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Roman Polanski : faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

Faut-il séparer l'homme de l'artiste ? L'affaire Roman Polanski, symbole de l'art placé au-dessus des lois.
Roman Polanski quittant la salle d'audience du tribunal de Santa Monica, 1977 - Los Angeles Times | Creative Commons Attribution 4.0.
Roman Polanski quittant la salle d’audience du tribunal de Santa Monica, 1977 – Los Angeles Times | Creative Commons Attribution 4.0.

Roman Polanski, réalisateur de renommée internationale, est sans conteste l’une des figures les plus controversées du cinéma contemporain – ou du moins, l’une des plus bruyantes. Son parcours oscille entre des succès critiques, avec des œuvres marquantes comme Rosemary’s Baby (1968), Le Pianiste (2002) ou plus récemment J’accuse (2019), et des polémiques persistantes qui continuent d’alimenter le débat public.

La place médiatique qu’il occupe, et qui reste toujours aussi prégnante, soulève des questions fondamentales et souvent inconfortables : faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Jusqu’où pouvons-nous aimer un artiste monstrueux ? Et, finalement, l’art peut-il être placé au-dessus de tout ?

La naissance de l’artiste

Roman Polanski est né le 18 août 1933 à Paris, dans une famille d’origine polonaise. Peu après sa naissance, ses parents décident de retourner en Pologne, où Polanski passe une grande partie de son enfance dans un contexte bouleversé par la Seconde Guerre mondiale. Ayant survécu à l’horreur de l’Holocauste, il est profondément marqué par ces événements, ce qui influencera par la suite son approche du cinéma.

Très tôt, Roman Polanski se passionne pour l’art et trouve dans le cinéma un moyen de transposer les tensions et les traumatismes de son passé. Après des études à l’École nationale de cinéma de Łódź, en Pologne, il réalise plusieurs courts-métrages qui lui permettent de se faire un nom dans le milieu du cinéma européen.

C’est dans les années 1960 que Roman Polanski commence véritablement à s’imposer sur la scène internationale. Il se fait remarquer avec des œuvres comme Couteau dans l’eau (1962), son premier long-métrage, qui obtient une nomination aux Oscars.

Ce succès lui ouvre les portes de Hollywood, où il réalise ensuite des films iconiques tels que Répulsion (1965), Rosemary’s Baby (1968), et Chinatown (1974), considéré comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma américain. Son style, mêlant suspense psychologique, noirceur et un sens aiguisé du tragique, le place parmi les réalisateurs les plus influents de sa génération.

Polanski a su s’imposer avec des œuvres complexes et dérangeantes, explorant des thèmes universels comme la paranoïa, la folie, et la violence sous des formes multiples.

Roman Polanski, l’homme derrière l’artiste

Le 28 février 2020, c’est la consécration pour Roman Polanski qui reçoit le César du meilleur réalisateur pour son film J’accuse. Ce long-métrage avait d’ailleurs été nommé pas moins de 12 fois lors de cette cérémonie, soulignant l’ampleur de son succès. Ce moment est emblématique de la manière dont la grande famille du cinéma français choisit de séparer l’homme de l’artiste.

En effet, elle choisit de célébrer l’artiste tout en protégeant l’homme, écartant ainsi les accusations et les controverses qui l’entourent. Cette dichotomie soulève des questions profondes sur les valeurs et les priorités d’une industrie artistique qui semble parfois prête à ignorer les aspects les plus sombres de la vie de ses créateurs pour préserver leur statut et leur génie.

Mais tout d’abord, rappelons les faits.

En février 1977, Roman Polanski, alors âgé de 44 ans, aurait été engagé par l’édition française du magazine Vogue pour réaliser une série de shootings photos de « jeunes filles européennes et américaines », selon ses propres dires dans son autobiographie Roman selon Polanski.

Dès le départ, la démarche soulève des questions. Un homme de 44 ans photographiant des jeunes filles mineures ? Même dans le contexte des années 70, cette situation est troublante, et le malaise qu’elle provoque est difficile à ignorer. C’est donc à cette occasion que Polanski rencontre Samantha Geimer (à l’époque Gailey), âgée de seulement 13 ans, par le biais de sa mère, Jane. Ce qui aurait dû être une séance photo se transforme rapidement en quelque chose de bien plus sombre.

Polanski donne à Samantha du champagne, lui partage une pilule de Quaalude (un sédatif utilisé de manière récréative), avant de la violer. Après cette soirée traumatisante, il raccompagne Samantha chez elle. La jeune fille se confie à son petit ami. Une conversation interceptée par sa sœur, qui alerte leur mère. La plainte est déposée le soir même, et Polanski est inculpé en mars 1977.

Roman Polanski plaide d’abord non coupable, mais en août de la même année, il finit par changer de stratégie. Il choisit de plaider coupable pour « détournement de mineure » dans le cadre d’un accord judiciaire qui permet l’abandon des charges plus graves, notamment celles de « viol avec fourniture et consommation de drogue ». Cette manœuvre lui vaut une condamnation à trois mois de prison.

Toutefois, il est libéré après seulement 42 jours pour « bonne conduite » (bah voyons). Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le juge remet son cerveau en marche, et revient sur sa décision, estimant finalement la sentence largement insuffisante. Il décide donc de reconsidérer la peine. Face à cette menace, Polanski n’attend pas la fin du processus judiciaire. Il plie bagage et s’envole pour Paris, échappant à la justice américaine qui émet aussitôt un mandat d’arrêt international contre lui.

Onze ans plus tard, Samantha Geimer porte plainte au civil contre Roman Polanski. En 1993, l’affaire prend fin par un accord financier prévoyant que Polanski verse 500 000 dollars à la plaignante. Cet arrangement suscite des commentaires mitigés, certains y voyant une forme d’aveu, d’autres tentant de discréditer Samantha.

Mais avis aux détracteurs : accepter un accord ne signifie en rien que Samantha a menti. Polanski lui-même, dans ses mémoires, admet avoir eu des relations sexuelles avec la jeune fille, qu’il qualifie de « consenties ». Il est essentiel de rappeler qu’à 13 ans, il est impossible de consentir à une relation sexuelle avec un adulte, surtout dans un contexte d’autorité et de manipulation.

Cette affaire est probablement la plus médiatisée des scandales autour de Polanski. Il convient également de noter que Roman Polanski reste sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Pourtant, ni la Suisse, où il possède un chalet, ni la France, où il réside actuellement, n’ont procédé à son extradition, le protégeant ainsi de la justice américaine.

Le camp Polanski suit une ligne de défense bien rodée. Certains instrumentalisent même Samantha Geimer, aujourd’hui âgée de 50 ans, dont les déclarations peuvent parfois surprendre. Elle affirme avoir « pardonné Polanski » et a même pris un selfie avec lui.

Cependant, ce n’est pas cela qui nous intéresse ici. Les faits sont clairs : viol sur mineure, reconnu par l’accusé (même s’il parle de consentement), et condamné par la justice. Que faut-il de plus pour comprendre l’ampleur de la situation ? Malgré ces éléments, Polanski est toujours perçu comme un intouchable, un dieu parmi les dieux. Sa femme, Emmanuelle Seigner, l’a d’ailleurs défendu vigoureusement et d’une façon incroyablement délicate lors de son passage à l’émission Sept à Huit en 2022.

Elle y déclare : « Quand j’ai connu mon mari, toutes les jeunes filles voulaient coucher avec lui. C’était fou, il avait 52 ans mais en paraissait 30, il attirait énormément. Je pense qu’il n’avait besoin de violer personne. » Une excuse peu convaincante, je vous l’accorde. Seigner a également critiqué la règle des César excluant les nominations des personnes accusées de violences, en ajoutant : « Comme si un artiste devait être quelqu’un de parfaitement moral, sans défauts ni casseroles. »

Roman Polanski et sa femme, Emmanuelle Seigner, au festival de Cannes, 1992 - Georges Biard | Creative Commons 3.0.
Roman Polanski et sa femme, Emmanuelle Seigner, au festival de Cannes, 1992 – Georges Biard | Creative Commons 3.0.

Les propos d’Emmanuelle Seigner révèlent un problème fondamental, et bien plus profond qu’il n’en paraît.

Pourquoi les artistes devraient-ils être placés au-dessus des lois ?

Dans aucun autre domaine de la société, on ne sépare l’homme de sa fonction de cette manière. Pourquoi l’art devrait-il faire exception ? Il est peut-être temps de cesser de diviniser les artistes, de les ériger en génies infaillibles, et de commencer à les voir comme ce qu’ils sont : des êtres humains, avec leurs responsabilités, leurs erreurs et leurs crimes.

Bien que Roman Polanski n’avait apparemment « pas besoin de violer », les faits vont bien au-delà de l’affaire Samantha Geimer. En 2010, pour la première fois depuis cette affaire, une autre femme sort de l’ombre et accuse le réalisateur de viol.

Charlotte Lewis, une actrice britannique, affirme que Polanski l’a agressée lors d’un casting organisé à son domicile parisien en 1983, alors qu’elle n’avait que 16 ans. Contrairement à Samantha Geimer, Charlotte Lewis ne porte pas plainte, pour des raisons qui lui appartiennent. Néanmoins, elle tient à livrer son témoignage, souhaitant alerter la justice américaine et l’opinion publique que l’affaire Geimer n’est pas un cas isolé. Par ce geste, elle espère briser le mythe de l’incident unique et montrer que la violence sexuelle chez Roman Polanski est bien plus qu’une « erreur ponctuelle ».

En 2017, une nouvelle accusation émerge contre Roman Polanski. Une femme, s’identifiant sous le pseudonyme « Robin », déclare avoir été victime d’une agression sexuelle par le réalisateur en 1973, alors qu’elle n’avait que 16 ans, elle aussi. Comme Charlotte Lewis avant elle, Robin choisit de ne pas porter plainte, invoquant ses propres raisons. On peut aisément imaginer qu’après la tempête médiatique autour de l’affaire Samantha Geimer, combinée à la protection internationale dont jouit Polanski, s’engager dans une telle bataille ressemble à un cauchemar.

Robin explique qu’elle n’a pas souhaité porter plainte à l’époque, car elle craignait que son père ne commette un acte irréparable qui le mènerait en prison pour le reste de sa vie. Lorsqu’elle témoigne en 2017, les faits sont prescrits, la laissant sans recours judiciaire.

La même année, deux autres accusations retentissent. Renate Langer, une actrice et mannequin allemande, dépose une plainte auprès des autorités suisses, accusant Roman Polanski de l’avoir violée à deux reprises à Gstaad, en Suisse. Langer explique qu’elle avait choisi de ne pas témoigner plus tôt pour protéger ses parents. Mais en 2017, ses accusations tombent sous le coup de la prescription, et ne peuvent plus être poursuivies légalement.

Marianne Barnard, une artiste américaine, affirme que Polanski l’a agressée sexuellement alors qu’elle n’avait que 10 ans. Enfant mannequin à l’époque, elle avait été emmenée par sa propre mère sur une plage de Malibu pour une séance photo avec Polanski (d’ailleurs, le fait qu’un homme d’âge mûr photographie une enfant en maillot de bain est toujours, en soi, une situation assez préoccupante).

Marianne Barnard explique qu’elle a été encouragée à dénoncer cette agression après la révélation de l’affaire Weinstein. La prise de parole de Barnard avait suscité une vive réaction des avocats de Roman Polanski, toujours prompts à minimiser et à contester les accusations portées contre lui :

Monsieur Roman POLANSKI conteste formellement les accusations de Madame BARNARD concernant des faits de 1975 alors qu’elle avait dix ans.

Les seuls faits qu’on peut lui reprocher sont ceux qui concernent Samantha GEIMER qu’il a reconnus dès sa première audition il y a quarante ans et à l’égard desquels Madame GEIMER s’est encore exprimée récemment, en réaffirmant à la fois son pardon à Monsieur POLANSKI et les reproches qu’elle faisait à la justice américaine.

Ce dernier s’appuie notamment sur le pardon accordé par Samantha Geimer. Que Geimer ait choisi de pardonner Polanski relève de sa décision personnelle, et cela doit être respecté. Cependant, cela ne change rien à la réalité judiciaire : Roman Polanski reste sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Il n’a jamais respecté la justice en fuyant les États-Unis. Le pardon de la victime est une chose, mais sa fuite et la protection qu’il reçoit, tant en France qu’en Suisse, en sont une autre. C’est un signe flagrant du fait que certaines personnalités jouissent d’une impunité qui échappe aux règles ordinaires.

En 2017 toujours, un journaliste israélien a créé un site internet encourageant toutes les victimes potentielles de Roman Polanski à partager leur témoignage. Cependant, il a également promis une récompense de 20 000 dollars à quiconque fournirait un témoignage incriminant le réalisateur. Pour des raisons évidentes, nous ne nous attarderons pas sur ces témoignages.

Mais à la suite de cette initiative, une actrice américaine, Mallory Millet, a décidé de partager son histoire au magazine britannique The Sun. Elle accuse Polanski d’avoir tenté de la violer à deux reprises lorsqu’elle avait 29 ans. Malgré ces accusations graves, Mallory Millet n’a jamais porté plainte, estimant qu’elle ne ferait pas le poids face à une figure aussi influente que le célèbre réalisateur.

Finalement, en 2019, c’est une actrice française, Valentine Monnier, qui rompt le silence et partage son récit. Elle adresse plusieurs courriers aux autorités, notamment à la police de Los Angeles, à Brigitte Macron, ainsi qu’aux ministres Franck Riester et Marlène Schiappa. C’est à l’occasion de la sortie du film J’accuse que Valentine Monnier décide de parler publiquement, révélant qu’elle a été violée par Roman Polanski en 1975, dans son chalet à Gstaad, alors qu’elle venait tout juste d’avoir 18 ans. Le journal Le Parisien rapporte avoir recueilli plusieurs témoignages corroborant la version de Monnier, émanant de proches à qui elle avait confié les faits entre 1975 et 2001, ainsi que d’amis qui l’avaient accueillie le soir même de l’agression.

Toutes ces affaires et ces déclarations soulèvent de nombreuses problématiques. Malheureusement, pour la plupart, les faits sont désormais prescrits, rendant toute action judiciaire impossible. Si nous ne sommes pas en mesure de juger de la véracité de ces accusations, il est essentiel de s’interroger sur ce qu’elles révèlent de notre société.

Ces témoignages mettent en lumière un système où les victimes d’agressions sexuelles peuvent se sentir démunies, où la célébrité et le pouvoir peuvent souvent atténuer la gravité des actes commis. Ils invitent également à une réflexion sur la manière dont la société protège, ou non, les victimes et sur l’importance de leur donner une voix, quelle que soit la période à laquelle les faits se sont produits.

Collage féministe contre le réalisateur Roman Polanski, Paris, 7e arrondissement - Polymagou CC BY-SA | Creative Commons 4.0.
Collage féministe contre le réalisateur Roman Polanski, Paris, 7e arrondissement – Polymagou | Creative Commons BY-SA 4.0.

Roman Polanski, symbole de l’art au dessus de la morale

Déjà, il convient de contredire les détracteurs qui affirment que « les accusations de viol brisent les carrières ». Certes, on peut évoquer le tribunal médiatique et l’engouement des médias lorsqu’il s’agit de Roman Polanski (et encore).

Cependant, il est difficile de parler de carrière brisée dans son cas. En effet, Polanski se situe toujours au sommet du paysage cinématographique. Il dirige les plus grands acteurs, continue de recevoir des prix, et bénéficie d’une admiration indéfectible. Sa carrière n’a en rien été anéantie par les controverses entourant sa vie personnelle.

De plus, compte tenu de son âge avancé, on peut s’interroger sur le fait que Roman Polanski semble parti pour vivre sans jamais avoir à répondre de ses actes, pour lesquels il est pourtant censé être jugé. Cette impunité soulève des questions inquiétantes sur le traitement des personnes célèbres face à la justice et sur les conséquences réelles des accusations portées contre elles.

Ensuite, il est impossible de ne pas revenir au statut d’artiste et à la question cruciale : qu’est-ce qui justifie que l’art soit placé au-dessus des lois ? Cette notion semble presque méprisante. Personne n’a jamais suggéré de séparer l’homme du politicien, de séparer l’homme du sportif, du professeur, du banquier, du journaliste ou même du boulanger. Dans le monde de l’art, en revanche, se crée un microclimat les hommes se posent en génies, comme si leur statut artistique leur conférait une aura particulière.

Pourtant, il est essentiel de rappeler que l’artiste est avant tout un homme. Sans cet homme, il n’y a pas d’artiste ; les deux sont indissociables. Il est inadmissible, en 2024, de revendiquer la supériorité des artistes sur le reste de la société. Il est temps de remettre en question cette hiérarchie et de repenser la place de l’artiste dans notre culture.

Pourquoi un artiste aurait-il le droit d’évoluer au-dessus des normes morales que nous nous imposons ? N’est-il pas également méprisant pour nous autres de considérer que leur génie artistique les exempte de responsabilité ?

Quelques liens et sources utiles

Roman Polanski face à la vague #MeToo, Affaires Sensibles, France Inter, 2024.

Affaire Roman Polanski : quelles sont les accusations portées contre le réalisateur depuis 1977 ? FranceInfo, 2019.

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