En Chine, le taux de croissance du PIB en 2023 a atteint 5,2 %. Cette même année, les États-Unis n’ont pas eu à rougir, avec une hausse de 3 %. L’Union européenne quant à elle, n’a vu augmenter son PIB en 2023 que de 0,5 %, soit une belle désillusion pour l’Europe.
Un contraste frappant qui révèle les difficultés structurelles et conjoncturelles auxquelles l’Europe est confrontée, surtout dans un contexte mondial de plus en plus compétitif. Face à ses adversaires qui investissent massivement dans l’innovation et les énergies renouvelables, l’Europe se trouve de son côté confrontée à une série de défis, allant de la crise énergétique à la transition écologique sans oublier son faible dynamisme industriel.
Incapable de stimuler son économie, et semblant en difficulté face aux chocs externes et aux transformations économiques mondiales, le continent européen inquiète. Mais comment en est-il arrivé là ? Quelles sont ses perspectives d’avenir dans un futur proche pour l’Europe ? Réponse dans cet article.
Un choc énergétique prolongé : un frein à la reprise
D’abord, il est clair que l’Europe a fortement souffert du choc énergétique provoqué par la guerre en Ukraine. Combiné aux conséquences économiques des sanctions infligées à la Russie, la situation est vite devenue intenable. En effet, le continent a connu une terrible flambée des prix du gaz et de l’électricité. 20 des 24 pays de l’Union européenne (UE) ont ainsi connu une augmentation des prix du gaz au premier semestre 2023, par rapport au premier semestre 2022, et 22 pays ont vécu le même problème avec les prix de l’électricité.
Fortement dépendante des importations énergétiques, à commencer par le gaz naturel, l’Europe a finalement réussi à trouver des sources d’énergie alternatives. Une transition rapide, mais très coûteuse :
D’abord, les investissements massifs de l’Europe dans les énergies renouvelables ne produisent pas encore de gains économiques immédiats.
Bien que nécessaires sur le long terme, les coûts d’infrastructure, de recherche et de développement restent pesants pour les économies européennes.
C’est d’autant plus compliqué à gérer que la compétitivité industrielle européenne est aujourd’hui en grande difficulté. Les secteurs industriels à forte consommation énergétique, tels la chimie et la sidérurgie, ont particulièrement vu leurs coûts de production exploser. Conséquences : des délocalisations et des baisses de production.
Face à cela, de nombreux gouvernements européens ont mis en place des subventions énergétiques pour compenser l’impact sur les ménages et les entreprises. Problème, elles sont très coûteuses. À titre d’exemple, la France a dépensé plus de 72 milliards d’euros depuis 2021 pour protéger sa population, au mépris de la dette publique. Une démarche louable, mais qui a automatiquement limité sa capacité d’investissement dans d’autres secteurs clés pour l’économie.
Une inflation persistante qui freine la consommation
Qui dit hausse des prix de l’énergie dit augmentation de l’inflation. Un pic a notamment été atteint en 2022, avec plusieurs pays de la zone euro dépassant les 10 %. Si elle est désormais en ralentissement, l’inflation a tout de même laissé de nombreuses traces derrière elle.
En effet, en réponse à cette inflation, la Banque centrale européenne a relevé ses taux d’intérêt de manière agressive, augmentant le coût de l’emprunt pour les ménages et les entreprises.
L’investissement et la consommation en ont donc logiquement pâti, de même que le pouvoir d’achat des Européens. Nombre de secteurs comme le commerce de détail, l’immobilier et les services se sont ainsi retrouvés dans une position délicate, et continuent toujours à souffrir de nos jours.
Compétitivité mondiale : l’Europe à la traîne face aux géants
Les problèmes économiques de l’Europe ne sont pas graves en tant que tels. Ce qui est dramatique, c’est que la compétitivité du continent décline sur la scène mondiale à toute vitesse.
L’industrie européenne est aujourd’hui sous forte pression de la part des États-Unis et de la Chine, qui sont en train de prendre une avance démesurée en matière de technologies de pointe et d’innovation. Pourtant, eux aussi ont connu l’inflation liée à la guerre en Ukraine, et tous les problèmes économiques que cela a engendré.
Seulement, le plan Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, qui inclut des subventions massives pour les industries vertes et les véhicules électriques, est bien plus attirant et clair que tout ce qu’ont pu proposer jusqu’ici les économies européennes pour sortir de la crise. Les investisseurs préfèrent donc logiquement fuir l’Europe, ce qui nuit évidemment à la compétitivité du Vieux continent, qui n’a jamais aussi bien porté son nom…
Si on ajoute à cela la dépendance technologique historique de l’Europe, notamment en ce qui concerne les semi-conducteurs, les technologies numériques et certaines industries avancées, on ne peut que comprendre pourquoi le continent est incapable de rivaliser avec les autres économies mondiales en matière d’innovation technologique.
Fragmentation économique : un frein à l’unité de l’Europe
Si l’Europe est moins performante que les États-Unis ou la Chine, c’est parce qu’elle doit faire face à un problème que ses deux concurrents n’ont et n’auront jamais : la fragmentation économique.
L’Europe étant un continent, il est donc logique que les économies de ses membres soient hétérogènes. Les fractures sont toutefois de plus en plus visibles au fil des jours, ce qui pose problème quant à l’élaboration d’une stratégie économique commune.
C’est d’autant plus difficile que le clivage Nord-Sud de l’Europe est en train de bouger. Si les pays du nord de l’Europe qui ont traditionnellement des économies plus fortes, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont dû faire face à une vulnérabilité nouvelle liée au ralentissement industriel, les pays du Sud, comme l’Espagne ou le Portugal, montrent quant à eux une résilience plus forte grâce à la reprise du tourisme et des investissements dans les énergies renouvelables.
À noter en plus de cela qu’il existe aussi un clivage entre les pays du Sud de l’Europe, qui ne facilite clairement pas les choses. Des pays comme l’Italie ou la Grèce continuent par exemple de souffrir d’une dette publique élevée, ce qui limite leur marge de manœuvre fiscale pour investir dans la croissance ou la transition verte. Or, si l’Europe veut être compétitive économiquement parlant, elle se doit d’être plus ambitieuse, et de faire fi de ces clivages handicapants.
Démographie et main-d’œuvre : un défi structurel pour l’Europe
Si l’on se projette un peu dans le futur, la situation des économies européennes n’est pas vouée à s’améliorer. Il faut dire que la crise démographique et de main-d’œuvre en Europe pose sérieusement souci.
La faible natalité et le vieillissement de la population dans de nombreux pays européens augmentent ainsi les pressions sur les systèmes de retraite et de santé. La main-d’œuvre disponible se réduit donc inexorablement, freinant ainsi la croissance économique à long terme du continent.
Le Vieux continent peine de ce fait à se montrer attractif, notamment auprès des talents étrangers. Pourtant, l’Europe en a clairement besoin pour concurrencer les États-Unis dans les secteurs clés comme la technologie ou l’innovation. Le continent peut certes compter sur les compétences des migrants étrangers, mais les rigidités du marché du travail et les barrières administratives ralentissent l’intégration de ces derniers.
Transition écologique : un défi économique majeur
Si la politique démographique et de main d’œuvre de l’Europe est insuffisante, sa stratégie de transition verte l’est tout autant. La transition énergétique vers une économie décarbonée est un objectif stratégique clé pour l’Europe, mais les lacunes sont encore flagrantes.
Les engagements européens pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 nécessitent encore des investissements colossaux dans les infrastructures vertes, les énergies renouvelables, et les innovations technologiques. Échouer dans cette mission enverrait sans aucun doute un message catastrophique à l’économie mondiale, ce que l’Europe ne peut pas se permettre au vu de sa situation complexe.
L’un des rares domaines où l’Europe est en avance sur les États-Unis et la Chine, c’est la réglementation environnementale. Une chose dont elle ne peut se satisfaire économiquement parlant, puisque cela fait accroître la concurrence face aux pays où les normes sont moins strictes. Le désavantage compétitif pour certaines industries européennes est réel, et montre à quel point combiner économie et écologie dans un monde capitaliste relève de l’impossible.
Risque de récession : quelles perspectives pour l’avenir européen ?
Peut-on alors raisonnablement faire preuve d’optimisme quant à l’avenir des économies européennes ? Difficile à court terme quand on sait que les prévisions pour 2024 indiquent une croissance très faible dans la zone euro, avec un risque de récession technique dans des pays comme l’Allemagne. Difficile aussi d’imaginer un futur doré lorsque l’endettement public explose.
À long terme en revanche, l’espoir est permis. L’Europe conserve en effet des atouts majeurs, comme un secteur de recherche de pointe, des infrastructures solides, et une volonté politique forte de réussir sa transition écologique.
Si elle parvient à surmonter ses faiblesses structurelles et à investir intelligemment dans l’innovation, elle pourrait très bien retrouver une dynamique économique plus positive dans les années à venir. Aux dirigeants politiques et aux citoyens européens de se donner maintenant l’espoir d’y croire…
Quelques liens et sources utiles :
Louis-Marie Clouet, Antoine Marchetti, L’Europe et le monde en 2020 : Essai de prospective franco-allemande, PU SEPTENTRION, 2011
David Engels, Le Déclin : La crise de l’Union européenne et la chute de la république romaine, analogies historiques, L’artilleur, 2013