C’est en 2016 qu’Alexis Michalik, déjà reconnu pour des pièces à succès, décide de présenter Edmond au Théâtre du Palais-Royal à Paris. Son pari est audacieux : raconter sous la forme d’une comédie la naissance de Cyrano de Bergerac, le chef d’œuvre d’Edmond Rostand sorti en 1897. Bilan : 1800 représentations, un million de spectateurs, cinq Molières en 2017 et une adaptation au cinéma en 2019. Retour donc sur l’un des plus grands succès de l’histoire du théâtre français contemporain.
Alexis Michalik, architecte du nouveau théâtre populaire
C’est en 1982 que naît aux Lilas Alexis Michalik. Fils d’un père d’origine polonaise et d’une mère britannique, il grandit à Montmartre dans une double culture, et se passionne rapidement pour le théâtre.
D’abord découvert du grand public pour son interprétation de Roméo dans une mise en scène d’Irina Brook en 2001, c’est ensuite en tant qu’auteur et metteur en scène visionnaire qu’il forge sa réputation.
Ses deux premières pièces, Le Porteur d’Histoire et Le Cercle des Illusionnistes, lui permettent ainsi d’obtenir en 2014 deux Molières, et de populariser un nouveau style éloigné des codes classiques qui mélange les codes du théâtre à ceux du cinéma.
Pour Edmond par exemple, les séquences de la pièce sont très rythmées, ne dépassant jamais 45 secondes, et 12 comédiens se succèdent sur la scène pour jouer une trentaine de personnages. Et c’est justement grâce à tous ces codes éloignés des stéréotypes sur le théâtre, que le public est venu en masse applaudir Alexis Michalik et ses acteurs.
L’histoire dans l’Histoire : Paris, décembre 1897
Le pitch de l’histoire est assez simple, et inspiré de la réalité. Car en 1897, Edmond Rostand, a bien 29 ans, et est un dramaturge en panne d’inspiration. Son dernier drame, La Princesse lointaine, a été un échec cuisant et sa carrière est alors en suspens depuis deux ans. Une disgrâce qui s’explique par le fait que Rostand persiste à écrire ses pièces en alexandrins, à contre-courant de la mode théâtrale du vaudeville. Désespéré, il finit toutefois par rencontrer un grand acteur de l’époque, Constant Coquelin dit “Coq”, et lui propose d’incarner le premier rôle de sa nouvelle pièce de théâtre : Cyrano de Bergerac. Seulement, la pièce n’est pas écrite.
Et la création de cette œuvre est loin d’être un long fleuve tranquille. Entre les rivalités théâtrales, les difficultés financières et les caprices d’acteurs, Cyrano de Bergerac a du mal à être montée. Rostand est fébrile et hésitant, mais il finit à terme par accoucher de la pièce.
Cyrano de Bergerac finit par être jouée pour la première fois le 28 décembre 1897 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Mais alors que l’on pouvait s’attendre à ce que la pièce soit un four, elle fut en réalité adorée par le public, qui ovationne les acteurs pendant 20 minutes et les contraint à faire 40 rappels. La critique est tellement dithyrambique que le ministre de l’Instruction publique, Alfred Rambaud, finit par donner à Edmond Rostand la Légion d’honneur.
Cyrano de Bergerac, c’est au total 424 représentations en seulement quinze mois, et des recettes estimées à 2 598 848 francs, le tout dans un style théâtral qu’on pensait dépassé. Mais après la défaite de 1870 et l’affaire Dreyfus, le public semblait avoir besoin de retrouver un héros en qui croire, et Edmond Rostand le leur a apporté sur un plateau avec le personnage de Cyrano.
Entre vérité historique et licence poétique
Si Alexis Michalik s’est évidemment inspiré de la réalité, il a aussi pris dans Edmond quelques libertés narratives. Il invente notamment que Rostand s’inspire d’un triangle amoureux réel pour concevoir son intrigue, et que les célèbres tirades naissent par accident dans des dialogues quotidiens.
Les quiproquos, dialogues vifs et situations burlesques qui font de la pièce une comédie sont aussi tirés de l’imagination de Michalik. Mais c’est justement parce qu’il a mélangé le rire au lyrisme original de la pièce que Edmond remporte cinq Molières en mai 2017 : meilleure pièce de théâtre privé, meilleur auteur francophone vivant, meilleur metteur en scène, meilleur comédien dans un second rôle (Pierre Forest qui jouait Coquelin) et meilleure révélation masculine (Guillaume Sentou qui jouait Edmond Rostand).
Du fait de ce succès, Alexis Michalik a ensuite adapté Edmond au cinéma en 2019, ce qui était son projet initial. Au total, 700 000 entrées, ce qui confirme l’intérêt du public pour le “style Michalik”.
En résumé, Edmond est la preuve que le théâtre peut encore aujourd’hui être populaire, sans renier les codes traditionnels d’érudition et d’émotion. C’est peut-être là le plus bel hommage que Alexis Michalik pouvait faire à Edmond Rostand…
Quelques liens et sources utiles :
Alexis Michalik, Edmond, Le Livre de Poche, 2019
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, Hatier, 2021
