En France, l’histoire ne se lit pas seulement dans les archives ou les manuels. Elle s’observe aussi sur les murs. Des couloirs du Louvre aux salles feutrées d’Orsay, en passant par les musées de province, certains tableaux sont devenus des repères culturels, transmis de génération en génération.
Leur notoriété dépasse leur cadre. Ces œuvres, souvent copiées, commentées ou détournées, racontent bien plus que la virtuosité de leurs auteurs : elles incarnent une part de l’identité collective française.
Mona Lisa : l’énigme nationale
Ce n’est pas un peintre français, ni une scène française. Pourtant, La Joconde trône au cœur du Louvre comme une madone laïque. Léonard de Vinci l’a peinte au début du XVIe siècle, avant de l’apporter en France à l’invitation de François Ier.
Depuis, elle est restée sur le territoire, admirée, jalousée, volée même — en 1911, par un patriote italien qui voulait la “rapatrier”. Ce vol, paradoxalement, a fait entrer le tableau dans la légende française.
Si elle fascine autant, c’est moins pour sa technique que pour son mystère. Ni clairement souriante, ni tout à fait mélancolique, la Joconde semble suspendue dans un entre-deux. Le regard suit le spectateur, sans se livrer. Et c’est peut-être cela qui la rend si puissante : elle ne raconte rien, mais elle suggère tout.
La Liberté guidant le peuple : l’image d’une République en marche
Parmi les tableaux les plus connus en France, aucun ne possède autant de charge symbolique que La Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix. Créée en 1830 dans le contexte des Trois Glorieuses, l’œuvre dépasse son époque. La femme au drapeau n’est pas une allégorie froide : elle est en mouvement, en souffle, en cri. Autour d’elle, des cadavres jonchent le sol, et un jeune garçon armé regarde vers l’avant, préfiguration poignante du Gavroche de Hugo.

Ce tableau n’est pas seulement un manifeste républicain. Il est devenu le visage officieux de la France insoumise, celui qu’on brandit encore lors des manifestations. En 2015, il a été utilisé sur une pièce de monnaie pour célébrer les valeurs républicaines. Peu d’œuvres picturales peuvent se targuer d’avoir traversé les époques avec une telle force politique.
Le Radeau de la Méduse : naufrage de la monarchie
À première vue, Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault évoque une scène dramatique de survie. Mais derrière la prouesse technique — les corps entremêlés, les regards tournés vers une voile à peine visible à l’horizon — se cache une critique acérée du pouvoir royal. Le naufrage de la frégate Méduse, en 1816, fut provoqué par l’incompétence d’un capitaine nommé par favoritisme.

Géricault passe des mois à étudier les cadavres à la morgue, interroge les survivants, réalise des esquisses jusqu’à l’obsession. Le tableau, exposé en 1819, scandalise autant qu’il fascine. Il montre que l’art peut être un contre-pouvoir, que la peinture peut dénoncer sans slogan, simplement par la force de l’image.
Le Déjeuner sur l’herbe : scandale devenu classique
Au XIXe siècle, la France s’amuse à choquer son bourgeois. Le Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet, exposé en 1863, déclenche l’un des plus grands scandales du Salon des Refusés. Une femme nue, deux hommes habillés, et une scène de pique-nique en pleine nature. Ce qui choque, ce n’est pas tant la nudité — fréquente dans l’art — mais son absence de justification mythologique ou religieuse. La femme regarde le spectateur sans honte, sans filtre.

Aujourd’hui, le tableau fait partie des incontournables d’Orsay. Il est étudié dans les écoles, reproduit dans les manuels, détourné à loisir. Ce qui était provocation est devenu canon. Et c’est peut-être là que réside sa force : avoir ouvert la voie à une modernité picturale française qui ose tout.
Nympheas et silences : Monet à Giverny
Impossible d’évoquer les tableaux les plus connus en France sans citer Claude Monet. Son œuvre monumentale, Les Nymphéas, occupe deux salles ovales du musée de l’Orangerie, offertes à la nation comme un lieu de paix après la Grande Guerre. Il ne s’agit plus de raconter une scène, mais de plonger le spectateur dans une atmosphère, sans début ni fin.

Les nénuphars, les reflets d’eau, les ombres floues : tout invite à la contemplation, à la lenteur, à la paix intérieure. C’est le triomphe du regard sur le récit, l’aboutissement d’une peinture qui préfère suggérer que figurer. Ce tableau est aujourd’hui un emblème d’élégance française, une douceur contemplative face au tumulte du monde.
Des icônes populaires au patrimoine universel
L’idée même de “tableaux les plus connus en France” ne se résume pas à leur visibilité dans les musées. Elle s’incarne dans leur présence dans la culture populaire : affiches, couvertures de livres, références dans le cinéma ou la publicité. Un tableau n’a pas besoin d’être expliqué pour être reconnu. Il suffit qu’il soit vu, revu, intégré à notre mémoire visuelle.
Ces tableaux ne sont pas simplement admirés : ils sont habités. Ils vivent à travers ceux qui les regardent, les commentent, les interprètent. Ils sont le patrimoine commun d’un pays qui place la culture au centre de son récit national, même lorsque celui-ci est tourmenté, contradictoire ou douloureux.
Quelques liens et sources utiles
Collectif d’auteurs, Une histoire de la peinture: Décrypter les grands tableaux, Flammarion, 2020
Guillaume Picon, Cent tableaux à clef de l’histoire de France, Hazan, 2012
Françoise Barbe-Gall, Comment regarder un tableau: Apprendre à en croire ses yeux, Éditions du Chêne, 2021