Le royaume de France vit passer des dizaines de rois sur le millénaire que dura le Moyen Âge. Souvent, leur nom de roi est suivi d’un surnom, donné à titre posthume ou non, relatif au déroulement de leur règne, à leur personnalité ou encore à leur physique. On peut penser à Pépin le Bref, Charles III le Gros, Philippe III le Hardi, Charles VIII l’Affable, ou même Jean II le Bon. Et puis il y a Charles VI le Fou.
Un mot qui paraît bien étrange, accolé au nom d’un roi qui régna 42 ans durant, de 1380 à 1422. Mais alors, le royaume de France a-t-il réellement connu un roi fou ?
Charles VI, d’un souverain prometteur aux crises de démence
En 1388, après huit années à régner avec l’aide de ses oncles, Charles VI se décide à gouverner seul. La guerre avec les Anglais, qu’on appellera plus tard la guerre de Cent Ans, lui semble lointaine, puisqu’il dirige depuis près d’une décennie un royaume calme. Le roi d’Angleterre Richard II ne s’attaque pas à la France, trop occupé à gérer les affaires internes de son royaume.
Les années à venir semblent prometteuses pour la France. Elle profite des années de paix pour redresser l’économie, la démographie et se renforcer. Les décennies précédentes ont été terribles pour le royaume, sur fond de batailles et d’épidémies.
Le roi Charles VI lui-même est décrit comme bel homme, bon cavalier et réfléchi. Rien ne laisse présager les étranges événements qui changeront le roi de France jusqu’à sa mort.
La première crise de folie
Le 5 août 1392, Charles VI est en route, à cheval, pour rejoindre la Bretagne et se venger d’un homme qui a tenté d’assassiner son connétable Olivier de Clisson. Soudain, dans la forêt du Mans, un fou surgit. Au Moyen Âge, il est commun que les fous soient attentivement écoutés : leurs paroles pourraient être des messages divins. Or cet homme-là prévient Charles VI de ne pas continuer sa route car il a été trahi. Le message est sinistre, mais le fou est écarté et le roi et sa troupe reprennent la route.
« Le roi fut saisi tout un coup d’un élan de fureur »
Chronique du religieux de Saint-Denys, contenant le règne de Charles VI de 1380 à 1422
Quelques heures plus tard, le roi est pris d’une crise de folie. Il se jette sur ses hommes, en tue plusieurs, tente de tuer son frère cadet Louis d’Orléans, et brise son épée ; ce qui, dans une société croyant aux signes, est un mauvais présage. La paranoïa soudaine du roi dure près d’une heure, et il est immaîtrisable : en effet, puisque le roi est sacré, personne n’a le droit de le toucher.
La description de cette crise inattendue s’arrête là. Aucun auteur contemporain ne s’attarde sur l’événement. Le roi semble mourant pendant 4 jours, son armée fait demi-tour et tous rentrent à Paris, sans savoir ce qui lui est réellement arrivé.
Un règne ponctué de démence
Pourtant, cet incident ne sera pas le seul moment où le roi souffrira d’une sorte de violente hystérie. Une des crises les plus marquantes pour son entourage reste celle de juin 1393 où le roi ne reconnaît plus son prénom et affirme s’appeler Georges, ne pas être roi de France, ignorer qu’il a une femme et des enfants et casse tout ce qu’il trouve autour de lui. Il prétend même avoir des os de verres et que nul ne doit le toucher !
Avec les années, les crises s’additionnent et très vite les chroniqueurs de l’époque, dont celui qui a relaté le règne de Charles VI, le moine de l’Abbaye de Saint-Denis (probablement Michel Pintoin), cessent de raconter les crises de folie du roi. Désormais, il s’agit de noter le début et la fin des crises, sans en donner plus de détails. Il semble juste récurrent qu’à chaque poussée de folie, le roi ne reconnaît plus personne, est pris de violence incontrôlable, et cesse de subvenir à ses besoins fondamentaux : manger, se laver, ou même se lever. À chaque fois, quand la crise est passée, le roi ne se souvient de rien. Il vit désormais dans la hantise de la crise suivante.
En 42 ans de règne dont 30 années où la santé du roi est instable, celui-ci connaît une trentaine de crises, allant de plusieurs jours à plusieurs mois. Elles sont irrégulières et surtout, il ne semble y avoir aucun signe avant-coureur indiquant que le trouble pourrait ressurgir. Quand une crise survient, le roi ne peut plus gouverner, et ses conseillers ainsi que son entourage doivent soit prendre des décisions eux-mêmes, soit attendre que le roi soit rétabli. En effet, quand la crise est passée, le roi se remet à gouverner de main ferme, se rend sur les champs de bataille et retrouve sa splendeur.
Mais alors, le diagnostic ?
De quoi souffrait Charles VI durant son règne ? Plusieurs hypothèses ont été proposées, notamment par le moine de l’abbaye de Saint-Denis. L’hypothèse médicale suggère que le roi est en proie à un dérèglement des humeurs. En effet, cette théorie des humeurs, développée par Hippocrate (V-VIe siècle a. J.C.), présente la santé du corps comme un équilibre entre quatre éléments : air, feu, terre et eau, ainsi que quatre qualités : chaud, froid, sec et humide ; qu’on associe à quatre fluides corporels : sang, bile jaune, bile noire, lymphe.
Si les humeurs sont déséquilibrées, le corps n’est plus en bonne santé. Avec ces minces connaissances médicales, c’est tout ce que les médecins de l’époque pouvaient avancer.
Une multitude de raisons à la folie de Charles VI
On pense aussi à un empoisonnement par l’eau, ou un sort lancé par des sorciers et sorcières malintentionné(e)s : les regards se tournent vers le frère cadet du roi, qui ne cache pas qu’il se sent plus légitime que son aîné pour régner… Aussi, on lance l’hypothèse divine : Dieu aurait lancé ce fléau sur le roi pour illustrer son amitié auprès du roi de France, surnommé « le roi très chrétien ». Après tout, qui aime bien châtie bien ?
D’autres encore avancent que Dieu punirait le roi de certains de ses comportements : en effet, le roi est connu pour avoir plusieurs relations adultères, et pour participer à de nombreux tournois chevaleresques, ce qui ne serait pas digne de son statut royal : c’est une activité de noble, or le roi se place au-dessus de la noblesse dans la hiérarchie féodale.
Des recherches modernes sur la santé du roi
Aux XXe et XXIe siècles, le cas Charles VI a été l’objet de plusieurs recherches médicales et psychologiques. Si la théorie des humeurs ou le châtiment divin ont été écartés, l’hypothèse la plus avancée est que le roi Charles VI souffrait d’une certaine psychose maniaco-dépressive, peut-être liée également à une forme de schizophrénie. Il reste cependant difficile d’établir un diagnostic médical cinq siècles plus tard, ses crises ayant été peu décrites. Il y a également un doute sur l’hérédité du trouble : sa mère, Jeanne de Bourbon et femme du roi Charles V, avait connu en 1375 une période de plusieurs mois où elle se retrouva psychologiquement séparée du reste du monde, un état d’aliénation mentale.
Une folie destructrice pour la monarchie française
Il ne faut pas négliger par ailleurs les conséquences que la folie du roi a eu sur le royaume de France : incapable de gouverner seul, son frère cadet a longtemps voulu prendre sa place sur le trône. Dès 1393 et l’épisode tragique du bal des ardents du 28 janvier où plusieurs nobles meurent dans un incendie (Charles VI y échappant de justesse), le roi décide par une ordonnance de confier la régence de son royaume à son frère et ses oncles lorsqu’il subit une période de crise. En effet, le peuple parisien fut outré qu’un tel évènement se soit produit malgré la fragilité mentale du monarque et le souverain a donc décidé de prendre les devants pour éviter toute révolte.
Aussi, le traité de Troyes ratifié en son nom en 1420 (alors qu’il n’a plus une once de raisonnement depuis près de 5 ans) sépare le royaume de France pour en confier une partie à l’ennemi anglais. Ainsi, la folie du roi a touché bien plus que Charles VI seulement, et ses conséquences sont lourdes pour le royaume de France tout entier.
Quelques liens et sources utiles :
GUENÉE Bernard. « Le portrait de Charles VI dans la Chronique du religieux de Saint-Denis ». Journal des Savants, vol. 1, no 1, 1997, p. 125‑65.
HAUSTGEN Thierry. « Le « cas » Charles VI vu par les psychiatres ». PSN, vol. 15, no 2, juin 2017, p. 35‑40.
PEREZ Stanis. « 3 – Malades couronnés ». Hors collection, 2018, p. 71‑93.
Une réponse
Bravo Axelle. Article très intéressant qui résume bien la triste vie de ce malheureux roi.