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Le modèle du Salvador pour résoudre l’hyper insécurité

Cette élection a marqué un tournant dans l’histoire du Salvador et a enclenché un changement radical dans la conjoncture sécuritaire du pays
Nayib Bukele - Présidence du Salvador | CC0 1.0
Nayib Bukele – Présidence du Salvador | CC0 1.0

Petit pays d’Amérique centrale, le Salvador est une république unitaire avec un gouvernement centralisé. Depuis la fin des treize années de guerre civile (1979-1992) qui ont ébranlé le pays, le Salvador peine à retrouver sa prospérité. Troublé par une violence croissante, le pays a vu depuis le début des années 1990 son taux de criminalité exploser avec l’installation sur son territoire des Maras. Ces gangs armés proliféraient de manière incontrôlée et s’enrichissaient à travers différents trafics et crimes. Les gouvernements successifs brillaient par leur inefficacité à lutter contre cette situation néfaste.

En février 2019, le candidat indépendant Nayib Bukele a remporté haut la main les élections présidentielles dès le premier tour avec 53% des voix. Cette élection a marqué un tournant dans l’histoire du Salvador et a enclenché un changement radical dans la conjoncture sécuritaire du pays. Fraîchement réélu en février 2024, cette analyse a pour but d’examiner les ressorts, méthodes et résultats du modèle salvadorien pour résoudre le problème latent d’hyper insécurité.

Salvador - Pizzaking13 [pseudo Wikipédia] | CC BY-SA 2.0
Salvador – Pizzaking13 [pseudo Wikipédia] | CC BY-SA 2.0

De la violence endémique à la tolérance zéro

Pour mieux comprendre la situation sécuritaire du Salvador, il est nécessaire d’entendre correctement les conséquences de la guerre civile.

Historique de la violence endémique et sa caractérisation

Cette dernière opposa les forces armées salvadoriennes, dirigées par les juntes militaires consécutives et soutenues par les États-Unis, à la guérilla du FMLN, d’orientation marxiste et soutenue par Cuba et le Nicaragua. Les pertes furent conséquentes : sur une population de 5,5 millions en 1992, plus de 70 000 morts dont environ 40 000 civils selon les estimations.

Cette tragédie a eu pour conséquence directe d’installer de manière durable une culture de la violence, ainsi que de profondes séquelles dans la société salvadorienne. Couplé à l’échec partiel de la transition vers une économie de marché diversifiée, les conditions socio-économiques épineuses ont poussé une partie de la population à se tourner vers la criminalité. Le retour progressif des immigrés salvadoriens des États-Unis à partir de 1992, alors déjà organisés en réseaux criminels, n’a fait qu’accélérer l’assise des gangs sur le territoire.

Ces puissants gangs ont pour caractéristiques d’être hautement hiérarchisés et structurés. Concentrés dans les centres urbains, ils tirent parti de la vente d’armes et de drogues pour se financer. Différents gangs s’y livrent une guerre sans merci pour le contrôle du territoire, les plus connus étant le MS-13 et le Barrio 18. Ces conflits n’ont fait qu’aggraver la violence et maintenir un climat de peur constant. La police locale, corrompue et incompétente, n’a pas su l’endiguer par manque cruel de moyens.

Les conséquences de l’ultra insécurité au Salvador

Les conséquences de cette situation désastreuse sont protéiformes. Tout d’abord au niveau économique, les pertes financières sont très élevées. Le climat de tension n’incite évidemment pas les investisseurs à placer des capitaux dans le pays, ce qui entraîne par conséquent une forte baisse des investissements étrangers. En outre, les dépenses sécuritaire et médicale de l’État explosent. Ces coûts économiques directs et indirects de la violence des gangs se répercutent sur la croissance économique du pays et constituent un frein à son redressement. 

Une autre perception de ce prisme de conséquences serait les impacts au niveau social. La société salvadorienne s’est en effet divisée sur la question suivante : comment vivre avec cette violence ? Une grande majorité d’entre eux a tout simplement choisi l’émigration face à une situation qui s’empire. En 2015, presque 3 millions de Salvadoriens vivaient à l’étranger, soit près d’un tiers de la population totale du Salvador, qui est d’environ 6,5 millions d’habitants. Cette émigration massive, principalement en direction des États-Unis, a aussi emporté avec elle une grande partie des actifs financiers et des forces vives du pays vers l’extérieur, contribuant un peu plus au déclin du pays

Pour ceux qui sont restés, la situation n’est guère enviable : à la séparation des familles entre ceux qui émigrent ou non, vient s’ajouter la vie quotidienne dans un environnement hostile et dangereux. Le climat d’insécurité constant génère peur et stress auprès des habitants, qui se voient obligés d’adapter leurs déplacements, heures de sorties et fréquentations. À travers un sentiment global de désespoir et de résignation, on peut facilement noter une baisse de qualité de vie des citoyens.

Une situation alarmante avant l’arrivée de Bukele

Depuis son élection en 2019, le jeune président Nayib Bukele a fait de la lutte contre l’insécurité sa priorité. Malgré plusieurs mesures phares sur lesquelles nous reviendrons, c’est en mars 2022 que s’opère le véritable tournant. En effet, en deux jours, les gangs décident de tuer près de 90 personnes en représailles des mesures du président.

Ces attentats ont choqué fortement le pays ainsi que la communauté internationale en mettant en lumière la grave crise sécuritaire du Salvador. Les chiffres sont frappants, en 2015, à titre d’exemple, le taux d’homicide était de 108 pour 100 000 ce qui plaçait le Salvador comme le pays, hors zone de guerre, avec le plus haut taux au monde. Les vols à mains armées, extorsions ou enlèvements étaient aussi monnaie courante. Les témoignages et sondages venaient alimenter la perception d’une société rongée par le désaveu des institutions publiques et la peur constante de la violence.

Ces données sont la preuve du délitement complet de l’autorité de l’État et de l’échec de ses précédentes politiques sécuritaires face à l’insécurité généralisée. Ce sont ces éléments, ainsi que le désir d’un changement radical, qui ont poussé le peuple à se tourner vers un leader charismatique et capable, trouvé  dans la personne de Bukele, pour restaurer l’ordre.

Membres de la FIR - Présidence du Salvador | CC0 1.0
Membres de la FIR – Présidence du Salvador | CC0 1.0

Le modèle Bukele, un remède miracle ?

Depuis son accession à la présidence, Nayib Bukele a mis les bouchées triples pour restaurer le contrôle de l’État sur son territoire et sa population. Suite aux événements de mars 2022, les mesures contre l’insécurité se sont décuplées.

Description des mesures mises en place au Salvador

On peut citer par exemple l’instauration de l’état d’urgence dans l’ensemble du pays, facilitant les arrestations sans mandat judiciaire. D’autres décisions, comme la création d’une unité spéciale dédiée à la lutte contre les gangs, nommée la Force d’Intervention Rapide (FIR), ou la création de mégas prisons (plus de 40 000 places), sont venues compléter la palette d’outils de l’État. La politique de la mano dura, vise à lutter de manière offensive à l’encontre de la criminalité en pratiquant la tolérance zéro. 

La forte augmentation du taux d’incarcération observée (1086 pour 100 000 en 2023, le plus haut taux du monde) s’explique par l’arrestation massive de membres de gangs. Une fois mis en prison, ces derniers sont totalement coupés du monde extérieur par un lockdown drastique, évitant la fuite d’informations ou d’ordre émanant de la prison.

Par ailleurs, un contrôle strict du territoire est aussi mis en place avec le déploiement permanent des forces armées et de la police dans les rues des grands centres urbains. C’est cette militarisation accrue qui a permis d’atteindre la stabilisation de la situation sécuritaire en délogeant les membres de gangs directement là où ils opéraient.

En parallèle, des plans d’accompagnement ont été promus auprès des populations pauvres, ainsi que des programmes de réinsertion pour les anciens membres des Maras. Ces mesures visent à accompagner les habitants des quartiers pauvres et anciens membres de gangs vers une reconversion. La pauvreté étant vecteur de criminalité, ces individus marginalisés constituaient un terreau fertile propre au recrutement ou à la récidive. 

En compléments des actions de terrain, le président Bukele a fortement réformé le système administratif et législatif pour permettre de renforcer le cadre juridique dans sa lutte contre les Maras. Nous avons pu observer par exemple un allègement des démarches administratives lors de la tenue de procédures judiciaires, ou la réorganisation et l’amélioration des forces de sécurité. De nouveaux budgets ont été accordés aux forces armées, à la police et au système judiciaire, permettant en partie de combler des années de lacune et de retard.

Un pays en rémission

Il est indéniable que les résultats de la politique de la mano dura sont à la hauteur des moyens déployés. Les statistiques sont largement en faveur du président Bukele : un taux d’homicide de 2,4 pour 100 000 en 2023, un indice de criminalité qui chute de 68% en 2019 à 61% en 2024, une baisse de 42% du taux de vols et de 53,8% du taux d’extorsion entre 2022 et 2023. Force est de constater la réapparition de nouvelles dynamiques sociales dans la société, liées au retour à la stabilité. Le retour de la vie nocturne, des petits commerces, des enfants dans les rues…

Les habitants peuvent enfin renouer avec une vie quotidienne normale, des quartiers entiers sont à nouveau fréquentables, la population retrouve la possibilité de s’approprier les espaces publics sans crainte. Malgré des défis restants, la réussite manifeste de la politique de répression du gouvernement confirme la tendance positive amorcée.

Un modèle pouvant s’exporter ?

Au vu de la singularité de ses mesures, cette politique a pris le nom de modèle Bukele. Ce dernier, compte tenu de son efficacité contre la criminalité, a attiré l’attention de plusieurs pays, particulièrement en Amérique Latine. En Amérique Centrale, des pays comme le Guatemala, le Nicaragua ou le Honduras, ont décidé de reproduire chez eux la “recette magique” du voisin salvadorien. En Amérique du Sud, comme au Pérou, en Équateur ou au Chili, ce sont les partis de droite qui soutiennent ces mesures dans le but de restaurer l’ordre public en perdition. Au Brésil jusqu’à l’élection de Lula en 2022, une variante démocratique du modèle était en cours avec la coexistence d’un système politique puissant et d’un système judiciaire indépendant. 

L’attrait du modèle Bukele repose sur ses points forts : une restauration rapide de l’ordre public par une réaction agressive de l’État pour réduire et juguler la violence. C’est en combinant des opérations de terrain efficaces d’occupation du territoire et de soutien aux populations, avec des réformes judiciaires et administratives, que les résultats ont pu être pérennisés.

En dépit de l’impact positif global du modèle Bukele, des critiques restent toutefois émises pointant le revers de la médaille de ces politiques. Le coût financier, les questions de libertés civiles et de droits de l’Homme sont en tête des condamnations. Il est évidemment souhaitable de contenir les dérives autoritaires, la nuance étant dans l’équilibre entre le respect des droits fondamentaux et les besoins de sécurité publique.

CECOT au Salvador - Présidence du Salvador | Présidence du Salvador | CC0 1.0
CECOT au Salvador – Présidence du Salvador | Présidence du Salvador | CC0 1.0

La sécurité, à quel prix ?

En contrepartie des succès mentionnés, les observateurs sont unanimes à relever de graves manquements aux droits fondamentaux.

L’État de Droit en danger

On documente par exemple un nombre alarmant de détentions arbitraires, parfois d’enfants, ciblant en particulier les personnes marginalisées, tel que les populations pauvres, les opposants politiques ou les personnes LGBT. La surpopulation carcérale dépasse tous les sommets acceptables en frôlant les 236%, près de 1% de la population totale du pays est en prison.

Les observateurs internationaux critiquent la mise en place de quotas d’arrestation aggravant ce phénomène. Sans parler des conditions de vie déplorables, selon des rapports d’Amnesty International, des cas de tortures auraient même été relevés dans les prisons de l’État. D’autres libertés civiles, comme par exemple la liberté de la presse, se sont vu menacées. L’exemple du journal El Faro est parlant : après avoir dénoncé dans un édito des négociations secrètes entre Bukele et certains gangs, le journal a subi un espionnage et un acharnement judiciaire tel qu’il s’est vu obligé de s’exiler au Costa Rica. 

D’autres menaces aux fondements même d’un État de Droit sont à signaler. Le régime hyper présidentialiste de Bukele force à constater un sérieux manque de séparation des pouvoirs. Son ingérence dans le pouvoir judiciaire avec la révocation des juges de la Cour Suprême en est la démonstration. La prolongation pour la vingt-quatrième fois de l’état d’urgence depuis 2022, ainsi que le manque de contre pouvoir existant, laissent craindre un enracinement de l’autoritarisme dans les années à venir.

Condamnation du Système International

Le Système International a exprimé ses inquiétudes quant aux violations des normes démocratiques et des droits de l’Homme au Salvador. Plusieurs condamnations ont été formulées par des Organisations Internationales comme l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou l’Organisation des États Américains (OEA). Bien qu’aucune sanction économique directe n’ait été prise, les pressions diplomatiques n’ont fait que s’accentuer. 

Les critiques portées à l’encontre du régime mis en place par Bukele ont été contextualisées par des comparaisons avec d’autres pays ayant adopté des politiques de tolérance zéro ou des mesures sécuritaires strictes. Les États-Unis dans les années 1990 en sont un exemple. Là-bas aussi elles avaient été critiquées pour leur impact disproportionné sur certaines minorités, ainsi que pour la très forte augmentation du taux d’incarcération. Ces comparaisons sont essentielles pour jauger correctement les effets à long terme de ces politiques sur l’État de droit, et pouvoir mieux analyser les futurs enjeux du Salvador.

Quelle réception dans la société ?

Immanquablement, la mise en place de ces différentes mesures a soulevé les critiques d’une partie de la population salvadorienne et a profondément divisé l’opinion publique. On observe une fracture entre ceux qui perçoivent cette politique comme nécessaire, et ceux qui se focalisent sur les manquements aux droits fondamentaux.

D’un côté, le modèle Bukele peut être vu comme une réponse urgente et vitale pour répondre à la catastrophique situation sécuritaire du pays. D’un autre, ces pratiques sont une réelle menace à l’État de droit et constituent une pente glissante vers une autocratie prochaine. Les fondements de ce dilemme sont sans équivoque de savoir si les bénéfices immédiats justifient les sacrifices consentis. 

La question du financement de ces politiques est aussi un enjeu important. Alors que le Salvador a su faire face à l’insécurité, saura-t’il faire face au défi économique attendu ? À l’heure ou l’instabilité n’est plus au goût du jour, la population du Salvador souhaite à présent se réconcilier avec la prospérité économique promise par le président lors de sa deuxième élection.

Maras emprisonnés - La Presse Graphique | CC BY 3.0
Maras emprisonnés – La Presse Graphique | CC BY 3.0

Quel bilan retenir du cas du Salvador ?

Au regard du portrait dressé de la situation au Salvador, il semble pertinent d’observer en comparaison l’adaptation possible et partielle de ce modèle en Europe, plus particulièrement en France. L’étude de mesures impliquant la militarisation temporaire des forces de sécurité, certaines réformes judiciaires ou administratives, ou s’inspirant du modèle de tolérance zéro, pourrait se révéler pertinente. Dans un contexte où la criminalité se radicalise, comme le montre l’exemple récent de l’attaque du fourgon pénitentiaire dans l’Eure, renforcer la sécurité publique de nos concitoyens semble un enjeu primordial.

Certains dispositifs simples et concrets comme par exemple une meilleure réinsertion sociale, une augmentation des budgets des forces de l’ordre ou le quadrillage effectif des territoires sous contrôle criminel pourraient mener à des résultats probants.

Toutefois, s’inspirer de ce modèle nécessiterait une adaptation minutieuse à nos systèmes culturels et légaux, afin d’éviter toutes dérives et de garantir les normes démocratiques européennes. L’équilibre entre protection des citoyens et liberté fondamentale semble essentiel à la stabilité et à la légitimité des institutions démocratiques en Europe. Savoir s’inspirer du cas du Salvador semble sage, le faire avec précaution et réflexion peut-être même plus.   

Le modèle Bukele nous offre donc une vision instructive de lutte contre la criminalité, de ses réussites tout comme de ses échecs. Au grand dam du Système International, en février 2024, les habitants du Salvador par le biais des urnes ont porté de nouveau Nayib Bukele au pouvoir par une écrasante victoire (84,65%). Finalement, la réélection de Bukele témoigne d’une réalité : le besoin de sécurité prime sur celui de liberté, tout du moins au Salvador.

Quelques liens et sources utiles

Fournier, X. S. La tentation du modèle Bukele après son sacre au Salvador. L’actualité.

Freeman, W. Salvador, la répression du président Bukele contre les gangs séduit ses voisins. Courrier international.

Hurtado, M. État d’urgence au Salvador. Discours de la porte-parole du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme à Genève.

Direction générale du Trésor. El Salvador, situation économique et financière.

Funes, K. Au Salvador, l’état d’exception n’en est plus un. Ritimo.

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