Elle n’est dans la capitale grecque que depuis 15 jours et elle ne pensait pas que ses origines auraient un impact aussi important sur sa vie athénienne, et à vrai dire, moi non plus. Cet article a été retranscrit dans la plus grande authenticité possible.
Je laisse donc la parole à Émilie.
Cet article a été initialement publié sur voone-actu.com (un site aujourd’hui repris par un autre, où cet article n’est plus accessible). Il a été écrit sur un projet antérieur à Revue Histoire, mais dans la même lignée. Je le publie à nouveau en mon nom sur Revue Histoire.
Une étudiante en quête d’aventure
« Je m’appelle Émilie, j’ai 22 ans. Je suis métisse, mon père est togolais et ma mère est française, et je vis à Lille depuis toujours. Je suis actuellement en Licence 3 Marketing-Vente à l’IAE de Lille et je souhaitais faire une mobilité Erasmus cette année. Athènes n’était pas mon premier vœu mais faisait partie de ma liste de souhaits, et j’étais très contente de pouvoir partir là-bas quand l’école m’a envoyé ma réponse.
Je suis déjà allée à Athènes dans le cadre d’un voyage scolaire au lycée, cela remonte à environ 6 ans. Nous étions partis une semaine à Athènes, et bien qu’il ne me reste que de vagues souvenirs (visites de l’Acropole, des églises, journées en bord de mer), je me souvenais bien de la ville qui n’était pas propre.
Pour une capitale, on s’attend souvent à voir une ville urbaine, moderne, active, dynamique et belle tout simplement. C’est la ville qui reflète une certaine puissance économique, culturelle et politique. Alors, quand j’ai redécouvert la ville 6 ans plus tard, je me suis souvenue de la saleté, mais ce qui m’a vraiment interpellée, ce sont les chauffards qui grillent les feux et roulent sans aucune sécurité pour les piétons, bien qu’ils aient la priorité. »
L’arrivée à Athènes
« Je suis arrivée à l’aéroport avec un beau soleil (ce qui change de Lille) et j’ai préféré commander un Uber, ne connaissant pas encore les transports en commun de la ville.
Lorsque j’ai vu l’appartement, j’ai tout de suite compris qu’il n’y avait pas beaucoup de place à Athènes : on retrouve surtout de grands immeubles très serrés. Je suis arrivée dans l’appartement et je me suis installée tranquillement. Comme il y avait une Française dans ma coloc, j’étais plutôt contente. L’intégration a été plus facile et je ne me suis pas trop sentie dépaysée.
La première journée m’avait donc laissée une bonne impression : j’étais contente et confiante d’être là. »
Les premiers pas en tant qu’athénienne
« Je suis donc arrivée le mardi (13 mars), mais les cours ne reprenaient que le lundi suivant. Les premiers jours, je suis surtout restée avec ma coloc : elle m’a accompagnée pour m’inscrire à la fac et elle m’a guidée dans les transports (ce n’est jamais simple de se repérer dans une autre ville, d’autant plus lorsque tout est marqué en grec et que vous ne connaissez pas cette langue).
Nous sommes également allées faire des achats pour notre colocation. Je n’ai donc pas réellement eu de contact avec les Grecs ou du moins je n’étais pas toute seule quand cela arrivait. Enfin, à part la langue, il n’y avait pas beaucoup de choses qui changeaient, donc je me sentais comme en vacances. »
« J’ai commencé à ressentir des différences lorsque la semaine de cours a débuté. C’était donc la première fois que je prenais les transports seule. N’étant pas sûre du chemin à prendre, j’ai voulu demander à des Athéniens, et c’est là qu’ont commencé les problèmes !
Le premier jour, je sors du métro et j’interpelle un homme d’une trentaine d’années pour trouver le bus allant à ma fac : il ne parle pas très bien anglais (il faut savoir que la majorité des Athéniens ne parlent pas ou peu anglais). Au bout de 5 minutes de laborieuses tentatives, il me pointe une rue du doigt pour trouver le bus. 20 minutes plus tard, je suis à bord, ouf ! Mais je n’ai pas reconnu les écritures pour aller à la fac que présentait l’écran récapitulatif des arrêts. Donc je me lève et j’interpelle le conducteur :
– « Sygnomi » (Excusez-moi), « Sygnomi » ! « Excuse me mister ! »
Mais ce dernier ne s’est pas retourné et a fait comme s’il ne m’avait pas entendue… Deux stations après, arrivée au terminus, je descends du bus, j’arrive dans un coin perdu et la panique me prend. Je me suis dirigée vers une station de lavage de voitures, puisque c’était le seul commerce à proximité où il y avait un peu de monde. J’y suis allée et j’ai demandé s’il y avait quelqu’un qui parlait anglais, et un monsieur est allé chercher une dame qui m’a dit de reprendre le bus dans l’autre sens.
Je suis donc remontée dans le bus à l’arrêt. Le chauffeur me voit, il rentre dans le bus et me demande : « No Greek language? »… Énervée, je lui montre sur mon portable la liste des arrêts que je dois prendre pour arriver enfin à la fac, écrite en grec, mais il ne parlait pas anglais, alors je me suis assise et j’ai espéré que la dame de la station avait dit vrai. Au final, le bus a bien desservi mon arrêt et je suis arrivée avec 2 heures de retard. J’ai fini par relativiser en me disant que c’était le premier jour et que ce n’était pas grave. Mais au fil des jours, j’ai eu des expériences similaires. »
« De nouveau, j’ai demandé de l’aide à une jeune femme pour savoir si l’arrêt auquel je me trouvais (et que m’indiquait mon GPS) était bien celui qui m’emmenait à la fac. Cette fille m’a répondu que non, que je devais prendre le métro dans le sens inverse. Sûre de moi, et comme l’homme à qui j’avais demandé mon chemin la veille m’avait fait le même coup, je lui réponds que non, je suis sûre qu’il y a un bus ici. Elle me dit par la suite que l’arrêt où je devais aller se situait un peu plus loin.
En me rendant à cet arrêt, je me suis rendu compte que je m’éloignais de l’endroit pointé par mon GPS. J’ai donc fait demi-tour pour revenir à mon point initial. Lorsque le bus est arrivé, la fille à qui j’avais demandé de l’aide m’a dit : « No, no, no, you can’t go! ». Je lui ai alors montré mon application pour lui dire que je savais ce que je faisais… Et je pense que le pire, c’est quand j’ai vu cette même jeune femme monter dans le même bus que moi et descendre au même arrêt pour aller à la fac : elle était étudiante, certainement dans la même fac que moi, mais n’avait pas voulu me le dire. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir des certitudes sur le fait qu’on ne voulait pas m’aider, que certaines personnes étaient malveillantes. »
« Puis j’ai commencé à prendre le métro de façon régulière et j’ai vu le regard des gens se poser sur moi. Je suis néanmoins habituée à ce genre de comportement en France, les gens sont intrigués par mon métissage, mes cheveux, ma coloration… mais ce n’est jamais méchant.
Là, j’ai commencé à ressentir des regards insistants, comme si j’avais un problème, comme si les Athéniens n’avaient jamais vu de personnes de couleur. Et on le voit très bien dans la ville : il n’y a pas de Noirs, pas d’Arabes, pas de personnes de couleur reflétant une minorité visible.
Il y a néanmoins des immigrés pakistanais et on ressent bien qu’ils sont mal perçus par les Athéniens : une dame, en voyant des Pakistanais s’apprêtant à monter dans le bus, s’est précipitée pour s’asseoir à côté de moi, où il y avait une place libre, comme si elle ne voulait en aucun cas que ces derniers s’asseyent près d’elle.
Après avoir perçu ce genre de comportement, j’ai été vraiment choquée. Même si le racisme ou les préjugés envers les personnes d’origine étrangère sont une réalité en France, je ne ressens pas ce genre d’attitudes aussi directement qu’ici. »
« Ma pire expérience a été lorsque j’ai pris le métro avec une Française d’origine congolaise pour rentrer chez nous. Nous étions au fond d’une rame, il y avait pas mal de monde autour de nous. À quelques mètres de distance, j’ai vu une dame assise me fixer avec insistance. Dans le doute, j’ai demandé à l’autre étudiante ERASMUS si elle était réellement en train de me regarder, ce qu’elle m’a confirmé. Ce qui m’a choquée, c’est qu’elle ne détournait pas la tête alors qu’elle voyait bien que je l’avais vue. Elle parlait à une autre femme qui était debout à côté d’elle, et elles ont commencé à rigoler et à nous regarder toutes les deux. C’était tellement gênant que la fille qui m’accompagnait s’est retournée pour leur tourner le dos.
J’étais tellement choquée qu’en rentrant chez moi, j’étais vraiment perturbée, parce qu’à Lille, pour ma part, ce genre d’attitudes n’arrive pas, ou alors cela fait bien longtemps que j’ai dépassé ce genre de gamineries. Mais ici, avec la barrière de la langue et le changement culturel, ça m’a beaucoup affectée, d’autant plus que cela faisait à peine une semaine que j’étais arrivée.
À se demander quelles auraient été leurs réactions si nous avions été un groupe de filles avec une Noire, une Métisse, une Arabe et une Asiatique… »

« Ce qui m’étonne, c’est que d’autres étudiantes ERASMUS françaises avec des origines, mais étant claires de peau, n’ont pas ressenti les mêmes expériences que moi au contact des gens (contact facile, souriant, aidées).
Par contre, l’étudiante d’origine congolaise ressent également la méfiance et la discrimination des gens : lors de son arrivée à Athènes avec son père, elle a cherché un hôtel pour se loger dans le centre-ville, et on lui a refusé 7 hôtels en justifiant qu’ils étaient tous complets (en basse saison, cela paraît étonnant qu’autant d’hôtels affichent complet…).
Je ne pense pas que ce soit que de la malchance, ça se ressent : il y a du racisme ici. Les gens ont peur, en tout cas, ils ne se montrent pas ouverts aux Noirs. »
« Ce que je ne comprends pas, c’est qu’Athènes est la capitale. Je pensais donc être dans une ville assez brassée, ouverte, dynamique, où ce genre de choses n’existe pas. Ce sont peut-être des phénomènes isolés, mais dès lors qu’ils se reproduisent en si peu de temps, j’ai compris que les mentalités ici étaient réellement différentes.
Je suis quelqu’un d’une nature ouverte et souriante, indépendante ; prendre les transports en commun ne m’a jamais effrayée, en tout cas pas en journée à des heures d’affluence. Mais aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à prendre les transports toute seule. J’appréhende, parce que je ne sais pas comment les gens vont se comporter, et ça m’énerve. Je suis venue avec l’ambition de découvrir un pays qui m’attirait, de rencontrer de nouvelles personnes, grecques comme ERASMUS, et de rester surtout moi-même avant tout. Je suis Française métissée, je suis fière de mes origines, qui sont pour moi une force. Cependant, ici, je les perçois comme un réel désavantage pour m’intégrer.
D’habitude, quand je vais dans les magasins, je regarde les gens, je suis souriante, je cherche le contact des yeux. Mais là, je n’ai même plus envie de sourire, à cause de certaines fois où j’ai fait des achats et où j’ai eu affaire à des gens vraiment peu aimables : par exemple, lors d’un paiement, une caissière m’arrache quasiment ma carte bleue des mains et me pousse mon paquet comme si elle voulait écourter ce moment le plus vite possible. Et une autre a refusé de m’encaisser en disant : « No English! ». Aberrant ! »
Ressenti de ces deux premières semaines
« Aujourd’hui, mon ressenti est mitigé : il y a eu un jour où j’ai clairement eu envie de rentrer à cause de tout ça. Cela ne fait que 2 semaines que je suis à Athènes, et pourtant ces expériences sont nombreuses. Cela m’a poussée à faire des recherches sur des expériences similaires vécues par d’autres jeunes de couleur à Athènes. Je suis tombée sur des articles recensant des faits insolites d’agressions dans la rue, effectuées contre des personnes Noires, par des revendicateurs d’un parti néo-nazi appelé l’Aube dorée… Très réjouissant…
Bien que le racisme soit une réalité en France, aujourd’hui, je ne le ressens plus, ou pas aussi violemment qu’ici. Je trouve ça dommage, parce que ça biaise mon expérience. J’adore les étudiants ERASMUS avec qui je vais en cours, je mange, je sors, j’apprends énormément de leur culture. J’aime aussi beaucoup ma fac, où les professeurs sont très à l’écoute. J’aime la culture grecque, l’histoire, les monuments, même la langue que je commence à apprendre.
Donc c’est dommage de subir de tels comportements alors qu’il y a énormément de bon à retirer de cette ville et de ce pays. Mon but n’est pas de dégoûter les gens qui veulent faire un ERASMUS à Athènes, et encore moins de dégoûter les gens de couleur de le faire. Je partage ici mon ressenti en tant que jeune étudiante métissée, parce que j’aurais aimé que quelqu’un ayant connu la même chose l’ait fait. Il est trop tôt pour remettre en cause mon choix de pays pour ma mobilité ERASMUS, mais ce serait mentir que de dire que ces phénomènes me sont anodins.
Quand j’ai annoncé à mon entourage que je partais 5 mois pour Athènes, ils m’ont tous renforcée dans mon choix :
« Tu verras, la Grèce c’est magnifique ! Les gens sont très accueillants, chaleureux ! Tu vas vraiment aimer et tu ne voudras plus rentrer ! »
Je précise que ces personnes étaient toutes parties dans les îles grecques en vacances pour quelques semaines, et sont toutes de couleur blanche.
Je pense qu’il ne faut pas mettre Athènes et les îles grecques dans le même sac. En tout cas, mon ressenti est bien loin de correspondre à la petite vie athénienne que je m’étais imaginée. Il y a une différence entre vivre dans une ville au quotidien et partir en vacances. Malgré mon enthousiasme de départ, la ville d’Athènes ne m’attendait pas forcément, qu’importe que je sois une jeune étudiante française.
Dans tous les cas, je pense qu’il est important de prendre du recul pour se forger sa propre opinion. Maintenant, je me dis que je suis comme une touriste et que je cherche à profiter le plus possible des avantages de cette expérience, en espérant que je rirai plus tard des débuts difficiles. »
Petit mot de la coloc et rédactrice
Pour ma part, je ne vis pas les regards des autres que peut subir Émilie, mais je fais souvent face à des comportements, disons, « je-m’en-foutistes » de la part de certains Athéniens, notamment des chauffeurs de bus ne parlant pas anglais et ne cherchant pas à comprendre ce que vous dites, ni à vous aider. Voire même le contraire : des étudiants de ma fac viennent me voir pour me demander quelque chose. Une fois que je leur fais savoir que je ne parle pas grec, ces derniers s’en vont sans même essayer de parler anglais, pas même une petite curiosité pour savoir d’où je viens.
Si je devais résumer la position d’étranger à Athènes, ce serait :
« Les étrangers, ça va, mais seulement s’ils viennent pour les vacances et/ou s’ils parlent grec ! »
Bien évidemment, toute la population athénienne n’est pas comme ça, et heureusement, sinon ce serait une ville socialement détestable. Comme l’a dit Émilie, il y a vraiment beaucoup de choses à voir, ne serait-ce que dans la capitale, et au final je passe rapidement au-dessus de ce genre de comportements pour me concentrer sur mes études et les choses que je peux faire dans cette ville !
Nous vous invitons à faire votre propre expérience d’Athènes et de la Grèce.
N’hésitez pas à nous faire partager votre vécu dans la capitale ou dans le pays en général, nous serions ravies d’avoir d’autres points de vue !