Le camouflage est essentiel, et depuis sa généralisation dans les armées, il est inconcevable d’envoyer des hommes à la guerre sans lui. Depuis la Première Guerre mondiale, les armées du monde ont cherché à dissimuler les hommes, les armes, les véhicules, et même les navires de guerre. Le camouflage Dazzle a offert une protection à base de peinture pour éviter d’être correctement identifié en mer.
Bien loin des standards que l’on peut imaginer, comme le camouflage Daguet, le Dazzle n’a pas pour objectif de rendre le navire indétectable, seulement de casser les lignes de vue pour créer des trompe-l’œil. Rapidement mis en service, il est devenu inutile dès la Seconde Guerre mondiale à cause de nouveaux outils de détection comme le radar.
Le camouflage Dazzle : faire disparaître les navires de la mer
Le camouflage Dazzle est une excentricité de la marine de guerre du XXe siècle. Ce camouflage est à créditer à l’artiste peintre Norman Wilkinson. Au cours de la Première Guerre mondiale, il met son talent à contribution et propose à la Royale Navy un moyen de protéger les navires le “Camouflage Dazzle” (embrouiller en anglais).
Les opérateurs des navires, durant la Première Guerre mondiale, utilisaient des télémètres mécaniques pour identifier les cibles à l’artillerie. Lorsqu’ils identifiaient un navire avec un tel camouflage, ils ne pouvaient pas savoir s’ils voyaient la proue ou la poupe du navire rendant dès lors impossible les tirs. Les motifs entrecroisés du camouflage génèrent des illusions d’optique qui perturbent la vision de l’opérateur.
De plus, un tir d’artillerie doit prévoir la position d’une cible dans le futur, les distances entre les navires étant très importantes – parfois plusieurs kilomètres – il faut pouvoir calculer la position, la vitesse et le cap du navire pour prévoir le tir et toucher. Le camouflage est donc disruptif et protège les navires de l’artillerie et des torpilles, mais pas de l’aviation, et des nouvelles technologies notamment le radar.
Un atout pour se prémunir des U-boot
Le concept n’a pas intéressé la marine anglaise au début de la guerre, mais lorsque les Unterseeboot (U-boot) ont commencé à affaiblir les lignes de ravitaillement dans l’Atlantique en 1917, l’amirauté a cherché à trouver des artifices pour limiter les dégâts et soustraire les navires anglais des périscopes allemands. Le camouflage disruptif devient rapidement le procédé le plus adapté. Le SS Industry est le premier navire marchand a être équipé d’un tel camouflage, il passe le test d’efficacité et dès lors le lieutenant Norman Wilkinson est placé à la tête d’une unité en charge du camouflage de la flotte anglaise. L’unité se compose de militaires mais aussi de civils, notamment des étudiants et des artistes. Ils travaillent en consoeur dans les ateliers de la Royal Academy of Arts. Edward Wadsworth est l’artiste le plus connu de l’unité, notamment parce qu’il a supervisé le camouflage de plus de deux cents navires.
“The primary object of this scheme was not so much to cause the enemy to miss his shot when actually in firing position, but to mislead him, when the ship was first sighted, as to the correct position to take up. [Dazzle was a] method to produce an effect by paint in such a way that all accepted forms of a ship are broken up by masses of strongly contrasted colour, consequently making it a matter of difficulty for a submarine to decide on the exact course of the vessel to be attacked…. The colours mostly in use were black, white, blue and green…. When making a design for a vessel, vertical lines were largely avoided. Sloping lines, curves and stripes are by far the best and give greater distortion.”
L’objectif premier de ces motifs n’était pas tant de faire échouer les tirs de l’adversaire, mais de l’induire en erreur, lorsque le navire était visé, quant à la position exacte sur laquelle il devait faire feu. [Le camouflage disruptif était] une façon de produire un effet d’optique par lequel les formes habituelles d’un navire sont brisées par une masse de couleurs fortement contrastées, augmentant ainsi la difficulté pour un sous-marin de décider sur quelle trajectoire attaquer le navire… Les couleurs les plus utilisées étaient le noir, le blanc, le bleu et le vert… Lors de la conception d’un schéma, les lignes verticales étaient à éviter. Les lignes inclinées, courbées et les rayures sont de loin les meilleures et engendrent une plus grande distorsion de l’image.
Norman Wilkinson s’exprimait de la sorte sur son invention en 1919 dans une conférence.
Le camouflage Dazzle un outil de sauvegarde des navires
Au cours de la Première Guerre mondiale plus de 4 000 navires marchands et 400 navires de guerre sont recouverts d’un camouflage disruptif. Les marines des pays étrangers suivent les innovations anglaises et l’intègrent également. Ainsi en France dès 1917 une unité est constituée et en 1918 la marine étasunienne intègre un camouflage disruptif sur ses navires.
USS West Mahomet en camouflage Dazzle en novembre 1918, alors à quai dans un port. Le camouflage montre toute sa puissance de déformation. Il est difficile de savoir où se situe la proue du navire.
HMT Olympic est le navire jumeau du RMS Titanic. Il est en tenue de camouflage Dazzle, dans sa première version alors qu’il était en service en tant que navire de guerre de la Première Guerre mondiale, à partir de septembre 1915.
HMS Argus avec un camouflage Dazzle en 1918 est l’une de nos photographies préférées de ce numéro.
HMAS Yarra avec un camouflage Dazzle, il a été coulé par un croiseur japonais lors de la Seconde Guerre mondiale à plus de 600 kilomètres des côtes de Java, le 04 mars 1942.
Le porte-avions américain USS Essex (CV-9) quitte Hunter Point Navy Yard à San Francisco en Californie. Il navigue vers la destination du Pacifique, le 15 avril 1944. Il vient d’être repeint avec un camouflage Dazzle.
USS Leviathan dans le port de New York, le 8 juillet 1918, portant un camouflage Dazzle et assisté par plusieurs remorqueurs.
Un camouflage qui n’arrive pas à prouver son efficacité
Le camouflage Dazzle pendant l’entre-deux-guerres est délaissé, notamment parce que l’amirauté britannique n’arrive pas à prouver la réelle efficacité du camouflage. Toutefois le camouflage a un pouvoir bénéfique sur le moral. Les marins et les civils croyaient fortement en la capacité de celui-ci pour les protéger des U-Boot allemands notamment.
Lors de la Seconde Guerre mondiale le camouflage disruptif recouvre de nouveau les navires de guerre, mais dans une faible proportion. Les nouvelles technologies comme le radar et la nouvelle menace de l’aviation viennent porter un coup durable sur la nécessité d’un tel camouflage. À défaut de développer des moyens de sauvegarder les navires, les marines essaient de développer des navires insubmersibles, comme le Habakkuk.
Pour revenir au camouflage Dazzle, il s’altère très rapidement et le coût d’entretien est important. Le navire doit être à quai longtemps et une importante main-d’oeuvre doit s’occuper de la restauration de la peinture. Le camouflage Dazzle est surtout utilisée dans les derniers mois de la guerre par la marine américaine dans le Pacifique lorsque l’aviation japonaise ne constitue plus une menace. L’importance du coût dans la réflexion militaire existe toujours. Aujourd’hui, l’armée française peint l’ensemble de ses véhicules d’une couleur unique, le Brun Terre de France, ainsi qu’adopte un nouveau camouflage, le CAMTAC, normalement moins coûteux et nécessitant moins de maintenance.
Aujourd’hui il apparaît de manière sporadique, dans quelques marines de guerre, dans le monde civil pour l’aspect esthétique, mais c’est tout.
Quelques liens et sources utiles
Thierry Dilasser, « Brest. Le camouflage, tout un art », sur letelegramme.fr, 2 mars 2018
Jean-Yves Besselièvre, « Le razzle dazzle peinture de guerre », Chasse-Marée, no 291, 2017
David L. Williams, Naval camouflage 1914-1945 : a complete visual reference, Naval Institute Press, 2001