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Le pouvoir impérial féminin à Byzance au XIIe siècle

Les mariages avec les princesses étrangères se généralisent sous les Comnènes et deviennent un moyen de consolidation du pouvoir.
Jean II Comnène et sa femme Irène, mosaïque à l'intérieur de Sainte-Sophie,(Istanbul, Turquie) - Auteur inconnu | Domaine public
Jean II Comnène et sa femme Irène, mosaïque à l’intérieur de Sainte-Sophie,(Istanbul, Turquie) – Auteur inconnu | Domaine public

Au XIIe siècle, la famille Comnène est à la tête du pouvoir. Caractérisée par des personnages complexes que nous avons déjà évoqués dans notre analyse de la diplomatie byzantine durant les croisades. Cette dynastie parvient à se maintenir sur le trône malgré le contexte des croisades, qui déstabilisant l’empire.

L’étude des liens familiaux entre les Comnènes fut l’objet de nombreux travaux, à l’instar des brillants ouvrages de Paul Magdalino ou Jean-Claude Cheynet. L’analyse de cette famille, dont l’exercice du pouvoir repose sur une utilisation permanente du noyau familial, suppose d’être attentif aux figures masculines, toujours détentrices du trône, mais ne peut être complète sans ses protagonistes féminins.

Arbre généalogique simplifié de la maison Comnène, 2019, Ælfgar | Domaine Public
Arbre généalogique simplifié de la maison Comnène, 2019, Ælfgar | Domaine Public

En effet, l’idéologie impériale sous les Comnènes semble donner à l’impératrice, et plus largement aux femmes, une place importante et déterminante dans l’établissement de cette famille sur le trône.

La cérémonie des fiançailles

Dans le cadre du cérémonial lié à la réception de la fiancée, lorsqu’un mariage impérial est décidé, nous constatons l’existence d’un véritable « rite » créant une sorte de passage initiatique vers le statut d’impératrice.

Ce cérémonial est particulièrement visible lors que la fiancée est d’origine étrangère. Si nous prenons l’exemple d’Agnès de France, fille de Louis VII, future épouse d’Alexis II Comnène, lui même fils de Manuel Ier Comnène, nous constatons à son arrivée en 1180, que la princesses occidentale est accueillie par soixante-dix femmes, « toutes épouses des plus hauts dignitaires impériaux » et par Marie Porphyrogénète, issue du premier mariage entre Manuel Ier Comnène et Berthe de Sulzbach, près du Palais des Blachernes. Elle reçoit ensuite les habits de despoina et les insignes de l’augusta de la part de la Porphyrogénète, alors définie comme basilissa.

Par conséquent, la future impératrice est intégrée dans la famille lors d’un rite initiatique et codifié.

Épouser le trône impérial

Épouser le trône impériale à Byzance suppose, pour une impératrice, de s’intégrer dans un cadre défini par l’idéologie impériale byzantine. Selon le Livre des Cérémonies, le mariage est célébré par le patriarche. Les objets du couronnement sont remis à l’impératrice par le basileus lui même à une date pouvant différer du mariage.

Dans le cas d’Alexis Ier par exemple, Irène, unie avec l’empereur en 1078, est couronnée sept jours après l’intronisation officielle d’Alexis. Son couronnement est intéressant puisqu’il résulte de deux facteurs : la pression exercée sur Alexis par sa famille à s’unir à Marie d’Alanie et les manœuvres d’Anne Dalassène face au patriarche qu’elle veut éjecter de son siège. Le patriarche déclare alors qu’il se retirera uniquement si Irène est couronnée.

On remarque également que le couronnement de l’impératrice est un fait de l’empereur, qui lui confère lui même le titre impérial, s’il le décide. Le mariage est un fait important, et celui-ci est de plus en plus institutionnalisé à Sainte Sophie au cours du XIIe siècle. La variété des titres conférés aux impératrices permet de mettre en lumière cette notion de pouvoir et d’influence. La large fréquence du titre d’augusta, définissant le statut juridique de l’impératrice, et assimilé au pendant de l’empereur autokrator et basileus, se retrouve simplifié sous Alexis Ier. Sous les Comnènes en effet, les augoustai désignent simplement les femmes des empereurs régnant.

L’historienne Barbara Hill rappelle notamment que la mariage n’est pas une donnée obligatoire au moment du couronnement et que la désignation en tant qu’augousta, dans le cas où la cérémonie et le mariage se tiennent le même jour, prévaut sur le statut d’épouse. L’historienne mentionne également le « manque d’autorité céleste » de l’impératrice, couronnée au palais et non à l’église.

D’un point de vue idéologique, ce titre est intéressant puisqu’il semble conféré à l’impératrice un statut éphémère. À la mort d’Alexis Ier, Irène porte désormais le titre de basilissa ou despoina, qui ne confère pas de fonction impériale, tandis que le titre d’augousta revient à la femme de Jean II Comnène, Irène Piroska.

Pour Barbara Hill, ce phénomène existe pendant toute la période des Comnènes et le titre d’augousta s’applique à une seule personne à la Cour comnène.

Assurer la descendance

On retrouve dans les unions impériales l’idée d’une nécessité de la présence de l’impératrice qui, en donnant naissance à des héritiers potentiels, permet une transmission de l’hérédité du pouvoir.

En effet, nous pouvons évoquer l’exemple de Manuel Ier Comnène qui, inquiet de sa descendance après la mort de sa première épouse Berthe de Sulzbach en 1159, écrit au roi de Jérusalem Baudouin III, déclarant sa volonté de se marier à nouveau et lui demandant conseil sur le choix de la future impératrice par le biais de l’envoie d’une ambassade. La seule présence de sa fille Marie ne conforte pas le basileus.

Le rôle de la mère est à Byzance, et particulièrement sous les Comnènes, fondamental. Barbara Hill rappelle que celui-ci s’inscrit dans l’idéal impérial diffusé par les empereurs et est le plus puissant rôle idéologique pour les femmes du milieu du XIe siècle jusqu’à la chute de l’Empire. Responsable de l’éducation des princes et servant de guide, notamment sur le chemin de la religion, il semble que la femme Comnène ait un rôle essentiel lié à l’importance accordée à la fécondité.

Du reste, l’importance de la maternité n’est pas sans rappeler celle qui prévaut en Occident. Murielle Gaude- Ferragu, qui a étudié les reines au Moyen Âge, rappelle le rôle de l’indispensable maternité dans le cadre de transmission du pouvoir à un héritier et la fonction éducatrice des mères. On notera l’exemple de Blanche de Castille avec Louis IX chargée de la pieuse éducation de son fils.

Harmonie du corps et philanthropie

L’harmonie des différentes parties du corps et le visage est privilégiée. Selon Barbara Hill, la description d’Anne Comnène, fille d’Alexis Ier, faite par le chroniqueur Tornikès met en évidence la circularité de son visage et la bonne proportion de ses yeux par exemple.

L’historienne ajoute que selon les écrits de ce dernier et ceux d’Italikos, la beauté d’Irène Doukas ou d’Anne était remarquable puisque c’était une beauté purement naturelle, qui n’avait besoin d’aucun artifice que pouvait constituait le maquillage par exemple, venant contraster avec les représentations iconographiques accentuant la rougeur de leurs joues.

Ce qui semble prédominer dans ce processus de création de « l’idéale femme Comnène » est finalement ce qui relève de la beauté spirituelle. Selon Élisabeth Malamut, « la femme byzantine se devait d’être partagée entre son désir de rentrer au couvent et celui de la maternité ».

Tout comme chez le basileus, l’impératrice accorde une importance toute particulière à la philanthropie découlant de sa fonction : actes de charité, protection des plus pauvres etc. Pour l’historienne, bien que leur comportement puisse faire l’objet de certaines critiques, il reste que toutes avaient pour volonté « se de fondre dans cette représentation impériale ».

Exercer le pouvoir ?

La place des femmes dans l’exercice du pouvoir à Byzance sous les Comnènes mérite une attention particulière. La mère d’Alexis Ier, Anne Dalassène, est désignée pour assurer la gestion de l’empire en l’absence de son fils. Ce n’est pas la première fois qu’une femme se retrouve à la tête du gouvernement.

Néanmoins, la nouveauté réside dans le fait qu’Anne Dalassène ne bénéficie pas du titre d’impératrice et est simplement désignée et considérée comme la mère du basileus. Son seul statut de parenté semble donc lui conférer un rôle politique de premier plan. Les impératrices peuvent également intervenir pour influencer l’empereur dans ses prises de décisions.

Des enjeux diplomatiques nouveaux

Sous le siècle des Comnènes, la diplomatie joue un rôle très important dans l’exercice du pouvoir. Les mariages avec les princesses étrangères se généralisent sous les Comnènes et deviennent un moyen de consolidation du pouvoir et de création d’alliances avec les autres puissances. Lorsque Jean II Comnène épouse Irène Piroska, fille de Ladislas Ier de Hongrie en 1104, il instaure une politique matrimoniale nouvelle.

Bien que des alliances avec des princesses étrangères ne soient pas un fait existant uniquement au XIIe siècle, la politique matrimoniale entre l’empereur et les souverains occidentaux, par exemple, se densifie sous les Comnènes.

Pour l’historienne Évelyne Patlagean, ce phénomène tient notamment pour trois raisons : une « ouverture sur un horizon international » et un renouvellement à la fois géopolitique et diplomatique , des alliances jugées « plus sûres pour la dynastie » et enfin la restriction canonique dans le choix des conjoints qui obligent les empereurs à rechercher des épouses au delà de l’aristocratie byzantine.

Manuel Ier Comnène reçoit Agnès de France. Extrait du manuscrit Vat.gr.1851 folio 2v - Anonyme | Domaine public
Manuel Ier Comnène reçoit Agnès de France. Extrait du manuscrit Vat.gr.1851 folio 2v – Anonyme | Domaine public

L’historien Charles Dielh rappelait que

« peu d’États ont fait à la femme plus de place, lui ont accordé un rôle plus considérable, lui ont assuré une plus large influence sur les choses de la politique et les destinées du gouvernement, que n’a fait l’Empire Byzantin ».

Toutefois, ce pouvoir doit être nuancé et analysé avec précaution. En effet, les formes d’influence des impératrices sont souvent passées sous silence par les chroniqueurs, qui valorisent d’avantage leur caractère philanthropique ou mettent en avant la figure masculine. L’impératrice notamment est avant tout à Byzance « intégrée à la sacralité ordonnancée pour la gloire de l’empereur ».

Sous les Comnènes, les impératrices et plus largement les femmes disposent de nombreux moyens d’actions au sein de la politique gouvernementale de l’Empire, mais cela ne fait pas pour autant d’elles le pendant exact au basileus.

Quelques liens et sources utiles

Barbara HILL, Imperial Women in Byzantium 1025-1204: Power, Patronage and Ideology, Londres, Longman, 1999.

Jean-Claude CHEYNET, Pouvoirs et contestations à Byzance (963-1210),Paris, Éditions de la Sorbonne, 1990.

Lynda GARLAND , Byzantine Empresses : Women and Power in Byzantium, A. D. 527-1204, London, Routledge, 1999.

Elisabeth MALAMUT, « L’impératrice byzantine et le cérémonial (VIII-XIIe siècle) », Le saint, le moine et le paysan, Mélanges d’histoire byzantine offerts à Michel Kaplan, éd. Olivier Delouis, Sophie Métivier et Paule Pagès, Byzantina Sorbonensia 29, 2016.

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