Le mois d’octobre 2023 a vu le conflit israélo-palestinien reprendre de plus belle. Avec ce récent regain de tension dans cette région, et plus particulièrement à Gaza, il a été frappant de voir à quel point l’aide humanitaire était une chose désirée par les populations sinistrées.
Précieux espoir pour les victimes, souffle d’humanité au milieu d’un climat de violence et de désespoir, l’aide d’urgence apparaît aujourd’hui indissociable d’une crise exceptionnelle, parce qu’elle est la seule à pouvoir porter secours quand le chaos règne. Retour sur l’histoire et les développements de l’aide humanitaire.
Premiers développements de l’aide humanitaire
C’est grâce à un Suisse nommé Henry Dunant (1828-1910) que l’on doit le développement massif de l’aide humanitaire. Après avoir fondé en 1856 une société en Algérie, cet homme d’affaires a été rapidement confronté à des problèmes de développement lié au manque de coopération des autorités coloniales françaises.
Pour régler au plus vite ce souci, Henry Dunant décide d’aller rencontrer en personne l’empereur Napoléon III, arrêté en Lombardie avec son armée, afin qu’il puisse débloquer les choses pour lui. Le 24 juin 1859 au soir, Henry Dunant arrive sur place, mais rien ne se passe comme il l’avait prévu.
Dans la journée du 24 juin, s’était, en effet, tenue la sanglante bataille de Solférino, entre les armées franco-sardes et l’armée autrichienne. À la fin des combats, près de 40 000 personnes sont restées sur le champ de bataille, soit blessées, soit mortes. Henry Dunant est profondément choqué par ces images de guerre, et décide d’immédiatement agir pour aider les soldats encore vivants, avec l’aide d’une partie de la population locale.
Bouleversé par cet événement tragique, Henry Dunant décide d’écrire un livre sur son expérience, qui sort en 1862 sous le nom de Un souvenir de Solférino. En posant sur papier l’agonie des soldats, parfois incapables d’être soulagés faute de personnel compétent, de nourriture et de matériel médical, l’homme d’affaires a un déclic.
C’est grâce à ses idées qu’est fondé le 17 juillet 1863 le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), visant à « protéger la vie et la dignité des victimes de conflits armés et d’autres situations de violence, et de leur porter assistance« .
Pour atteindre cet objectif, Henry Dunant décide d’aller plus loin, et une convention se tient ainsi à Genève le 22 août 1864 en présence de douze États européens. Afin d’améliorer le sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, les États signataires acceptent trois choses :
- L’obligation de soigner les blessés, peu importe leur nationalité ;
- La neutralité politique du personnel et des établissements sanitaires ;
- Le symbole de la croix rouge sur fond blanc.
Une petite révolution pour l’époque, mais ceci n’est seulement qu’un début. Trente ans plus tard, en 1899, la convention de la Haye vient adapter à la guerre maritime les principes de la convention de Genève, qui n’était alors véritablement adaptée que pour les guerres terrestres classiques.
Un manquement majeur, qui, combiné à d’autres plus bénins, conduit logiquement à une révision de la convention de Genève le 6 juillet 1906. Il est ainsi décidé d’insister sur la transmission d’informations entre belligérants en ce qui concerne les blessés et les malades.
Les États signataires acceptent également d’opérer un examen attentif des cadavres avant leur inhumation ou leur incinération. Le but est d’humaniser davantage encore la guerre, afin que les familles arrêtent de vivre dans l’espoir malsain de revoir un jour des soldats officiellement « disparus ».
Plus globalement, cette révision de 1906 vient élargir la définition du personnel médical neutre, en incluant les ambulances, les hôpitaux militaires ainsi que les Sociétés de secours volontaires assurant le service sanitaire officiel d’une armée.
Cette époque est importante, car elle voit apparaître la naissance du droit international humanitaire, et les bases des règles de droit international autour de la protection des victimes.
En parlant des victimes, la convention de Genève est révisée une troisième fois le 27 juillet 1929, afin d’inclure de nouvelles dispositions autour des prisonniers de guerre. Est acté ainsi l’interdiction de mesures de représailles et de peines collectives envers les prisonniers de guerre, ainsi que des dispositions pour encadrer le travail des prisonniers.
La convention de Genève ainsi révisée convainc à l’époque à tous les États signataires, mais les évolutions du monde viennent une énième fois rabattre les cartes.
Le droit humanitaire international actuel
Entre 1939 et 1945, la Seconde Guerre mondiale ravage le monde, et avec elle, tous les idéaux construits avec la convention de Genève. Le monde s’est en effet rendu compte assez vite que l’aide humanitaire n’était pas assez adaptée pour protéger les civils, victimes collatérales d’une guerre en plus teintée d’idéologie.
À la sortie de la guerre, il est très clair qu’il faut réadapter l’aide humanitaire à cette double évolution. Mais les États ne veulent pas réviser une quatrième fois la Convention de Genève, par peur de créer un gros bloc juridique illisible, qui négligerait inévitablement les aspects spécifiques à chaque question humanitaire.
En 1949, il est ainsi décidé pour plus de clarté et de précision de créer 4 Conventions de Genève, chacune focalisées sur une perspective précise du droit humanitaire.
La première Convention est relative à la protection des malades et des blessés des forces armées en campagne. Pas de grands changements vis-à-vis de la convention de Genève alors en vigueur à l’époque, juste un rappel des règles.
La deuxième Convention est quant à elle liée à la protection des malades et blessés et naufragés dans les forces armées sur mer. Elle remplace la convention de la Haye du 18 octobre 1907 pour amener plus de clarté juridique au droit humanitaire.
La troisième Convention est axée sur le traitement des prisonniers de guerre. Cette fois-ci, du changement est apporté. La définition de prisonnier de guerre est en effet élargie, et les conditions de la captivité mieux définies.
Enfin, la quatrième Convention est complètement nouvelle, puisqu’elle aborde le sujet de la protection des civils, qui n’avaient pas épargné lors de la Seconde Guerre mondiale. Cette Convention vient définir les obligations d’une puissance occupante vis-à-vis d’une population civile, ainsi que faciliter les démarches pour apporter en masse du secours humanitaire au sein du territoire occupé.
Ces quatre Conventions ont la particularité d’avoir en commun l’article 3, qui insiste sur la nécessité de recueillir et de soigner les soldats lors de conflits armés non internationaux, tout en exigeant que les prisonniers de guerre soient traités en toute humanité, c’est-à-dire sans être torturés, humiliés, voire même tués.
Les Conventions de Genève sont des textes fondamentaux du droit international humanitaire, qui sont encore en vigueur aujourd’hui. Deux protocoles additionnels sont toutefois venus renforcer en 1977 le droit humanitaire international, en venant renforcer la protection des victimes lors des conflits armés internationaux ou non-internationaux, tandis que quelques conventions et traités ont quant à eux établi une certaine réglementation des armes.
Les raisons de l’approbation générale de l’aide humanitaire
Avec le recul, on peut légitimement se demander pourquoi le principe d’aide humanitaire a-t-il fonctionné de suite. Construire une branche internationale du droit basée sur les principes d’humanité et de solidarité en espérant qu’elle soit globalement respectée paraît impensable, et pourtant, c’est toute l’histoire de l’aide humanitaire.
Si l’aide humanitaire a de suite marché, c’est grâce à la logique mutuelle de reconnaissance qui s’est formée entre États et mouvements humanitaires. Les États ont directement reconnu la neutralité des victimes que cherchent à secourir les mouvements humanitaires et les mouvements humanitaires ont quant à eux reconnu de suite la souveraineté de l’État sur leur territoire et leur population.
On a ainsi voulu de suite tuer dans l’œuf l’ambiguïté politique qu’on peut voir dans l’aide humanitaire, pour laisser vraiment place à la combinaison entre la charité et le droit. De nos jours, les conventions de Genève ne viennent ainsi pas faire la morale aux politiques sur la guerre, mais simplement humaniser un concept qu’on a parfois trop tendance à résumer à des entités étatiques déshumanisées utilisant les armes en guise de parole.
Le problème aujourd’hui, c’est qu’avec la redéfinition des natures des conflits, l’aide humanitaire n’a pas pu rester apolitique, ce qui a fait apparaître des contradictions morales que les précurseurs du mouvement humanitaire pensaient avoir réglé dès le départ. Par conséquent, l’aide humanitaire a tendance à souvent faire office de cadeau empoisonné, pour des raisons qui sont explicitées dans cet article…
Quelques liens et sources utiles :
Philippe Ryfman, Une histoire de l’aide humanitaire, La Découverte, 2016
Rony Brauman, L’Action humanitaire, Flammarion, 2000