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Conséquences culturelles et identitaires de la Guerre de Cent Ans

La Guerre de Cent Ans, s'étalant entre 1337 et 1453, est un conflit armé entre le royaume de France et le royaume d'Angleterre.
Enluminure de la bataille de Crécy, Chroniques, Jean Froissard, XVe siècle, conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
Enluminure de la bataille de Crécy, Chroniques, Jean Froissard, XVe siècle, conservé à la Bibliothèque Nationale de France.

La Guerre de Cent Ans, s’étalant entre 1337 et 1453, est un conflit armé entre le royaume de France et le royaume d’Angleterre sous fond de crise dynastique et de revendications territoriales. Celle-ci n’est clôturée par aucun traité de paix officiel.

Quelques repères historiques concernant la Guerre de Cent Ans

En 1327, la déposition du roi Edouard II, en raison de sa mauvaise gestion du royaume et de la perte de territoires tels que l’Écosse, entraîne la montée sur le trône d’Angleterre de son fils, Edouard III. Ce dernier devient véritablement souverain en 1330, après avoir réglé les déboires internes de sa mère Isabelle de France, fille du roi de France Philippe le Bel, et de son amant Mortimer.

Cette dernière en effet, avait épousé Edouard II en 1308, en réaction à une crise dynastique sans précédent dans le royaume de France.

À la mort de Charles IV, roi de France, en 1328, le royaume se retrouve sans héritier direct. Isabelle, sa seule enfant, ne peut lui succéder en tant que femme. La Loi Salique, code juridique élaboré par les Francs autour du Vème siècle, est ré utilisée par les juristes français afin de contrer ses prétentions au trône.

Ce code devient progressivement la matrice par laquelle les règles de la succession au trône de France sont élaborées. De celui-ci émane un principe qui reste valable jusqu’à la fin de la monarchie : le principe de masculinité. Ainsi le neveu du roi défunt, Philippe VI de Valois, est choisi. 

En mai 1337, la confiscation par le roi de France du duché de Guyenne, appartenant à l’Angleterre depuis le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec le roi anglais Henri II Plantagenêts en 1152, finit de déclencher une guerre entre les deux royaumes qui se devine déjà depuis le début du XIVème siècle. Le roi d’Angleterre, qui est également le vassal du roi de France par sa possession de ce duché, se refuse en effet à rendre hommage au roi de France en vertu de son second statut. Le 7 octobre 1337, à l’abbaye de Westminster, le conflit franchit une étape supplémentaire : Édouard III revendique officiellement ses prétentions au trône du royaume de France.

S’en suit alors une guerre de 116 ans, entrecoupée de trêves et de moments de paix relative. Notre roman national retient les grandes batailles de Poitiers, Crécy ou Azincourt ou les exploits puis la déchéance de Jeanne d’Arc. Mais il ne s’agit pas ici de dresser une chronologie des événements.

Comme l’ont souligné beaucoup d’historiens, la Guerre de Cent Ans apparaît rapidement comme un conflit de souveraineté, et dépasse les cadres d’une simple guerre féodale entre un vassal et son seigneur. En effet, ce ne sont ni le statut du roi d’Angleterre en tant que duc de Guyenne ni l’appartenance du duché au royaume de France qui sont contestés. Simplement, le roi de France, entendant assurer sa souveraineté sur l’ensemble du royaume, se retrouve face à un roi d’Angleterre humilié de devoir prêter l’hommage vassalique à un autre roi.

Les deux protagonistes cherchent alors à s’éloigner des règles féodales. La nature même de cette guerre et sa durée entre autres, favorise de nombreuses évolutions à la fois sociétales, idéologiques et culturelles. Celles-ci ont constitué une source d’investigations intarissable pour les historiens, avant que celle-ci ne s’efface au profit de l’étude des grands conflits mondiaux du XXème siècle. 

Qu’en est-il alors de ces mêmes évolutions ? La Guerre de Cent Ans est-elle véritablement à l’origine de l’existence d’un sentiment “national” et identitaire français et anglais ?

Une évolution du cadre militaire

Dès le début du conflit, l’armée anglaise semble supérieure à l’armée française. Déjà fidélisée, elle repose sur un service permanent d’hommes recevant une solde. Les armures elles-mêmes se modifient et participent à l’image du guerrier invincible anglais. Les archers montés apparaissent également. L’arc, objet militaire mais aussi culturel est grandement symbolique et efficace. Appelé long bow, il mesure environ 2 mètres de haut. Les archers, placés stratégiquement sur le champ de bataille, mettent rapidement en déroute les armées françaises.

Georges Minois, dans son ouvrage La Guerre de Cent Ans, mentionne par exemple l’opposition presque radicale entre les organisations militaires des deux royaumes. Si l’armée anglaise apparaît comme cohérente et bien commandée, l’armée française semble complètement hétérogène, peuplée de mercenaires et en proie à des querelles intestines entre nobles et gens du peuple. 

Toutefois, celle-ci évolue, notamment sous l’impulsion du roi Charles V qui désire un recrutement plus qualitatif : les capitaines de retenues sont mieux choisis et la surveillance des désertions et abus financiers est renforcée. Quelques décennies plus tard, le règne de Charles VII correspond à celui de la création d’une armée permanente : le 26 mai 1445, l’ordonnance de Louppy-le-Châtel permet la création de ce que l’on nomme les compagnies d’ordonnance. 

Cette ordonnance fait suite à l’autorisation donnée par les états généraux au roi à lever un impôt régulier, la taille, permettant une entrée d’argent relativement fixe dans les caisses du royaume.

Par conséquent, l’armée, fondée auparavant sur la levée de l’Ost, devient une armée au service du roi et de l’État. Si les Anglais disposent de leurs archers, l’armée française progresse en termes d’artillerie : l’usage du canon, apparu au cours du XIVème siècle, est généralisé et réalisé de façon stratégique.

Moins efficace dans les batailles rangées, celui-ci se révèle redoutable dans les guerres de siège.

Charles VII en habit royal entouré de son conseil de guerre - Auteur inconnu | Domaine public
Charles VII en habit royal entouré de son conseil de guerre – Auteur inconnu | Domaine public

Des évolutions culturelles

En Angleterre, les conséquences du conflit sont nombreuses. Dans le domaine linguistique par exemple, la Guerre de Cent Ans conduit à une véritable coupure. Au sein de ce royaume diglossique, c’est-à-dire composée de plusieurs langues (latin, français et langues vernaculaires) il n’existe pas de caractère « national » de la langue.

L’exemple de la langue anglaise et des universités

Toutefois, on constate dès la fin du XIIIème siècle l’importance culturelle de la langue anglaise. En 1295, Edouard Ier accuse Philippe le bel de vouloir l’éradiquer, argument repris ensuite dans la continuité par Edouard III à l’encontre de Philippe VI. Cependant, ce dernier n’oublie pas les origines françaises de sa mère et, en vertu de ses prétentions au trône de France, souhaite que les chevaliers et seigneurs du pays parlent comme lui.

La langue française étant utilisée en Angleterre dans le cadre d’une culture administrative et juridique, il existe une permanence de la francophonie, notamment chez les élites. Néanmoins, le français s’efface progressivement au profit de l’anglais et la transition semble être achevée à la fin du XIVème siècle.

L’utilisation de la langue anglaise, relevant auparavant d’une revendication patriotique face au français élitiste, semble être devenue une véritable composante de l’identité du royaume. Cela se vérifie notamment dans la littérature. L’anglais semble de plus en plus écrit à partir des XIIIème et XIVème siècles. La multiplication des grammar school fait qu’il y a moins d’analphabètes et donc une plus large part de la population lit et parle l’anglais.

De plus, de nombreux textes latins ou français sont traduits en anglais. Enfin, les nouveaux auteurs qui sont nés avec la Guerre de Cent Ans veulent écrire leurs premières œuvres littéraires dans cette langue. Cela se vérifie notamment avec les poètes comme Geoffrey Chaucer ou John Bower.

Portrait de Chaucer dans le Régiment des princes (1412) - Thomas Hoccleve | Domaine public
Portrait de Chaucer dans le Régiment des princes (1412) – Thomas Hoccleve | Domaine public

Nous assistons donc à une transformation culturelle et linguistique progressive mais toutefois rapide : ce changement met seulement un siècle à se produire.

Il est issu d’un processus qui se radicalise dans l’antagonisme avec les Français. L’anglais passe d’une langue vernaculaire à une langue parlée par un peuple. Il existe donc une formation progressive d’une identité orale comme écrite.

Enfin, la langue est enseignée au sein des universités qui, elles aussi, connaissent des évolutions. Au XVème siècle, les universités les plus anciennes telles que Oxford peuvent accueillir 1500 étudiants. En 1450, Cambridge en accueille également 1500. Les inns of courts, institutions accueillant des étudiants suivant des formations juridiques se développent également.

Dans le royaume de France…

Coté Français également, nous ne pouvons sous-estimer l’impact du conflit sur les productions littéraires. La poésie du XIVème siècle par exemple apporte dans son évolution une réaffirmation des valeurs chevaleresques qui encadrent la société. Les auteurs tels que Christine de Pizan se détachent du reste de la poésie pour se tourner vers la prose et le roman.

D’un point de vue architectural et artistique, la Guerre de Cent Ans est aussi un levier dans la production d’oeuvres et dans la création de certaines institutions. L’influence des papes, installés en Avignon à partir de 1309 est aussi à prendre en compte, notamment dans la construction de nombreux édifices religieux.

Les rois de France, appartenant à la dynastie des Valois valorisent les édifices royaux. Charles V par exemple, réaménage le palais du Louvre.

Des évolutions politiques et idéologiques

Les quelques exemples culturels que nous avons vu plus haut témoignent d’un processus dont la Guerre de Cent Ans se veut être le point de départ : celui de l’apparition d’une identité nationale au sein des deux États, et notamment en France. En réalité, ce processus dépasse les cadres du conflit.

En réalité, deux identités sont motrices l’une de l’autre. En effet, l’identité culturelle nourrit le sentiment national, qui participe lui-même à une mutation de l’identité culturelle. En Angleterre, cette idée se développe, comme en France, tout au long de la guerre et pourrait se caractériser par une résurgence par rapport à l’existence d’un sentiment national altéré autour du XIIème siècle, en lien avec les conquêtes normandes. La formation d’un sentiment national anglais peut être mesurée selon plusieurs critères :

  • Dans le domaine militaire : Les périodes de victoires sous Édouard III forgent progressivement un sentiment de supériorité.
  • Une évolution du langage oral et écrit.
  • Un sentiment naturel : Le caractère insulaire de l’Angleterre apporte une notion divine : Dieu les aurait volontairement séparés du reste de l’Europe pour forger une spécificité au service de la religion. Il existe donc une notion de destinée.
  • Certains symboles français sont réutilisés au service du patriotisme anglais : Jeanne d’Arc transpose le conflit dans le domaine surnaturel. Sa condamnation en 1431 montre que Dieu serait finalement du côté du royaume anglais.
  • Un sentiment xénophobe.

Dans le cas du royaume de France, l’apparition de ce sentiment d’identité nationale pourrait être datée du XIIème et XIIIème siècles, en réaction à la capacité des rois présents à développer une forme de culte de la dynastie. De plus, le terme « France » désignant l’ensemble du royaume ne semble pas être utilisé avant le XIIe siècle. Bien avant la Guerre de Cent Ans, les rois commandent des oeuvres rassemblant l’histoire du royaume et de ses origines. Des légendes et mythes émergent, et rencontrent la nature chrétienne du royaume.

« Un peuple, un territoire, une langue, un souverain naturel : ces idées se dégagent progressivement au milieu des luttes de la Guerre de Cent Ans »

Georges Minois, La Guerre de Cent Ans, Perrin, 2008, p. 108.

Enfin, avec la Guerre de Cent Ans se développe une propagande royale qui donne à voir aux sujets du royaume toute la puissance de la dynastie. Le royaume de France devient un territoire où se met en place un véritable culte patriotique, dont l’apothéose est atteinte lorsque l’on meurt sur le champ de bataille.

La Guerre de Cent Ans est donc un conflit qui a conduit à la formation de deux royaumes en parallèle, reposant sur des principes différents. Il nous faut retenir que si l’Angleterre a pu forger son identité culturelle et nationale sur la base de ses victoires militaires, le royaume de France a eu besoin de construire cette identité grâce à l’élaboration de nombreuses théories venant légitimer sa destinée.

Quelques liens et sources utiles

Christopher Allmand, La Guerre de Cent Ans, Paris, Payot, 1989.

Colette Beaune, « La notion de nation en France au Moyen Age », Communications, 45, Eléments pour une théorie de la nation, sous la direction de Gil Delannoi et Edgar Morin. pp. 101-116, 1987.

Georges Minois, La Guerre de Cent Ans, Paris, Perrin, 2008.

Amable Sablon du Corail, La Guerre de Cent Ans : Apprendre à vaincre, Paris, Passés Composés, 2022.

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