« Le Déluge » ou la fin de l’Ancien Régime

Il y a quelques mois sortait au cinéma le film “Le Déluge”, réalisé par Gianluca Jodice consacré à un épisode méconnu de la période révolutionnaire.
Louis XVI et sa famille conduits au temple le 13 aoust 1792, Auteur anonyme, conservé à la Bibliothèque nationale de France | Creative Commons 4.0
Louis XVI et sa famille conduits au temple le 13 aoust 1792, Auteur anonyme, conservé à la Bibliothèque nationale de France | Creative Commons 4.0

Sommaire

Ce film, librement inspiré des carnets du valet de chambre du roi, Jean Baptiste Cléry, entre dans la Révolution française à partir de 1792 dans une tragédie en trois actes, l’occasion pour nous de proposer un éclairage de ces événements. 

Les Dieux 

Gianluca Jodice brosse dans ce premier acte, intitulé “Les Dieux”, le portrait entaché de la famille royale. Désormais enfermée à la maison du Temple à partir du 13 août 1792, cette dernière fait face à une nouvelle réalité. 

Une désacralisation progressive

Sans doute est-il intéressant de s’attarder sur les premières séquences du film, dévoilant le faste des soirées à Versailles et le système de cour prévalant sous l’Ancien Régime, laissant peu à peu place au contexte de la Révolution et à l’austérité du Temple. Louis XVI, incarné par Guillaume Canet, nous apparaît blême, inquiet. Il impose son mutisme à ses geôliers, mesurant la fragilité de sa condition.

Le donjon du temple, peinture anonyme, XVIIIe siècle, — Musée Carnavalet, Collections muséales | Domaine Public.
Le donjon du temple, peinture anonyme, XVIIIe siècle, — Musée Carnavalet, Collections muséales | Domaine Public.

Depuis un an déjà, le caractère intouchable du monarque souffre des nombreuses caricatures et critiques. La Révolution, se nourrissant de la progressive désacralisation du statut royal, permet en effet à son peuple d’abandonner certains principes, notamment lors du passage dans Paris en carrosse du roi vers la prison du Temple : ainsi Louis XVI n’est plus appelé que par son prénom, ou bien “Monsieur”.

Le spectateur s’en étonne d’ailleurs lorsqu’il l’entend pour la première fois. Les mots “sire” et “Majesté” se feront du reste de plus en plus rare au cours du film. En effet, les commissaires de la commune ont pour mot d’ordre de ramener le souverain à sa condition de citoyen, alors même que la monarchie n’est pas encore abolie.

Ces premiers changements dans la nomination du souverain, qui atteignent leur point final lors du procès, ne sont pas anodins, car ils viennent s’ajouter à la déchéance progressive du statut du roi, et donc de la monarchie.

Le roi de France s’insère depuis le Xe siècle dans un discours théologico-politique, c’est-à-dire dans une association du divin et du politique incarnée par la personne royale, garante de la stabilité du royaume. Cette conception métaphysique du pouvoir, inspirée des écrits d’Aristote, se traduit par

Une analogie entre trois types de supériorité : celle de l’âme dans le corps ; celle du roi dans le royaume ; celle de Dieu dans le monde.

Autrement dit, le gouvernement “en garantissant la paix, devait permettre de lire, comme par transparence, l’harmonie universelle”.

Or, la Révolution vient peu à peu, et malgré une tentative vaine de monarchie constitutionnelle, détruire l’ensemble de ces principes idéologiques largement décrits dans les ouvrages d’Arlette Jouanna ou d’Ernst Kantorowicz.

Un roi et une reine face à l’incompréhensible

Le premier acte reconstitue donc les premiers instants de la famille royale au Temple, placée dans une vaste galerie où l’espace de vie est grossièrement limitée par deux cordons. Elle est accompagnée d’une partie de leur suite (principalement de femmes de chambre et de valets) jusqu’à leur séparation. Un spectateur aguerri n’est pas surpris lorsqu’il assiste quelques instants plus tard au fameux épisode de l’assassinat de la princesse de Lamballe, dont la tête est historiquement promenée sur un pic sous les fenêtres de la souveraine, incarnée dans le film par Mélanie Laurent.

Gianluca Jodice propose ici une version modifiée où Louis XVI détourne le regard de sa femme qui s’évanouie dans le vestibule du Temple face au sac tendu par les Parisiens au roi contenant la célèbre tête. Dans les faits, c’est un commissaire municipal, Claude Menessier, qui épargnera ce spectacle à la reine.

Mort de la princesse de Lamballe, Léon-Maxime Faivre, peinture à l'huile, 1908 | Domaine Public.
Mort de la princesse de Lamballe, Léon-Maxime Faivre, peinture à l’huile, 1908 | Domaine Public

Enfin, les journées princières au Temple, d’après les écrits de Cléry, se composent principalement de lectures et de jeux, avant l’isolement du roi le 29 septembre, clôturant le premier acte et contribuant à la mise en scène de la chute du sacré.

Avec « Les Dieux », « Le Déluge » explore ainsi la chute déjà entamée du couple royal à laquelle s’ajoutent la solitude des protagonistes et l’abandon progressif de l’Étiquette. Le spectateur vit alors une expérience immersive où, plongé dans le microcosme du Temple, les agitations extérieures de la Révolutions sont mises en sourdines.

Les hommes 

Des personnages dépossédés

Le spectateur assiste à l’effeuillage des personnages : le couple royal est peu à peu dépossédé de ses attributs, l’épée et les décorations pour le roi, les étoffes et les bijoux pour la reine

Ce dépouillement progressif participe de la transformation du statut des protagonistes. Ce deuxième acte symbolise en effet l’étape où la transition entre le mythe de la couronne et la nouvelle réalité s’achève : le roi et la reine doivent maintenant affronter l’Histoire en tant qu’êtres humains, vulnérables et impuissants. 

Louis XVI au Temple, Jean François Garneray, peinture à l'huile, 1814 | Domaine Public.
Louis XVI au Temple, Jean François Garneray, peinture à l’huile, 1814 | Domaine Public

Le procès 

Le procès exceptionnel de Louis XVI ne constitue par le cœur du film. Les séances au tribunal ponctuent le récit. Le spectateur assiste davantage aux interrogations et crises émotionnelles du souverain, qui ne semble pas toujours mesurer la gravité de la situation. Louis XVI apparaît en effet inquiet mais pas fataliste. Lorsque le directeur de la prison du Temple annonce le début de son procès le 11 décembre 1792 au sein duquel le roi doit apparaître en simple citoyen, Louis XVI répond “et j’espère être jugé comme tel”. 

L’arrivée du roi dans la salle du manège amène le spectateur à observer le regard du peuple sur l’ancien souverain. La monarchie, abolie seulement 5 mois auparavant, fait encore partie du quotidien. Les hommes présents dans la salle sont tous d’anciens sujets et leurs inquiétude est palpable lorsque surgit devant leurs yeux leur monarque. Olivier Bétourné, dans son récent ouvrage La mort du roi, Louis XVI devant ses juges et face à l’Histoire, écrit notamment “Ils voient entrer un conquérant alors qu’ils attendaient un homme à terre”. 

Toutefois, la posture de Louis XVI ne peut arrêter la machine déjà mise en route depuis quelques années, et ce procès marque une véritable césure dans l’Histoire de France. Le monarque, détenteur de l’épée de justice et le lieutenant du Dieu sur Terre est désormais du côté des accusés. Celui qui juge doit désormais se défendre contre ce qu’il considère comme un « attentat sacrilège commis contre la légitimité du droit divin ». Le procès n’est d’ailleurs pas seulement celui d’un homme, mais bien du système que représente la monarchie absolue. Louis XVI ne l’incarne d’ailleurs jamais autant que lorsqu’il se présente devant les juges, pourtant dépossédé de tous les attributs royaux. Ses références et son système de pensée ne sont plus en accord avec ses anciens sujets. Le spectateur comprend d’ailleurs très vite toute l’ambiguïté de ce procès. Les députés eux-mêmes se posent déjà la question de la postérité de l’événement.

Mais Louis XVI est-il véritablement jugeable ? Et si oui, selon quel statut ? 

En vérité, Louis XVI ne peut être jugé en tant que roi absolu ou constitutionnel dans la mesure où la monarchie est abolie. Il ne peut non plus être jugé véritablement en tant que citoyen ordinaire. La couronne et le peuple semblent désormais parler deux langues étrangères l’une de l’autre. Les révolutionnaires, en cherchant à juger l’ancien monarque « comme un simple citoyen », le privent en réalité de tout droit à la défense équitable. Le film insiste sur l’absurdité du procès : les témoins à charge sont biaisés, les accusations souvent exagérées, et la condamnation semble écrite d’avance.

Toutefois, ce procès a deux raisons d’être fondamentales. Il permet dans un premier temps de condamner l’ex-roi de façon légale, en évitant un jugement expéditif ou l’application immédiate d’une sanction. D’un autre côté, il est important pour le peuple de juger un homme qui doit répondre de 33 chefs d’accusation. Comme le note Olivier Bétourné :

“l’inviolabilité constitutionnelle du roi n’avait pas résisté à l’exercice par la nation elle-même de sa souveraineté, le roi serait jugé par la Convention pour faits de parjure, de haute trahison et d’intelligence avec l’ennemi. Les lois pénales ordinaires s’appliqueraient…dans un cadre exceptionnel”.

Olivier Bétourné, La mort du roi, Louis XVI devant ses juges et face à l’histoire, Paris, Seuil, 2024, p. 63.

Enfin, après des semaines de procès, la Convention Nationale déclare (avec 366 voix « pour » sur 721 députés) « Louis Capet, dernier roi des français, coupable d’attentat contre la sécurité de l’Etat » le 20 janvier 1793.

Les morts 

Le couple royal

Louis XVI et Marie-Antoinette ne sont plus des figures de pouvoir, ni même des individus en lutte. Tout juste mesure-t-on chez la reine quelques sursauts d’impétuosité. La Marie-Antoinette de Jodice semble dépasser les injonctions imposées à sa double condition, celle de femme et de reine.

Toutefois, selon l’image d’Epinal, la souveraine semble encombrée et fragilisée par l’inaction de son époux. Néanmoins, ce film a l’intelligence de dévoiler une scène intime et touchante entre ces deux personnages, toujours confrontés au cinéma, et qui semblent se dévoiler au moment de se séparer.

Au crépuscule des rois

Le Déluge explore également la chute physique du monarque. Louis, à la barbe mal taillée, offre au spectateur de longues scènes de silence, le regard perdu. Après sa condamnation, il demande à la Convention un délai de trois jours afin de dire adieu à ses proches, qui lui est refusé.

Les derniers instants du film montre la condamnation du roi et ses adieux à sa famille. Le rythme s’accélère et le spectateur semble lui-même pris dans la tempête des événements. Louis XVI, conduit vers la mort le 21 janvier 1793, n’est pas visible. La caméra préfère en effet observer les conventionnels observant le dernier voyage morbide du souverain. Ce hors-champ amène le spectateur à penser à son propre jugement. L’aurait-il lui même condamné ? Cet épilogue sans gloire semble ainsi inscrire la mort du roi dans un événement inévitable. La monarchie meure avec son symbole le plus fort, tandis que continue sans elle la Révolution.

« Le Déluge » le symbole de la fin de l’Ancien Régime

Sans entrer dans les détails du récit, nous avons cherché à mettre en lumière quelques aspects fondamentaux de ce film, qui propose dans un quasi huit clos un quotidien royal au Temple très peu mis en scène. Toutefois, aux libertés historiques du réalisateur s’ajoute un accueil du film mitigé qui accuse l’œuvre de promouvoir des idées royalistes et d’alimenter des discours politiques à droite.

La métaphore du titre vient clôturer notre analyse. Le spectateur, connaît déjà la fin inéluctable des personnages qui ne peuvent monter à bord de l’archée de Noé incarnée par cette nation en plein mutation. Enfin, c’est ce même raz-de-marée qui sonne la fin de l’Ancien Régime et emporte sur son passage une organisation politique et sociétale dépassée.

« Le Déluge », sorti le 25 décembre 2024, propose ainsi moins une relecture des évènement ou un parti pris politique qu’une incitation au public à se questionner : qu’aurait-il fait face aux grands dilemmes de l’Histoire ?

Quelques sources et liens utiles

Olivier BETOURNE, La mort du roi, Louis XVI devant ses juges et face à l’histoire, Paris, Seuil, 2024

Arlette JOUANNA, Le pouvoir absolu, Naissance de l’imaginaire politique de la royauté, Paris, Gallimard, 2013.

Ernst KANTOROWICZ, Les Deux Corps du roi, Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1989.

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