Qui dit jazz moderne dit inévitablement Herbie Hancock. Pianiste prodige et compositeur visionnaire, il a traversé plus de six décennies de musique sans jamais cesser d’innover. De ses débuts aux côtés de Miles Davis à ses travaux actuels sur l’intelligence artificielle, Herbie Hancock a constamment fait évoluer sa discipline, et peut aisément être considéré comme pionnier du jazz moderne. Zoom sur cet artiste révolutionnaire.
Des bases classiques au jazz moderne (années 1950 – début années 1960)
Herbert Jeffrey “Herbie” Hancock naît en 1940 à Chicago. Dès l’âge de 7 ans, il commence une formation musicale classique, et révèle vite avoir un talent naturel pour le piano. Véritable surdoué, Il s’illustre dès l’âge de 11 ans avec le Chicago Symphony Orchestra en reprenant le premier mouvement du Concerto pour piano en ré majeur de Mozart avec une rigueur technique et une sensibilité artistique hors normes.
Mais à l’âge de 14 ans, Herbie Hancock découvre le jazz, et délaisse de ce fait la musique classique. Il travaille alors sans relâche pour adapter son style à cette nouvelle musique, et obtient en 1961 un diplôme d’ingénierie musicale à Grinnell College.
À la suite de ses études, à l’âge de 21 ans, Herbie Hancock fait la rencontre du trompettiste Donald Byrd, qui l’introduit rapidement dans le cercle new-yorkais du jazz. Le jeune musicien intègre donc le circuit des clubs, s’y fait sans tarder remarquer, et signe en 1962 un contrat avec Blue Note Records. Sort ensuite quelques mois plus tard l’album Takin’Off, dont il est le meneur, dont est issu le single Watermelon Man, qui sera repris en décembre 1962 par Mongo Santamaria et deviendra un standard du jazz-funk.
Le laboratoire Miles Davis (1963-1968)
Après ce succès, Herbie Hancock se fait repérer en 1963 par la légende du jazz qu’est le trompettiste Miles Davis. Convaincu de son talent de pianiste, ce dernier l’invite alors à le rejoindre dans le Second Great Quintet, aux côtés du contrebassiste Ron Carter, du batteur Tony Williams et du saxophoniste Wayne Shorter. Hancock accepte, et sillonne alors pendant cinq années les États-Unis avec un succès mémorable.
Le groupe révolutionne alors complètement le jazz acoustique en utilisant de nombreux accords alors impopulaires et en développant des rythmes d’une complexité inouïe et inédite pour l’époque. Un style est ainsi contraint d’être inventé à la fin des années 60 pour décrire la musique du Second Great Quintet : “Time, No Changes”. Concrètement, cela désigne le fait de prendre une grande liberté rythmique et harmonique pour permettre des improvisations plus fluides.
De son côté, Herbie Hancock perfectionne son style distinctif aux côtés de Miles Davis. Il sort quelques albums solo, comme Maiden Voyage en 1965, compose la bande originale du film de Michelangelo Antonioni Blow-up et apprend à jouer du clavier électronique sous l’impulsion de Miles Davis. Enrichi de ces multiples expériences, Herbie Hancock finit par quitter le groupe en 1968 puis Blue Note en 1969 pour rejoindre Warner Bros et fonder son propre sextet.
Vers la fusion et les explorations électroniques (fin des années 1960 – années 1970)
Le Mwandishi Band naît en 1971, avec bien évidemment à sa tête Herbie Hancock. Pour l’accompagner, le pianiste peut compter sur le batteur Billy Hart, le bassiste Buster Williams, le trompettiste Eddie Henderson, le tromboniste Julian Priester et le saxophoniste Bennie Maupin.
Le groupe développe pendant trois albums (Mwandishi, Crossings et Sextant) un jazz expérimental, dans lesquels l’électronique et le funk jouent une place primordiale. Seulement, le groupe qui accompagne Hancock est composé de purs jazzmans, qui ne maîtrisent donc pas complètement les codes du funk et de la musique électronique. Le résultat global est donc mitigé, et ne donne à Herbie Hancock au mieux qu’un succès d’estime.
Pour retrouver le succès populaire, Herbie Hancock décide de fonder en 1973 un nouveau groupe : Head Hunters. Bennie Maupin le suit dans ce nouveau projet, auquel s’ajoutent le bassiste Paul Jackson, le percussionniste Bill Summers et le batteur Harvey Mason. À la différence du Mwandishi Band, le groupe est majoritairement composé de musiciens à la formation funk, ce qui donne des résultats bien plus aboutis. Hancock arrive donc cette fois-ci à parfaitement fusionner l’électronique aux rythmes funk et aux improvisations jazz apprises de Miles Davis. C’est ainsi que naît l’album Head Hunters en 1973, dont les sonorités sont inédites pour l’époque.
Le pari est gagnant, puisque l’album se vend à plus d’un million d’exemplaires. Premier album de jazz à être certifié platine, il atteint même la 13ème place du Billboard Top 200, grâce au succès de la reprise de Watermelon Man et du nouveau tube Chameleon. Head Hunters est toujours de nos jours une inspiration durable pour les artistes de funk et de hip-hop, et établit ce qu’on peut considérer être les fondations de la musique urbaine contemporaine.
Un pionnier des musiques urbaines (années 1980)
Devenu spécialiste des synthétiseurs et des claviers électriques, Herbie Hancock continue à utiliser la technologie pour développer son propre style musical, toujours intimement lié au jazz.
Après avoir acheté son premier ordinateur en 1979, il décide de mêler ce dernier à de nouveaux styles musicaux : le hip-hop et l’électro. Il sort ainsi en 1983 l’album Future Shock, vendu à plus d’1,5 million d’exemplaires, dont est tiré le single révolutionnaire Rockit. Ce dernier marque les esprits car il contient du scratching, une technique de DJ consistant à déplacer manuellement un disque vinyle d’avant en arrière sur une platine. Le clip de Rockit, qui met en scène des robots animés, fait aussi sensation et rafle cinq MTV Video Music Awards.
Un héritage en perpétuelle expansion
À 84 ans, Herbie Hancock dispose d’un des plus beaux palmarès de la musique, lui qui a été récompensé par 14 Grammy Awards, dont celui de l’Album de l’année en 2008 pour River: The Joni Letters. Un exploit pour un disque de jazz, puisqu’il fallait remonter à 1965 et à l’album Getz/Gilberto pour voir ce style musical être récompensé dans cette catégorie.
Herbie Hancock peut également se vanter d’avoir un Oscar, obtenu en 1987 pour la bande originale du film de Bertrand Tavernier Autour de minuit, ainsi que le Polar Music Prize 2025, équivalent du Prix Nobel de musique.
Son influence est telle dans le paysage RnB, funk et hip-hop que des artistes de la nouvelle génération, comme Flying Lotus et Thundercat, ont même voulu collaborer avec cet éternel avant-gardiste.
Si Herbie Hancock n’a plus sorti d’album solo depuis 2010, il continue toutefois de s’intéresser aux évolutions technologiques, et plus précisément de nos jours à l’intelligence artificielle. Il a notamment collaboré avec des chercheurs de Google et du MIT pour voir comment l’IA pouvait être implantée dans l’industrie musicale. Résolument optimiste vis-à-vis de cette évolution technique, et de toutes formes de technologie de manière générale, Herbie Hancock est la preuve que l’innovation peut toujours rendre service à l’humain et à la musique, à condition de l’utiliser convenablement.
Quelques liens et sources utiles :
Herbie Hancock, Lisa Dickey, Herbie Hancock: Possibilities, Viking, 2014
Olegario Diaz, Herbie Hancock: The Blue Note Years, Blue Note Records, 2014
