Nos ancêtres n’avaient pas le même cycle de sommeil que nous. Ils dormaient en deux phases, appelées le « premier sommeil » et le « second sommeil ». Cette habitude, découverte par l’historien Roger Ekirch dans les années 1990, semble avoir existé depuis le VIIIe siècle avant J.-C. et disparaître au moment de la Révolution industrielle.
Intéressons-nous aujourd’hui à cette ancienne pratique, qui remet en question notre conception moderne du sommeil, que nous pensions immuable !
Une ancienne habitude de sommeil
Autrefois, le sommeil était traditionnellement scindé en deux phases distinctes. L’historien Roger Ekirch a découvert cette spécificité en analysant des textes juridiques, à la recherche d’informations sur des enquêtes criminelles. Il a été intrigué par l‘apparition récurrente dans de nombreux manuscrits des termes « premier sommeil » et « second sommeil », que les contemporains ne se sentaient pas obligés d’expliquer. C’était donc indéniablement une pratique courante.
Ces termes ont été retrouvés par la suite dans plus de 2000 archives, allant d’Érasme à Plutarque, jusqu’à Homère. Ce type de sommeil peut s’expliquer par la crainte de la nuit, l’inconfort des espaces de sommeil, la surveillance du domicile, ou la nécessité de réaliser des tâches obligatoires.
Le sommeil biphasique
Roger Ekirch nommera ce style de sommeil le « sommeil biphasique ». Il met en lumière que cette manière de dormir serait présente dès le VIIIe siècle avant J.-C., comme décrit dans L’Odyssée d’Homère, et qu’elle était répandue non seulement en Europe, mais également en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.
L’historien rapporte qu’au XVIIe siècle, il était courant de s’endormir pour la première fois entre 21h et 23h, puis de se réveiller naturellement pour une période de veille jusqu’à 1h du matin. Cette période, appelée « veille », était caractérisée par une variété d’activités selon les individus. Pendant que les paysans s’occupaient du bétail ou effectuaient des tâches domestiques, les chrétiens priaient et les philosophes méditaient.
Malgré son caractère inhabituel, la « veille » était également un moment propice à la socialisation et à l’intimité des couples. Cette veille terminée, nos ancêtres plongeaient dans le sommeil matinal, jusqu’à l’aube.
Pourquoi la fin de ce style sommeil ?
L’avènement de la révolution industrielle et la généralisation de l’éclairage artificiel au début du XIXe siècle ont considérablement contribué à la disparition du sommeil biphasique.
L’éclairage artificiel est devenu plus répandu et plus puissant – il y a d’abord eu l’éclairage au gaz, puis, bien sûr, l’éclairage électrique vers la fin du siècle. En plus de modifier les rythmes circadiens, l’éclairage artificiel a naturellement permis aux gens de se coucher plus tard.
Roger Ekirch à la BBC
Cette évolution des habitudes de sommeil a entraîné une adaptation à un nouveau rythme, caractérisé par un sommeil plus profond afin de garantir un réveil à heure fixe chaque matin. Nous avons donc arrêté spontanément de nous réveiller au début de chaque nuit.
Ekirch souligne cependant que la disparition du schéma de sommeil biphasique ne se traduit pas nécessairement par une détérioration de la qualité du sommeil par rapport à celle d’autrefois. Même si le sommeil monophasique peut sembler peu « naturel », il demeure, selon cet historien, que le XXIe siècle représente un « âge d’or » en matière de sommeil.
Quelques liens et sources utiles
Éric Chaverou, Fiona Moghaddam, Le sommeil d’antan, c’était vraiment mieux avant ?, Radio France, 2020
Marion Poirson-Dechonne, Au lit au Moyen-Âge : comment et avec qui ?, Marenostrum, 2024
Chiara Frugoni, Au lit au Moyen âge : Comment et avec qui, Belles Lettres, 2024
Roger Ekirch, la grande transformation du sommeil, Amsterdam Multitudes, 2021
Benoît Peuch, De l’éveil à l’insomnie, La vie des idées, 2021