association pour la restauration du château de Chillon.
Dans l’art, Chillon comme inspiration
Le château de Chillon, vu du lac ou de la rive, est un paysage absolument magnifique. Il est dominé par les montagnes verdoyantes l’été et enneigées l’hiver, et il est bien connu que les lacs suisses sont aussi purs que propres.
L’eau du lac Léman est d’un bleu profond, ce qui donne au site un aspect de carte postale. C’est pourquoi il est une source d’inspiration naturelle pour les écrivains et les artistes, tels que William Turner, ou Eugène Delacroix, qui ont eu à coeur de diffuser l’aura du château.
En littérature, Rousseau amorce la popularisation du château de Chillon avec son roman Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761), qui conte l’histoire tragique d’un couple dont la liaison est secrète et interdite. Les évènements se déroulent dans les régions bordant le lac Léman, et des scènes tragiques de l’histoire ont lieu dans les eaux du château de Chillon. C’est sûrement un des livres les plus populaires du siècle des Lumières, ce qui met en avant l’édifice historique. Mais c’est surtout le poème de Lord Byron, Le Prisonnier de Chillon (1816), succès phénoménal traduit dans une vingtaine de langues qui fait du château une destination incontournable.
Le lac Léman baigne les murs du château de Chillon. Du haut des créneaux blancs comme la neige, la sonde s’enfonce à mille pieds dans la profondeur des ondes qui enveloppent le donjon de toutes parts. Ainsi la double barrière de la pierre et des flots faisait de notre cachot une tombe vivante. L’obscur caveau où nous gisions est construit plus bas que le niveau du lac. Nous entendions jour et nuit les flots battre la muraille au-dessus de nos têtes […].
Extrait du poème de Byron, Le Prisonnier de Chillon (1816). On remarque que l’auteur écrit à la première personne du singulier, ce qui a induit en erreur de nombreux lecteurs et visiteurs du château, qui pensaient que l’histoire de l’emprisonnement racontée par le poème avait été vécue par Lord Byron lui-même.
Le poème fait écho à la vie de François Bonivard (1493-1570), prêtre réformé et genevois emprisonné à Chillon par la maison des Savoie, catholiques, et ce jusqu’en 1536, quand Berne prend le château et le libère. Plusieurs légendes gravitent autour de la figure de Bonivard et de son emprisonnement, qui sont contées au château. Peut-être de futurs classiques à lire ?
Alors le capitaine me fourra en une crotte1 plus bas que le lac, où je demeurai quatre ans […] j’empraignis un chemyn en la roche, qui estoit le pavement de léans comme si on leust faict avec un martel.
Extrait des Chroniques de Genève de François Bonivard, commencées en 1542, grande source d’inspiration pour Lord Byron.
La croissance du tourisme à Chillon
Le tourisme rythme Chillon dès le XVIIIe siècle avec la pratique au sein du milieu aristocratique du Grand Tour. Ce sont des voyages consistant pour la jeunesse, essentiellement masculine, à découvrir des lieux notables en Europe où règne culture, esthétisme, savoirs… comme la ville de Rome, source inépuisable d’érudition.
Chillon, et comme toute la région qui correspond à la Suisse actuelle, est d’ailleurs un point de passage pour les jeunes de l’Europe du Nord, et est situé au centre de l’Europe de l’ouest. Avec la notoriété acquise par la popularité de l’ouvre de Lord Byron, le château Chillon se révèle être un incontournable à découvrir, et ce dans un paysage idyllique.
De plus, la région du Vaud a particulièrement développé son système ferroviaire au XIXe siècle, ce qui a permis une réelle explosion du tourisme au-delà du milieu aristocratique. Pour donner un ordre d’idées pour le XXe siècle, si le château comptait environ 100 000 entrées en 1927, il a atteint son record en 2019 avec plus de 430 000 visiteurs.
Le château n’a donc pas perdu en notoriété, et fut largement mis en valeur par l’industrie télévisée, comme le montrent les émissions Pour vous les jeunes (1962) ou Les cartes postales ont toujours raison (1999) qui dans un épisode se sont toutes deux penchées sur l’histoire du château. La Radio Télévision Suisse (RTS) a aussi réalisé un documentaire en 1976 intitulé Chillon et la maison de Savoie ou la latinité transalpine. Ces émissions sont disponibles sur le site de la RTS.
La visite du château aujourd’hui
Visiteurs et visiteuses sont invités à déambuler dans les salles du château, avec ou sans audioguide (dans plusieurs langues différentes), pour découvrir l’histoire de l’occupation du château du Moyen Âge à aujourd’hui.
On y trouve aussi des expositions de mobilier, d’armes en tout genre et d’armures, en plus de pouvoir admirer tableaux et peintures murales ; tout en ayant des informations sur les études archéologiques effectuées sur le site depuis la fin du XIXe, avec l’apport majeur de l’archéologue Albert Naef.
Les touristes peuvent également profiter d’une vue panoramique sur le lac Léman et les montagnes alentours en atteignant les hauteurs du château.
Malheureusement et pour des raisons architecturales, le site n’est pas accessible aux fauteuils roulants et poussettes, mais propose des visites virtuelles.
Le château a aussi développé une boutique souvenirs proposant boissons et mets de la région, avec notamment des vins AOC venant du vignoble du château (et donc de nulle part ailleurs !). L’entrée au monument est de 15 francs, avec des prix avantageux pour les étudiants, les personnes âgées ou encore les familles.
Quelques liens et sources utiles
- Le terme « crotte » est la contraction de « crotton » en patois, qui signifie cachot ↩︎
Pour plus d’informations sur la visite, lien vers le site officiel de la Fondation du château de Chillon