La Pologne, nation d’Europe de l’Est au riche héritage culturel, a souvent attiré l’attention internationale en raison de ses lois strictes et controversées sur l’avortement. Cet article plonge dans l’histoire complexe de la réglementation de l’avortement en Pologne, explorant les évolutions législatives, les tensions sociales et les mouvements de protestation qui ont façonné le paysage de la planification familiale et des droits reproductifs de cette nation.
L’Histoire de l’avortement en Pologne
Avant l’ère moderne, la Pologne avait des lois relativement tolérantes envers l’avortement. L’interruption de grossesse était pratiquée discrètement et souvent avec l’approbation tacite de la société. Les influences étrangères pendant les partitions de la Pologne ont cependant commencé à restreindre l’accès à l’avortement.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Pologne est devenue un État communiste, et en 1956, l’avortement a été légalisé. Cette loi permettait l’avortement sur demande jusqu’à 12 semaines de grossesse.
Cependant, en 1993, après la chute du régime communiste, une nouvelle loi restrictive sur l’avortement a été adoptée en réponse à l’influence croissante de l’Église catholique (à l’instar de l’Argentine ou encore de la France).
2016 : “la grève des femmes”
La “Grève des Femmes” en Pologne, également connue sous le nom de “Czarny Protest” (protestation noire), est un mouvement de protestation massif qui a éclaté en octobre 2016 en réponse à une proposition de loi visant à interdire complètement l’avortement dans le pays. Ce mouvement a été marqué par son ampleur, sa créativité et son impact significatif sur la société polonaise.
La principale cause de la Grève des Femmes était la tentative du gouvernement polonais de faire adopter une législation qui aurait rendu l’avortement illégal dans toutes les circonstances, y compris en cas de viol, d’inceste ou de danger pour la vie de la mère.
Cette proposition a été perçue comme une attaque directe contre les droits reproductifs des femmes et une intrusion dans leur autonomie corporelle. De plus, elle a été largement perçue comme une manifestation de l’influence croissante de l’Église catholique sur la politique polonaise.
La Grève des Femmes a débuté par des manifestations pacifiques, mais elle a rapidement gagné en ampleur et en force. Les femmes de tous âges et de toutes classes sociales, ainsi que de nombreux hommes solidaires, ont participé aux manifestations qui se sont déroulées dans tout le pays. Les femmes ont porté des vêtements noirs en signe de deuil pour leurs droits reproductifs et brandi des parapluies noirs, devenus un symbole du mouvement. Les grévistes ont également organisé des grèves de travail et des manifestations massives, paralysant certaines parties de l’économie polonaise.
La Grève des Femmes a eu un impact profond sur la société polonaise. Tout d’abord, elle a réussi à empêcher l’adoption de la proposition de loi visant à interdire l’avortement, marquant ainsi une victoire importante pour les droits des femmes. De plus, le mouvement a encouragé un débat national sur les droits reproductifs, mettant en lumière les inégalités de genre et l’importance de l’autonomie corporelle. Cependant, il a également suscité des divisions profondes dans la société polonaise, avec des manifestations de contre-protestation de groupes conservateurs.
2020 : durcissement des lois sur l’avortement en Pologne
La loi de 2020 sur l’avortement en Pologne a marqué un tournant majeur dans la réglementation de l’interruption de grossesse dans le pays. Cette loi a été adoptée en octobre 2020 suite à une décision de la Cour constitutionnelle polonaise, rendant pratiquement illégal l’avortement en cas de malformation grave du fœtus.
Auparavant, l’interruption de grossesse en cas de malformation grave du fœtus représentait l’une des rares exceptions légales permettant l’avortement en Pologne. Cette décision a suscité de vives réactions nationales et internationales.
Depuis 2020, la situation des droits des femmes à l’avortement en Pologne s’est progressivement détériorée. En janvier 2021, le gouvernement a introduit des amendements législatifs qui ont restreint davantage l’accès à l’avortement. Ces amendements ont durci les sanctions pour les médecins qui pratiquent des avortements illégaux et ont rendu plus difficile l’accès aux contraceptifs d’urgence. Le gouvernement a également promu une politique de “famille nombreuse” encourageant la natalité, ce qui a été critiqué pour son impact sur le choix des femmes en matière de reproduction.
Les conséquences de ces lois restrictives sont significatives. Le nombre d’avortements légaux en Pologne a diminué de manière marquée depuis 2020. De plus, de nombreuses femmes se sont tournées vers des avortements illégaux et non médicaux, souvent dans des conditions précaires et dangereuses. Selon des données de 2021, environ 200 000 femmes polonaises avaient déjà avorté illégalement ou à l’étranger depuis l’adoption de la loi de 2020. Les risques pour la santé et la vie des femmes augmentent considérablement dans de telles circonstances.
En 2023, la situation des femmes en Pologne en ce qui concerne l’accès à l’avortement demeure préoccupante. Les restrictions légales et l’environnement politique hostile ont mis en péril les droits reproductifs et l’autonomie corporelle des femmes.
Les mouvements de protestation et les organisations de défense des droits des femmes continuent de lutter pour un assouplissement des lois sur l’avortement, mais la situation demeure tendue et complexe. Les droits reproductifs restent un sujet brûlant de débat en Pologne, mettant en évidence les profondes divisions au sein de la société sur cette question fondamentale des droits des femmes.
Quelques liens et sources utiles
Amnesty International, “Pologne. La régression en matière d’accès à l’avortement porte préjudice aux femmes” 26/01/2022.
Hélène Bienvenu, “En Pologne, les ravages des restrictions d’accès à l’IVG”, Le Monde, 08/01/2023.
Jacqueline Heinen, “L’avortement en Pologne: la croix et la bannière”, Editions l’Harmattan, 01/01/1992.