L’empereur Claude, né le 1er août 10 av. J-C à Lugdunum (= Lyon) et mort le 13 octobre 54 à Rome est l’une des figures les plus méconnues et les plus injustement méprisées de toute l’histoire impériale romaine. Quatrième empereur romain, celui qui a régné de 41 à 54 après J-C souffre d’une légende noire selon laquelle il n’a été qu’un être faible, manipulé par ses femmes et ses affranchis. Mais lorsqu’on s’intéresse de plus près à l’histoire de Claude, on se rend vite compte qu’au-delà de ce portrait naïf, il a aussi été un grand administrateur ayant transformé en profondeur l’Empire romain pour poser les bases de sa grandeur future. Retour sur l’histoire de l’empereur Claude, et sur son destin extraordinaire.
Un destin improbable : de l’ombre au pouvoir
Claude naît le 1er août 10 av. J-C à Lugdunum. Ses parents sont Drusus l’Ancien, beau-fils d’Auguste et frère de Tibère, ainsi que Antonia Minor, fille de Marc Antoine et d’Octavie, la sœur d’Auguste. Claude est donc doublement lié à la maison impériale par le sang, et est de ce fait prédit très tôt à un grand avenir.
Seulement, Claude souffre très tôt de bégaiement, de tremblements ainsi que d’une démarche claudicante. Considéré par sa propre mère comme un “monstre pas fini”, Claude est donc marginalisé, et mis à l’écart de toutes les responsabilités politiques et militaires auxquelles il aurait pu avoir accès. L’exclusion est d’autant plus difficile à accepter que son frère, Germanicus, est quant à lui vite devenu un général populaire, que ses parents lui préfèrent largement.
Faute de pouvoir bénéficier d’un quelconque soutien familial, Claude se réfugie donc dans l’érudition, et rédige sous la tutelle de l’historien Tite-Live de nombreux ouvrages sur l’histoire étrusque et carthaginoise. Malgré ses troubles neurologiques, il acquiert donc une intelligence remarquable qui lui servira bien des années après.
Les années passent, jusqu’en 41 après J-C. L’empereur Caligula, neveu de Claude, est alors très impopulaire, et est donc assassiné par des officiers de la garde prétorienne. Après avoir accompli leur acte, ces derniers retrouvent par hasard Claude, qui s’était caché derrière un rideau dans le palais impérial pour se protéger. Mais au lieu de le tuer, les prétoriens décident de nommer le dernier représentant adulte mâle de la dynastie julio-claudienne empereur, à l’âge de 51 ans. Un choix stratégique, puisque comme Claude n’a bénéficié d’aucune préparation politique, et est réputé faible, l’espoir de pouvoir exercer une influence sur lui est très fort. Force est de constater au départ qu’ils ont eu raison, puisque Claude leur accorde rapidement une gratification considérable.

Le Sénat n’a de son côté pas vraiment d’autre choix que de reconnaître l’autorité de Claude, car il incarne la continuité légitime du pouvoir. Malgré le danger autour du renforcement des liens entre l’armée et le pouvoir, l’institution se dit toutefois que l’arrivée de cet empereur novice laisse potentiellement la porte ouverte à un retour de la République, disparue 68 ans auparavant lorsque Octave est devenu Auguste.
De grandes réformes politiques et administratives
Mais contrairement à sa réputation d’homme faible et naïf, Claude s’impose sans tarder comme un réformateur remarquable.
Celui-ci renforce notamment l’administration romaine, en créant une véritable bureaucratie centralisée qu’il laisse aux mains d’affranchis comme Narcisse, Calliste et Polybe. Si cette innovation a été violemment critiquée par l’aristocratie sénatoriale traditionnelle, cette modernisation se révèle finalement très efficace pour contourner les lenteurs sénatoriales. Les différents bureaux et les provinces sont ainsi mieux coordonnés, ce qui renforce l’efficacité de l’Empire romain.
Par ailleurs, Claude est aussi à l’origine d’un tournant historique : l’apport de la citoyenneté romaine aux Gaulois chevelus. Dans un discours en 48 ap. J-C, l’homme originaire de Lugdunum avait en effet plaidé avec passion en ce sens pour permettre aux notables gaulois d’accéder entre autres aux magistratures et au Sénat.
“Les plus anciennes institutions furent nouvelles autrefois. Le peuple fut admis aux magistratures après les patriciens, les Latins après le peuple, les autres nations d’Italie après les Latins” (Table claudienne découverte à Lyon en 1528 révélant le progressisme de Claude).
Cette politique d’ouverture, révolutionnaire pour l’époque, a donc fondé les bases de la romanisation, et a encouragé derrière l’intégration progressive des peuples conquis dans la civilisation romaine.
Sur le plan judiciaire, Claude a aussi réduit la durée des procès et lutté contre la corruption des juges, le tout dans un mélange de rigueur et d’humanité.
Des réalisations architecturales et militaires monumentales
Claude est également connu pour ses grands travaux d’infrastructure. C’est à lui qu’on doit par exemple le port artificiel d’Ostie, construit entre 42 et 52 ap. J-C pour réapprovisionner Rome, et le port de Portus, bâti pour réduire les risques de famine qui retardaient les livraisons de blé depuis l’Afrique.
Toujours en rapport avec l’eau, Claude est à l’origine de l’édification de deux aqueducs majeurs : l’Aqua Claudia et l’Anio Novus. De par leur existence a ainsi été amélioré considérablement l’approvisionnement en eau de Rome.
Enfin, l’empereur Claude a aussi entamé un projet d’assèchement du lac Fucin, dans le but de gagner des terres et limiter les inondations, mais ce fut un échec partiel.
Sur le plan militaire, Claude s’est aussi révélé intéressant. Il a en effet décidé de poursuivre la politique expansionniste qui avait été abandonnée par ses prédécesseurs, le tout sans s’aventurer dans des territoires trop lointains. Sa plus grande réussite est incontestablement la conquête de la Bretagne (actuelle Grande-Bretagne) en 43 ap. J-C, puisque Jules César n’avait lui-même pas réussi à venir à bout de ce territoire. De ce triomphe obtenu grâce à des éléphants de guerre reste à Claude le surnom glorieux de Britannicus, qu’il transmettra plus tard à son fils.
Par ailleurs, l’Empire romain de Claude a aussi annexé la Judée, la Thrace et la Maurétanie, renforçant la puissance de ce dernier.
Les zones d’ombre d’un règne controversé
De nos jours, ce qui est retenu de la vie de Claude n’est pas ses apports politiques ou militaires, mais bien ses déboires familiaux.
La vie matrimoniale de l’empereur fut en effet chaotique, ce qui a énormément nui à sa réputation. De ses quatre mariages émergèrent notamment deux épouses perfides : Messaline et Agrippine la Jeune.
Très ambitieuse, Messaline est à l’origine de nombreux assassinats politiques, aussi bien de ses rivaux que de ceux qui refusaient de lui obéir. Pour se faire, elle inventait notamment de faux complots et de fausses rumeurs pour contraindre Claude à leur retirer la vie. Elle a également accumulé les amants, allant jusqu’à organiser en 48 ap. J-C un simulacre de mariage avec Caius Silius, qui contraint Claude à la faire exécuter pour préserver son autorité.
Agrippine, épousée par Claude en 49 ap. J-C, a quant à elle manipulé son homme pour lui faire adopter son fils Néron. En conséquence, le fils naturel de Claude, Britannicus, s’est retrouvé écarté de la succession. De façon plus tragique, la mort mystérieuse de Claude en 54 ap. J-C à l’âge de 64 ans est aussi attribuée à Agrippine. Cette dernière l’aurait en effet empoisonné avec des champignons pour accélérer l’accession au trône de Néron, dont le règne a été bien plus tyrannique que son modéré prédécesseur.

En bref, si c’est surtout la fin de sa vie manipulée par ses épouses qui est restée dans les mémoires, Claude s’est finalement illustré comme un bon empereur. Sa politique d’intégration provinciale a ainsi préparé la romanisation durable de l’Occident, tandis que sa vision pragmatique du pouvoir l’a écarté de tout orgueil aristocratique. Si son début de règne a été improbable, il a tout de même incarné pendant 13 ans toute la classe de l’Empire romain, ce qui mérite l’admiration au vu de la forte instabilité de l’époque.
Quelques liens et sources utiles :
Robert Graves, Moi, Claude, empereur, Gallimard, 1978
Collectif, Claude, un empereur au destin singulier, Lienart, 2019