La France, à l’aube du XVIIIᵉ siècle, a déjà bien entamé, depuis l’arrivée de Colbert, un renouveau de sa politique maritime. Les familles d’armateurs se développent également et profitent de cette nouvelle politique maritime, armant les navires de course. C’est dans ce contexte que naît René Duguay-Trouin, le 6 février 1673 à Saint-Malo, dans une famille d’armateurs très influente.
Louis XIV est au sommet de sa puissance, il compte s’appuyer sur ses forces militaires pour continuer ses projets. Mais un conflit éclate : celui de la guerre de Succession d’Espagne, qui marque de nombreux enjeux.
La guerre de course s’était développée, activité couverte par le droit militaire avec comme objectif la prise de la marchandise ennemie. La guerre de course est donc importante pour l’économie et à cette époque, Vauban pense même que la course peut remplacer les coûteuses escadres de la marine royale.
Ainsi cet article permet de voir en quoi Duguay-Trouin, appliquant les principes de la guerre de course, incarne le renouveau de la marine française et de ses enjeux sous Louis XIV.
L’apprentissage des fondamentaux de la guerre de course durant la Ligue d’Augsbourg
Duguay-Trouin a pu en apprendre beaucoup pendant son apprentissage, il a su appliquer ce qu’on lui a appris et ainsi d’obtenir ses premiers commandements par sa famille d’armateurs qui vont lui armer ses navires. Cela montre donc l’importance de ces familles d’armateurs sous Louis XIV.
L’apprentissage
Au commencement de l’année 1689, la guerre étant déclarée avec l’Angleterre et la Hollande, Duguay Trouin put faire ses premiers pas.
« […] je fis sur cette frégate une campagne si rude et si orageuse que je fus continuellement incommodé du mal de mer ; nous nous étions emparés d’un vaisseau anglais chargé de sucre et d’indigo ».
René Duguay-Trouin dans : Mémoire
La Trinité est une frégate de dix huit canons armée par la famille Trouin et commandée par René Duguay-Trouin. Le navire anglais dont il fait mention est Les Trois Amis qu’ils vont capturer.
Pendant une attaque, Trouin relate une horreur qu’il a vue : quand son capitaine a voulu sauter pour passer à l’abordage, il est tombé entre les deux navires qui se sont entrechoqués.
Son apprentissage se poursuit avec comme maître Pierre Le Goux de la Fontaine à bord du Grenedan sur lequel le malouin prend goût au combat et à la mer. Le 21 août 1691, date clé, Duguay-Trouin fait preuve d’un sacré coup d’œil. En effet, tout l’équipage voit une artillerie lourde en mer, mais Duguay-Trouin observe cette flotte et voit qu’il ne s’agit pas de vaisseaux de guerre car ils contiennent des canons en bois.
« Ces gros milords sont de simples bâtiments marchands, ils n’ont que 28, 24, 24 pièces, les autres sabords sont garnis de canons en bois ».
René Duguay-Trouin dans : Mémoire
Ces navires vont donc être capturés, et ces derniers contenaient du coton, du sucre, du tabac, de l’indigo et du cuivre. Duguay-Trouin en apprend donc beaucoup sur les techniques de corsaire, notamment sur les manœuvres, mais aussi sur la ruse. En effet, Le Goux lui montre une tactique face à une flotte anglaise à leur retour alors qu’ils sont épuisés. Il demande à sa flotte de prendre la formation de combat et de hisser le pavillon royal (fleur de lys) de la marine royale.
Les Anglais, n’ayant pas les yeux de Duguay-Trouin, croient que c’est une division de vaisseaux de guerre français et les laissent donc passer. Il lui a donc appris audace, vitesse, habileté manœuvre et ruse.
Il a tellement progressé qu’il se voit obtenir le commandement d’un navire de quatorze canons et d’un équipage de quatre vingt dix huit hommes alors qu’il n’a que 18 ans. Il embarque donc sur son Dranycan.
Ses premiers commandements
Le Dranycan n’est pas rapide et difficile à manœuvrer. C’est une flûte et un vaisseau de charge lourde, ce qui lui fait perdre trois prises. Une tempête le projette sur la côte ouest de l’Irlande où il doit descendre à terre. Il brûle deux bateaux échoués et prend un château, et comme sa frégate « n’allait pas bien », comme il le dit, il rentre à Saint-Malo.
Il reçoit ensuite le Coëtquen, de même force mais de meilleure qualité et cent quarante hommes. Alors il part accompagné de Jacques Walsh. Lui et ce dernier vont réussir à rapporter dix prises. Duguay-Trouin reprend ensuite la mer mais ses officiers et les pilotes compétents pour la navigation avaient été tués ou blessés, il dût donc assurer seul la navigation.
Mais il tombe sur une tempête qui le rapproche des terres de Bristol où il croise un vaisseau de guerre anglais de soixante canons mais il réussit à y échapper grâce à ses techniques de manœuvrier.
Il est donc devenu un corsaire qui a bien mûri depuis son départ sur la Trinité, il a su faire preuve de détermination, et on commence à sentir chez lui cette volonté de servir le roi et donc le devoir de conduire lui-même ses opérations pour la gloire du roi soleil.
Mais les épisodes de la Hougue et la mort de Seignelay ont marqué un tournant dans la marine. L’ère de Pontchartrain est arrivée, en 1691 on arme de grosses escadres mais on n’a pas de résultats donc le doute s’installe dans la tête du roi.
Quand ce dernier vit le coût des escadres, il décide alors de privilégier la guerre de course et ceci peut être vu avec l’anoblissement de Jean Bart en 1694. Duguay-Trouin fait ainsi partie des personnes qui ont marqué cette décennie dans la nouvelle politique maritime de la fin du XVIIᵉ et à l’approche du XVIIIᵉ siècle.
Un corsaire accompli dans la guerre de Succession d’Espagne : l’application de la volonté du roi
Duguay-Trouin a bien évolué, passant de simple corsaire à un homme appliquant la volonté du roi. Il prend des initiatives dans la construction des navires, montrant l’intérêt de Louis XIV pour sa marine et la guerre de course, véritable entreprise en action. Duguay-Trouin devient chef d’escadre.
Des mers du nord aux bâtiments construits à son instigation
Quatre années de paix permettront à Duguay-Trouin de se reposer, mais la guerre de Succession d’Espagne éclate en 1701.
Il doit alors chasser les baleiniers hollandais dans les Orcades (la pêche à la baleine étant un commerce lucratif). Le roi lui offre un prêt en 1702, lui attribuant la Bellone.
Les prises réalisées par les quatre frégates participantes seront partagées entre elles proportionnellement à leur force, et un cinquième de ce qui reviendra à la Bellone appartiendra au roi.
Pour motiver l’équipage, des récompenses sont proposées à ceux qui signaleront des ennemis en vue pendant la traversée, et même pour les invalides, veuves et héritiers de ceux qui seront tués.
Pour éviter les pillages au sein de l’équipage (cela renvoie au tribunal des prises de 1672 qui avait été mis en place où le pillage était puni), on affiche au grand mât de chacune des frégates les ordonnances du roi et ses règlements.
Tout ceci est organisé par Duguay-Trouin, démontrant sa volonté de respecter les directives royales en appliquant logiquement les ordonnances en vigueur.
Les bâtiments chargés de cette mission se rejoignent vers l’Irlande, mais le temps ne leur permet pas d’aller jusqu’au Spitzberg. En 1703, il monte l’Éclatant, pour aller dans ces eaux du nord, un bâtiment de soixante dix canons. Cette mission est un prolongement de l’expédition précédente, et elle aboutit à la capture de quarante baleiniers.
En 1704, des bâtiments sont construits à son instigation et Duguay-Trouin déclare :
« J’obtins du roi la permission d’y faire construire deux vaisseaux ».
René Duguay-Trouin dans : Mémoire
Toutefois, ce n’est pas lui qui assure le financement ; il avance simplement les coûts de la main-d’œuvre dont il est remboursé avec le cinquième du roi évoqué précédemment. Il est l’usufruitier des bâtiments du roi, et c’est le roi qui en est propriétaire puisque c’est lui qui fournit tout le nécessaire à l’armement et rembourse les armateurs de leur avance.
Une ordonnance du roi du 14 novembre 1703 fixe les conditions que le roi accorde à Duguay-Trouin : la durée du prêt est de trois ans, le roi fournit toutes les matières nécessaires à la construction, y compris les canons.
Lorsque la construction est terminée, il est fait un état général de tous les paiements qui auront été réalisés afin de savoir le montant des frais dépensés par Duguay-Trouin dont il est remboursé sur le 1/5e qui doit revenir à Sa Majesté sur les prises qui seront faites sur ces vaisseaux.
Les noms de ces navires sont l’Auguste et le Jason. Duguay-Trouin veut conserver l’effet de surprise pendant ses opérations, c’est pourquoi lorsqu’il s’approche d’un vaisseau anglais, il veut qu’on le prenne pour un Anglais. Il demande donc que ses bâtiments soient sculptés comme les anglais, un lion doré étant placé en figure de proue sur le Jason. Au début, le roi refuse, mais il finit par accepter. Ces navires réussiront à faire de nombreuses prises.
Fin de la guerre de course
En 1706, il reçoit l’ordre d’aller à Cadix, menacé d’un siège. Louis XIV le nomme en 1707 chevalier de l’ordre de Saint-Louis et l’autorise à de nouvelles constructions : la Gloire et l’Amazone.
Il est à la tête d’une véritable escadre. En 1708, il part avec onze vaisseaux, guettant la flotte portugaise du Brésil, mais échoue. En 1709, il fait dix sept prises, dont quatorze marchandes et trois de guerre.
Pas satisfait, il veut partir avec son frère mener des courses aux Grandes Indes, mais on le lui refuse. En 1710, le Portugal est une vraie base avancée pour les coalisés, et les richesses tirées du Brésil profitent aux Britanniques.
Dans ce contexte, Duguay-Trouin s’interroge sur comment il pourrait servir le roi ou même ses armateurs. Il se dit que toutes les occasions manquées sur les Portugais venant du Brésil ne peuvent pas continuer et que la course en Atlantique est dangereuse. Il décide donc qu’il faut aller chercher l’or des Portugais à la source en prenant Rio. Il déclare vouloir :
« Porter la gloire des armes du roi dans ces climats éloignés ».
René Duguay-Trouin dans : Mémoire
Après trois mois de traversée, il arrive le 12 septembre 1711. Duguay-Trouin débarque avec ses troupes dans la baie, avec 3700 hommes. En une dizaine de jours, ils réussissent à capturer les forts, un succès exceptionnel pendant la guerre. Louis XIV montre ainsi que lui aussi est présent sur les mers.
Malgré les pertes, l’expédition paie les frais de l’armement et donne 92% de bénéfice en effet Rio est obligé de payer une rançon de 4 millions de livres. La prise de Rio marque un redressement de la marine mais Duguay-Trouin finit par partir à la retraite.
L’incarnation du renouveau de la marine française
On voit donc que Duguay-Trouin incarne le renouveau de la marine française. Son état d’esprit vise la réussite du roi sur les mers, mais aussi sa gloire personnelle. Il applique les principes qu’on lui a appris, participe à l’armement des navires, et marque ainsi cette nouvelle dynamique impulsée par Louis XIV et les nouveaux principes appliqués à la marine. Duguay-Trouin incarne ainsi l’homme du XVIIIe siècle.
Quelques liens et sources utiles
Clouet.P, Duguay-Trouin mémoires, Corsaire et chef d’escadre au siècle de Louis XIV, France-Empire, 1991
Merrien.J, Histoire des corsaires, l’Ancre de marine, 2005
Nerzic.J-Y, Duguay Trouin armateur malouin, corsaire brestois, H&D, 2012
Vercel.R, Visages de corsaires, Albin Michel, 1996