En 1976, Paris est choisi pour accueillir le sarcophage et la momie de Ramsès II, pharaon de la XIXème dynastie égyptienne, dans un état inquiétant les égyptologues et spécialistes de l’Antiquité : la momie se fait attaquer et dégrader par des champignons.
L’opération consistant à la restaurer est une réussite, et les restes du défunt pharaon sont rapatriés dans son pays d’origine.
Un demi-siècle plus tard, les Égyptiens se souvenant du sauvetage express de la momie par les spécialistes français, le sarcophage est de retour dans la Ville Lumière du 7 avril au 6 septembre 2023, pour une exposition unique intitulée « Ramsès et l’Or des Pharaons ». Cette fois, la momie reste sur les terres qui l’ont vue vieillir, puisque désormais trop fragile pour être transportée.
Ramsès II, plus célèbre pharaon, « choisi par Rê, issu de Rê, aimé d’Amon »
L’histoire n’a pas effacé le nom de Ramsès II, alias Ramsès le Grand, tant pour ses qualités de bâtisseur que pour les conquêtes militaires impressionnantes qu’il a menées. En effet, en plus d’être le pharaon qui a régné le plus longtemps en Égypte (66 ans !), ce roi parmi les rois a notamment mené la plus grande bataille de chars de l’histoire antique, la bataille de Qadesh. Elle est la première grande bataille de l’humanité aussi documentée, en plus d’être d’une importante numérique1 conséquente.
Qadesh est un véritable témoignage militaire de l’époque antique, malgré le fait que les sources disponibles ne répondent pas à toutes les questions : on ne parle pas des ravitaillements de l’armée, de l’organisation militaire hittite, et l’issue de la bataille nous paraît incertaine.
Ramsès le Grand est le 3ème pharaon de la XIXème dynastie : cela signifie qu’avec l’ascension de son grand-père Ramsès Ier au pouvoir au XIVème siècle avant Jésus-Christ, une nouvelle dynastie pharaonique est née : celle des Ramessides. Ramsès Ier fut désigné comme successeur du précédent pharaon du fait de son statut de vizir. Son ambition première est de reconstituer un empire puissant, après le sombre âge que vient de traverser l’Égypte, caractérisé par l’égarement religieux avancé par Akhenaton avec le culte accentué du dieu Amon (une forme d’hénothéisme).
C’est ensuite son fils Séthi Ier qui devient pharaon, lui qui a été préparé toute sa vie pour ce rôle. Tout au long de son règne, Séthi Ier cherche à récupérer des territoires que le roi hittite a annexés à l’Égypte, comme Kizuwatna ou le Mitanni, dérobés par le Hatti lorsque les Égyptiens vivaient sous le règne du pharaon Akhenaton, préoccupé par sa réforme religieuse.
1Les chiffres en histoire sont toujours à relativiser : il n’est pas rare qu’ils soient exagérés pour l’armée adverse, et/ou diminués pour l’armée du souverain qui avance les chiffres, dans le but de paraître plus glorieux.
Des ambitions militaires marquées
En 1279 avant Jésus-Christ, Ramsès II succède à Séthi Ier à l’âge de 25 ans. C’est un pharaon jeune qui arrive au pouvoir, avec des ambitions de grande ampleur. Il commence par sécuriser la côte méditerranéenne, dans l’objectif de reprendre la ville de Qadesh, située en actuelle Syrie, occupée par de nombreux petits états vassaux.
Néanmoins, le roi hittite Muwatalli II cherche quant à lui à s’étendre au sud, puisque Qadesh lui appartient déjà depuis que le Hatti a détruit le Mitanni, qui dominait auparavant Qadesh. La ville a une position stratégique puisqu’elle se situe entre l’Euphrate et la Méditerranée. C’est un carrefour commercial mésopotamien, notamment pour le commerce de l’étain.
Ramsès II cherche à rallier à son empire des cités entourant Qadesh, pour renforcer ses pouvoirs autour de la ville clef : il parvient à rattacher à ses forces armées le roi d’Amuru, autrefois vassal de l’empire hittite. Ce dernier, voyant ce jeu d’alliances se former, se prépare à l’éventualité d’une guerre car ses frontières sont désormais fragilisées. Il prépare par la suite 40 000 hommes et 3 500 chars.
Du côté égyptien, puisqu’il ne s’agit plus seulement que de la domination de Qadesh mais bien de toute la Syrie, Ramsès II prépare 2 000 chars et 20 000 hommes, répartis en 4 divisions de 5 000 soldats : la division de Rê, Amon, Ptah et Seth ; ainsi que des unités d’élites formant 5 000 hommes.
Le déroulement de la bataille de Qadesh
C’est aux alentours de 1275 avant Jésus-Christ qu’a lieu cette grande bataille qu’on retrouve inscrite sur de nombreux sites archéologiques d’Égypte. Les troupes égyptiennes remontent la côte et arrivent près de Qadesh, jusqu’à croiser des bédouins, les informant que les hittites sont bien plus loin au nord. Cette information est une tromperie, puisque les bédouins se révèlent être des espions hittites. Or, la supercherie est découverte plus tard, lorsque les Égyptiens se font attaquer par surprise et perdent 2 de leurs 4 divisions.
La catastrophe est évitée pour Ramsès grâce à l’arrivée des Na’arins, des renforts de l’armée égyptienne, qui changent le cours de la bataille que les Hittites menaient jusqu’alors.
La bataille de Qadesh semble prendre fin grâce à un armistice demandé par le roi hittite et accepté par le pharaon, sans que ce dernier ne renonce aux territoires et que la paix soit prononcée. Finalement, il s’agit plus d’une trêve entre les 2 empires, qui ont perdu chacun des milliers d’hommes.
Je les ai fait plonger dans le fleuve comme des crocodiles… ceux qui sont tombés ne se sont pas relevés.
Extrait d’une vidéo de l’exposition « Ramsès et l’Or des Pharaons », du 7 avril au 6 septembre 2023, Grande Halle de la Villette, Paris
Une propagande exceptionnelle
La bataille de Qadesh est relatée dès le vivant du pharaon Ramsès II sur les temples de l’empire, et les plus populaires : Louxor, Abou Simbel, Abydos, Karnak ou encore le Ramesseum.
Cette fois, le pharaon innove, en se représentant au cœur des évènements et des actions. Tout y est représenté : la préparation à la bataille, les espions bédouins, l’arrivée des renforts…
La figure de Ramsès domine toute l’iconographie, qui se représente d’ailleurs en pacificateur de l’univers soutenu par Amon-Rê, dieu le plus important de la mythologie égyptienne à cette époque.
Les récits du conflit sont aussi diffusés par l’écrit, par des rapports militaires, ou encore par l’unique poème de Pentaour, un récit héroïque de la bataille et rédigé en hiératique sur papyrus, ou encore en hiéroglyphes sur les monuments, seulement 4 ans après les évènements qu’il raconte, et très élogieux pour le pharaon.
Il revint en paix vers le Pays Bien-Aîmé avec son infanterie et sa charrerie ; toute vie, stabilité et force étaient auprès de lui, les dieux et les déesses assurant la protection magique de son corps. Il avait repoussé tous les pays à cause de la crainte qu’il inspirait, tandis que sa puissance avait protégé son armée. Tous les pays étrangers louaient et acclamaient son beau visage.
Poème de Pentaour, traduction de C. Lalouette
Finalement, qui est le vainqueur ?
Contrairement à la propagande glorieuse répandue par Ramsès en faveur des Égyptiens, on ne peut parler d’une victoire pour l’empire pharaonique. Les Hittites sont toujours une menace, et même si Ramsès parvient à reprendre Damas et quelques territoires, ceux-ci sont reconquis plus tard par le roi hittite Hattusilli. Par la suite, aucun des belligérants n’a les moyens pour faire la guerre, l’Égypte étant préoccupée par des révoltes en Nubie et le Hatti menacé par l’empire assyrien à l’est.
Les 2 royaumes ont déclaré avoir gagné la guerre, mais le royaume hittite semble porter plus de nuances : on ne trouve ni fresques ni documents officiels relatant le cours de la guerre, mais on trouve des documents épistolaires ou écrits mentionnant le fait que les Égyptiens ont été repoussés. A contrario, les Égyptiens représentent l’armée hittite massacrée.
C’est la suite des évènements qui offre quelques éléments de réponse : peut-être les Égyptiens se sont-ils démarqués à la bataille de Qadesh, néanmoins, ils ont perdu la Syrie, et la cité d’Amurru reste une cité-vassale des hittites. Sur le plan stratégique, c’est le roi hittite Muwatilli qui semble être le plus victorieux.
Après plusieurs années de négociations, vers 1259 a.C, un traité de paix est signé : le traité de paix égypto-hittite. Il règle la question territoriale, en une promesse de paix, d’assistance mutuelle, un pacte de non-agression et en déclarant la libre circulation des marchands. Cela s’illustre par les mariages célébrés entre les princesses hittites et Ramsès II.
Ramsès, Grand Roi, Roi d’Égypte, est en bonne paix et bonne amitié avec [Hattusili], Grand Roi du Hatti. Les fils de Ramsès-aimé-d’Amon, [Grand Roi], Roi d’Égypte, seront en paix et [en fraternité avec] les fils de Hattusili, Grand Roi, Roi du Hatti, pour toujours. Et ils resteront dans les mêmes relations de fraternité [et de] paix comme nous, ainsi l’Égypte et le Hatti seront en paix et en fraternité comme nous pour toujours. Ramsès-aimé-d’Amon, Grand Roi, Roi d’Égypte, n’ouvrira pas à l’avenir d’hostilités contre le Hatti pour y prendre quoi que ce soit, et Hattusili, Grand Roi, Roi du Hatti, n’ouvrira pas à l’avenir d’hostilités contre l’Égypte pour y prendre quoi que ce soit.
Gary M. Beckman, Hittite Diplomatic Texts, Atlanta, Scholar Press, coll. « Writings from the ancient world », 1999
Quelques liens et sources utiles :
Exposition « Ramsès et l’Or des Pharaons », Grande Halle de la Villette, Paris
BERARD Jean « Vérité et fiction dans le poème de Pentaour. Étude sur la formation des légendes ». Revue des Études Anciennes, vol. 49, no 3, 1947, p. 217‑27