Walter Jackson Freeman était un neurologue américain connu pour son rôle significatif dans la promotion et la popularisation de la lobotomie au XXe siècle. Il a en effet consacré une grande partie de sa carrière médicale à la psychiatrie et à la neurologie, développant alors la lobotomie, une intervention chirurgicale du cerveau controversée censée traiter divers troubles mentaux.
Cependant, malgré l’enthousiasme initial pour cette procédure, la lobotomie est finalement tombée en disgrâce en raison de ses conséquences néfastes et de ses critiques. La vie de Walter Freeman est ainsi marquée par sa contribution à l’histoire de la psychiatrie, mais aussi par les controverses et les débats éthiques entourant la lobotomie.
Walter Freeman
Né à Philadelphie en 1895 d’une famille renommée dans le domaine médical, la carrière de Walter Freeman était toute tracée. William Keen, son grand-père, était une des pointures de la neurochirurgie américaine. Il fut le premier chirurgien à avoir pratiqué une ablation de tumeur cérébrale sur le sol américain.
Une carrière médicale toute tracée
Walter Freeman fait donc son premier cycle universitaire, l’équivalent américain d’une licence, dans la prestigieuse Université de Yale. Il y obtiendra son diplôme en 1916. Il poursuit ensuite ses études de médecine à l’Université de Pennsylvanie sous la tutelle du neurochirurgien Dr. William Spiller. Après quatre ans d’études à l’Université de Pennsylvanie et d’internat à l’hôpital universitaire de Philadelphie, Freeman obtient finalement son diplôme de médecin en 1920.
Grâce à l’influence de son grand-père, Freeman est nommé directeur des laboratoires de l’hôpital St Elizabeth, un institut renommé dans le traitement des maladies mentales, à une époque où l’obusite est encore mal compris, mais les cas très nombreux à la fin de la Première guerre mondiale. Sa carrière progressant, il devient professeur aux universités de Georgetown et de George Washington. Il devient d’ailleurs président du département de neurologie de cette dernière université. Cette nouvelle responsabilité le poussera à faire son master et son doctorat en neuropathologie.
Une personnalité atypique
Il y a cependant un aspect de Walter Freeman qu’il est nécessaire de prendre en compte quand il s’agit de sa carrière et de son obsession pour la lobotomie : sa personnalité excentrique. Walter Freeman aime se mettre en avant et est très doué pour cela. Non seulement, il aime sortir de l’ordinaire, mais il utilise son originalité pour attirer les regards vers lui. Cela explique d’ailleurs son choix vestimentaire du chapeau large, du bouc, des lunettes rondes et de la canne.
Plus encore, lorsqu’il n’était encore qu’un interne à l’hôpital universitaire de Philadelphie, Freeman a participé à une opération visant à retirer un anneau métallique enserré autour du pénis d’un patient. Il décide alors de garder l’anneau en souvenir. Depuis cette première opération atypique, Freeman a gardé des mémentos de la plupart des opérations auxquelles il a participé activement, dont ses lobotomies.
Freeman a rapidement été attiré par les ponctions sous-occipitales, une procédure visant à collecter du liquide cérébral. Il développe d’ailleurs cette pratique pour la rendre plus rapide et efficace. Cela marque le début de son obsession pour la lobotomie.
La lobotomie
La lobotomie découle de la leucotomie, procédure pratiquée dans les années 1930 par le neurologue portugais Antonio Egas Moniz.
Cependant, la leucotomie d’Egas Moniz, qui est désormais interdite dans le monde entier, ne sectionne qu’une partie des substances blanches du cerveau.
De son côté, la lobotomie détruit l’entièreté des fibres nerveuses reliant le lobe frontal du cerveau sur lesquelles se trouvent ces substances blanches.
À l’époque, comme il y avait peu de traitements efficaces pour les maladies mentales, la lobotomie était vue comme une procédure certes radicale mais qui promettait de soulager les symptômes de ces affections.
Il était dit que la lobotomie pouvait calmer les patients par le fait de supprimer ou de réduire leurs émotions et leurs impulsions. La lobotomie visait donc à traiter divers troubles mentaux et émotionnels, tels que la schizophrénie, la dépression, l’anxiété, et même les comportements agressifs ou impulsifs.
L’essor de la lobotomie
En 1935, Walter Freeman recrute James W. Watts à l’Université de George Washington. Ce dernier devient peu de temps après son principal associé. Watts pratique dès lors massivement la lobotomie sous la supervision de Freeman.
Un duo de choc
Cette relation professionnelle entre Walter Freeman et James W. Watts a joué un rôle central dans l’essor de la lobotomie aux États-Unis. En effet, étant simplement neurologue, Walter Freeman n’avait pas les compétences ni même le droit d’opérer seul.
Sans la participation d’un chirurgien, Freeman aurait dû se contenter de développer la théorie de la lobotomie, mais n’aurait pu la mettre en pratique.
C’est donc pour cela que le duo formé entre Walter Freeman et James W. Watts est indissociable quand on parle de l’histoire de la lobotomie.
Ensemble, ils ont formé un duo complémentaire qui a contribué à populariser la procédure. Pendant que Watts effectuait les interventions chirurgicales, Walter Freeman, étant un excellent orateur, était chargé de promouvoir la lobotomie et de recruter d’autres médecins à travers le pays pour la pratiquer.
La montée médiatique
Persuadé que la lobotomie était la procédure miracle face à la maladie mentale, Freeman n’avait aucun mal à la mettre en avant par le biais de la presse. Les talents oratoires de Walter Freeman couplés au sujet insolite de la lobotomie ont d’ailleurs rapidement attiré l’intérêt de la presse américaine.
Cette médiatisation de la procédure médicale pratiquée par Freeman et Watts est telle que dans les patients lobotomisés du duo nous retrouvons la tristement célèbre Rosemary Kennedy, sœur du président John Fitzgerald Kennedy.
Le déclin de la lobotomie aux États-Unis
Freeman décide par la suite de faire en sorte que la lobotomie soit praticable par une seule personne. Cette nouvelle technique s’appelle la lobotomie frontale transorbitale. Il profite d’ailleurs de cette nouvelle pratique de lobotomie pour promouvoir de nouveau la procédure dans les médias.
La séparation professionnelle entre Freeman et Watts
Cependant, les professionnels de la santé, qui pour la plupart n’étaient pas d’accord avec la lobotomie pratiquée par Freeman et Watts, ont encore moins accepté ce nouveau type de lobotomie, qui brave toutes les règles médicales. En effet, cette nouvelle forme de lobotomie est encore plus dangereuse. Elle est performée sans anesthésie par une seule personne et présente des risques considérables pour le patient. De plus, Freeman effectuait ces interventions dans un endroit inadapté comme son bureau. Il y a d’ailleurs eu le cas d’un patient mort d’hémorragie car Freeman, déconcentré par la présence d’un journaliste, avait sectionné au mauvais endroit.
Et même James W. Watts, le fidèle acolyte de Walter Freeman, désapprouvait de cette nouvelle lobotomie. Watts avait même prévenu Freeman que s’il n’arrêtait pas ces lobotomies transorbitales il partirait du cabinet. C’est pourquoi Watts a officiellement mis fin à leur collaboration après avoir de nouveau retrouvé Freeman en train de pratiquer l’une de ces lobotomies dans leur bureau commun. Cette lobotomie frontale transorbitale peut alors être vue comme le précurseur du déclin de la lobotomie.
Un regard social qui tourne en défaveur de la lobotomie
Au fil du temps, la lobotomie est devenue de plus en plus controversée en raison de ses effets secondaires graves, tels que des changements de personnalité, une perte de motivation, une apathie, ou encore des complications physiques. De plus, Freeman manquait de preuves scientifiques solides pour soutenir son efficacité.
Surtout que d’après son propre article sur la lobotomie transorbitale, seule la moitié des lobotomies effectuées sur les personnes atteintes de schizophrénie et d’involution (le cerveau vieillissant plus vite causant des pathologies comme la dépression) ont été efficaces. Au vu des risques posés, tels que la perte d’autonomie partielle, voire totale, du patient ou encore la mort, un taux de réussite qui n’est que de moitié aurait dû le faire réagir.
En effet, Freeman était connu pour sa tendance à minimiser les risques et les effets secondaires de la lobotomie. De son côté, Watts, en tant que chirurgien, était principalement préoccupé par les aspects techniques de la procédure. Cette déconnexion du duo médical face au patient et à son bien-être a fini par être l’un des facteurs du déclin de la lobotomie dans l’opinion publique américaine.
Dans les années 1950 et 1960, des médicaments et des approches thérapeutiques plus ciblées ont remplacé la lobotomie. C’est le début de l’abandon progressif de la lobotomie en tant que pratique médicale.
L’impact de Walter Freeman et de la lobotomie sur l’image de la psychiatrie
Aujourd’hui, la lobotomie est largement considérée comme une pratique brutale et inhumaine. Elle est maintenant surtout étudiée dans le contexte de l’histoire de la psychiatrie pour ses conséquences controversées. Dans son livre « The Icepick Surgeon« , Sam Kean vient même à comparer Walter Freeman à Josef Mengele.
Pour ce faire, Kean avance que si l’on devait tenter de trouver une quelconque concurrence dans le domaine de l’horreur médicale à Mengele, on la trouverait en Walter Freeman. Il note cependant que Freeman n’était de son côté ni fou à lier, ni même foncièrement mauvais, mais qu’il souhaitait réellement guérir ses patients grâce à la lobotomie et que cela fut sa propre perte.
La lobotomie ne résultait pas d’une volonté malsaine de nuire à des personnes. Cependant, Freeman et Watts ont tout de même fait fi des risques dont ils étaient évidemment conscients au profit de l’expérience et de la gloire médicale. C’est précisément la raison pour laquelle la neurochirurgie se retrouve désormais affublée d’une image particulièrement négative, comme on le remarque notamment au cinéma avec des films comme “Vol au-dessus d’un nid de coucou”.
Toutefois, l’impact de Walter Freeman et de la lobotomie n’est pas entièrement négatif. Comme le font savoir James Caruso et Jason Sheehan, la popularité de la lobotomie a décrédibilisé la neurochirurgie. Ils indiquent cependant que cela a également mené à un développement intense de l’éthique médicale. Il est en effet désormais obligatoire en médecine de regarder toutes les autres options possibles avant de proposer une chirurgie aux risques ou aux effets secondaires pouvant affecter la vie du patient. On ne parle pourtant plus de chirurgies avec seulement 50% de taux de réussite comme la lobotomie, mais bien d’interventions avec un taux de réussite très élevé.
L’impact négatif que Freeman aura eu sur l’image de la neurochirurgie a donc mené à un accroissement des mesures de prévention médicales et de l’éthique professionnelle. On peut alors dire que Freeman aura tout de même participé au développement de la psychiatrie et de la neurochirurgie, bien qu’aux dépens de la vie d’autrui.
Quelques sources et liens utiles :
Caruso, James P., and Jason P. Sheehan, “Psychosurgery, ethics, and media: a history of Walter Freeman and the lobotomy.” Journal of Neurosurgery, Vol. 43, N°3, 2017.
Freeman, Walter J., “Transorbital Lobotomy.” Am J Psychiatry, Vol. 105, N°10, 1949, pp.734-740.
Kean, Sam, “The Icepick Surgeon; Murder, Fraud, Sabotage, Piracy, and Other Dastardly Deeds Perpetrated in the Name of Science.” New York, Little, Brown and Company, 2021.
Forman, Miloš, “Vol au-dessus d’un nid de coucou.” United Artists Michael Douglas Production, 1975.