L’élection de Mauricio Macri en 2015 a marqué un tournant pour l’Argentine après plus de dix ans de gouvernance kirchneriste. Ancien maire de Buenos Aires et homme d’affaires, Macri s’est présenté comme le candidat du changement, promettant de moderniser l’économie et de rétablir la confiance des marchés internationaux.
Son programme néolibéral visait à réduire l’intervention de l’État, à libéraliser les échanges commerciaux, et à attirer des investissements étrangers pour stimuler la croissance.
Une gouvernance économique contestée : entre libéralisation et crises sociales
Dès son arrivée au pouvoir, Macri a mis en œuvre une série de réformes économiques, telles que la levée des contrôles sur les capitaux, la réduction des subventions publiques aux services publics, et la libéralisation du marché des changes.
Ces mesures, bien que saluées par certains secteurs de l’élite économique, ont rapidement exacerbé les inégalités sociales. Le coût de la vie a fortement augmenté, notamment en raison de la réduction des subventions énergétiques, ce qui a frappé de plein fouet les classes populaires et moyennes.
L’une des promesses phares de Macri était la lutte contre l’inflation, un problème chronique en Argentine. Toutefois, malgré l’introduction de politiques monétaires restrictives et un prêt massif de 57 milliards de dollars accordé par le FMI en 2018, l’inflation continua de grimper, atteignant des niveaux alarmants en 2019 avec un taux annuel supérieur à 50 %.
Les réformes de Macri, axées sur l’ouverture des marchés et la réduction des dépenses publiques, n’ont pas suffi à relancer la croissance économique. L’Argentine est tombée à nouveau en récession en 2018, aggravée par une crise de la dette qui a ravivé les souvenirs douloureux de 2001.
Sur le plan social, le mandat de Macri a été marqué par des tensions croissantes. Les mesures d’austérité imposées ont suscité de nombreuses manifestations et grèves, en particulier de la part des syndicats et des mouvements sociaux. La promesse d’une modernisation économique a laissé place à un profond sentiment de déception et de frustration parmi une grande partie de la population, qui se sentait de plus en plus éloignée des bénéfices promis par le gouvernement.
Une crise d’identité nationale : entre désillusion et quête de résilience
La présidence de Macri a coïncidé avec une période de questionnement profond sur l’identité nationale argentine. Après les années de kirchnerisme, durant lesquelles l’État-providence avait été renforcé et l’accent mis sur la justice sociale, la libéralisation économique et les politiques d’austérité de Macri ont conduit à une perception accrue des inégalités et à une nouvelle forme d’érosion sociale. L’inflation galopante et la précarité économique ont eu un impact direct sur la perception de l’avenir du pays et sur l’idée même de ce que signifie être Argentin.
Pour beaucoup, l’augmentation des inégalités et la perte de pouvoir d’achat ont alimenté un sentiment de désillusion, remettant en question la solidarité qui avait longtemps été au cœur de l’identité nationale.
La classe moyenne, qui avait retrouvé une certaine stabilité sous les Kirchner, a été à nouveau frappée de plein fouet par la crise économique. L’augmentation du chômage et la précarisation des emplois ont fait resurgir le spectre des années 2001, ravivant des peurs ancrées dans l’histoire récente du pays.
De plus, le retour de l’inflation, que Macri s’était engagé à contrôler, a accentué la méfiance envers le gouvernement et les institutions financières. L’instabilité monétaire, couplée à l’endettement croissant auprès du FMI, a provoqué un sentiment de trahison chez ceux qui espéraient une reprise économique durable.
Le traumatisme de l’échec des politiques économiques précédentes, notamment celles du début des années 2000, a exacerbé le rejet de toute réforme perçue comme favorable aux élites économiques et aux créanciers internationaux, au détriment du peuple argentin.
L’inflation, en particulier, a eu des effets dévastateurs sur les identités individuelles et collectives. Elle a non seulement affecté le quotidien des Argentins, mais a également altéré leur vision de la nation, exacerbant un sentiment d’impuissance face aux forces économiques mondiales. Pour beaucoup, la fierté nationale s’est érodée, remplacée par un cynisme croissant vis-à-vis de la capacité des dirigeants politiques à protéger les intérêts du peuple.
Le mandat de Macri, marqué par l’incertitude économique et politique, a également entraîné une transformation des symboles et des valeurs qui forment l’identité argentine. L’Argentine, autrefois perçue comme un pays de résilience, a vu cette valeur mise à rude épreuve par la succession des crises économiques. Alors que la résilience avait été un élément central de l’identité nationale, notamment après la crise de 2001, cette qualité semblait de plus en plus difficile à maintenir face aux difficultés récurrentes.
La question de la souveraineté, en particulier, a ressurgi dans le débat public. L’accord avec le FMI a été largement critiqué par les opposants à Macri, qui voyaient dans cette décision une nouvelle forme de soumission aux institutions financières internationales. Le spectre de la perte de souveraineté économique, déjà évoqué dans les années 2000, a renforcé une méfiance historique envers l’ingérence extérieure, qui a longtemps façonné l’imaginaire collectif argentin.
Les symboles de l’identité nationale, comme le tango, le football ou la figure du gaucho, sont restés présents, mais leur signification a évolué dans un contexte d’incertitude. Le football, par exemple, longtemps source de fierté et de cohésion nationale, a été affecté par les scandales de corruption dans les fédérations et les résultats décevants de l’équipe nationale lors des compétitions internationales. Ce sport, autrefois sacré, a reflété une Argentine en perte de repères, confrontée à ses propres faiblesses.
Enfin, la décennie 2015-2020 a vu émerger de nouvelles formes d’expression culturelle qui tentaient de réinterpréter l’identité nationale dans un contexte de crise. Des artistes et écrivains, inspirés par les bouleversements sociaux et économiques, ont mis en avant des récits de lutte et de survie, reflétant à la fois la désillusion collective et la recherche d’une nouvelle forme de résilience.
Ces œuvres, souvent critiques des élites politiques et économiques, ont permis de maintenir un espace de réflexion sur ce que signifie être Argentin dans un monde de plus en plus incertain.
En somme, la présidence de Mauricio Macri a été marquée par une crise de confiance profonde et une érosion de l’identité nationale, exacerbée par l’augmentation des inégalités et le retour de l’inflation. Dans ce contexte, les symboles traditionnels ont été réinterprétés, tandis que de nouveaux récits émergent pour tenter de redonner un sens à une Argentine en quête de stabilité et de justice sociale.
Quelques liens et sources utiles
Cincunegui, J. (2018). Mauricio Macri. Editorial Dunken
Brenta, N. (2019). Historia de la deuda externa argentina. Muñoz Creusa
Beauland, G. Amérique du Sud, la fin d’un cycle ? Ritimo. 30 mai 2018