Après le retour catastrophique de la campagne de Russie, Napoléon ravive des envies de coalition en Europe. Son expédition a été un échec, qu’il justifiera par l’arrivée du général hiver sur le front, obligeant son armée à faire marche arrière. Malgré sa conquête de Moscou et son occupation pendant plus d’un mois, la stratégie de la terre brûlée russe a été plus forte que lui.
L’Empire d’Autriche, alors complètement sous la domination française, voit cet instant comme une opportunité parfaite pour échanger avec l’empereur. Agir pour la paix en Europe, mais surtout pour récupérer les terres confisquées par l’empereur.
Le 26 juin 1813, Dresde Saxe
Napoléon et Metternich se rencontrent en Saxe, au Palais de Brühl-Marcoloni près de la ville de Dresde. Napoléon est alors engagé dans un conflit contre la Russie, la Prusse et le soutien financier de l’Angleterre à cette coalition. Il profite d’une trêve avec la Coalition pour reposer ses forces en Saxe. Le palais sert de quartier général pour Napoléon et ses troupes.
Metternich vient donc à la rencontre de Napoléon à un moment clé de son règne. Un dilemme se présente alors à cet habile diplomate et aristocrate autrichien : rejoindre la Coalition contre l’empereur pour permettre à l’Autriche de retrouver sa puissance passée, ou bien rester dans les bonnes grâces de Napoléon Bonaparte.
Le choix est complexe. La France, bien qu’affaiblie, n’est pas vaincue, et l’Autriche se rappelle trop bien de ses défaites face aux troupes de Napoléon. Néanmoins, la soumission de l’Autriche à l’empire est mal vécue, car elle couve le désir de briser la domination française sur la vieille Europe.
L’Autriche, en manque de pouvoir
Le choix de Metternich n’est pas simple. La France est revenue défaite de Russie en 1812, mais elle vient néanmoins de battre la coalition à Lützen (2 mai 1813) et à Dresde (26 et 27 août 1813). Même si ces victoires ne sont pas décisives, l’équilibre des forces n’est pas forcément en faveur de la Sixième Coalition.
Cependant, Metternich arrive en position de force. Si l’Autriche rejoint la coalition, les troupes coalisées seront numériquement bien supérieures aux forces françaises, qui peinent à se mobiliser à la suite des pertes subies lors de la campagne de Russie. Napoléon mobilise dans tous les territoires alliés, mais la volonté de se battre n’est plus la même. Le soutien des populations évolue. L’empire se fragilise et les troupes ne sont plus aussi vaillantes et expérimentées.
Historiquement, l’Autriche a été un ennemi de Napoléon Bonaparte, ayant été vaincue à quatre reprises dans des batailles qui demeurent aujourd’hui symboles du panache de l’empereur : Arcole (1796), Marengo (1800), Austerlitz (1805) et Wagram (1809). L’alliance actuelle entre les deux puissances n’est pas naturelle, mais résulte de concessions obtenues par la force. Ce qui maintient l’Autriche sous l’emprise française est la crainte et la puissance, mais non pas la loyauté.
Les limites naturelles de la France après la Révolution de 1789 ont été largement dépassées, les 134 départements qui composent l’Empire sont complétés par des États dominés par Napoléon. C’est notamment le cas de la Troisième Allemagne, détachée de la Prusse et de l’Autriche. Cette création par Napoléon Bonaparte s’inscrit dans sa volonté de suivre l’héritage de Charlemagne.
La mainmise de la France sur l’Allemagne dérange l’Autriche. Metternich nourrit le désir de voir ces États libérés de la protection de la France afin de les réintégrer, particulièrement dans l’optique de faire renaître le Saint Empire romain germanique issu du Moyen Âge. Cette zone d’influence de l’Autriche doit être libérée de l’emprise française.
La France domine, mais pour longtemps ?
La chute du Saint Empire romain germanique à la suite de la Révolution française provoque un séisme en Europe. La rive gauche du Rhin est annexée à la France et les États allemands sont intégrés et fédérés à la France afin de limiter l’influence de l’Autriche et de la Prusse dans ces régions. Napoléon Bonaparte redessine les frontières, notamment en 1803, dotant trois États d’une frontière stable et d’un territoire unifié : le Bade, le Württemberg et la Bavière.
Les conflits contre les anciennes puissances européennes et les années suivantes de conflits avec Napoléon permettent à ces trois États alliés – qui combattent aux côtés de la France – d’être récompensés pour leur loyauté, notamment en termes de territoire, de titres et d’alliances matrimoniales.
Le 12 juillet 1806, 16 États allemands rejoignent la protection de la France et créent ainsi la Confédération du Rhin, la Troisième Allemagne. Le Saint Empire romain germanique disparaît. L’ennemi historique de la France depuis des siècles, qui a poussé nos rois à conclure des alliances extraordinaires (nous rappelons François Ier et son alliance avec Soliman le Magnifique en 1536), vient de s’éteindre, laissant l’Europe sous l’influence des Français.
Metternich, le séducteur diplomate
Son regard bleu et bienveillant tromperait Dieu lui-même.
Stendhal
Metternich, le reconstructeur de l’ordre européen après les guerres napoléoniennes, fut un séducteur. Séducteur et Européen jusque dans ses amours : trois épouses autrichiennes, trois maîtresses russes, trois maîtresses françaises.
Une séduction brouillée par une fatuité presque naïve : le chancelier est convaincu de détenir la vérité.
Il se décrit en Messie à travers l’Europe, sollicité par les différents monarques qui recherchent ses conseils et l’érigent en arbitre du monde. Pour ses contemporains, la cause est entendue : il est un menteur.
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Napoléon est désormais en mesure de contrôler la diplomatie, les armées et les ressources de ces États allemands, qui sont rapidement rejoints par une vingtaine d’autres États allemands l’année suivante, notamment la Saxe. Cette confédération compte à son apogée 39 membres.
La Troisième Allemagne, qui aurait dû tendre vers la création d’une nation indépendante avec une structure politique solide, sert principalement les intérêts de l’empereur. Son objectif est d’affaiblir durablement la Prusse et l’Autriche. Cependant, le manque de volonté et l’échec à atteindre ce statut fondamental marquent le début de la future fragilisation de cette entité, qui ne possède pas de structure politique et sociale unifiée.
Cependant, la France elle-même est fragilisée et ses alliances s’effondrent les unes après les autres. La campagne de Russie a été celle de trop. Les forces souhaitant la chute de l’empire en profitent, notamment l’Autriche, ancienne alliée de la France qui aspire désormais à prendre sa revanche.
Un empereur qui ne peut faire demi-tour !
Napoléon Bonaparte ne provient pas de ces puissantes familles qui ont siégé sur les trônes européens depuis des siècles. Il impose son règne par la force, c’est ainsi qu’il peut diriger son empire et les nations qui lui sont alliées. Une défaite, une faiblesse, marquerait pour lui la fin de son prestige et de son autorité.
Des idées françaises en Europe
De plus, il transmet à sa manière les idées de la Révolution, en particulier la suppression des inégalités héritées de l’ancienne Europe, qu’il remplace par le Code Napoléon et une administration libérale.
Ma véritable gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce qui ne s’effacera pas, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil.
Napoléon Bonaparte
Cependant, son application n’est pas homogène dans ces nouveaux États. La disparition de la noblesse et du servage ne suscite pas l’intérêt de toutes les nations, qui reposent parfois sur ces fondements.
Un protectionnisme français contre l’Europe
Les changements sont trop soudains et surtout mal appliqués. L’empereur considère le territoire français comme un espace distinct, où il concentre toute son attention. Les produits circulent librement, sans taxe, bénéficiant même d’un protectionnisme paternel pour rendre les produits français compétitifs.
Cependant, cela ne s’applique pas de la même manière aux autres États, qui sont parfois confrontés à des inégalités marquées et à des contraintes économiques strictes, en partie dues au blocus continental imposé aux marchandises britanniques. La contrebande est répandue et les marchandises anglaises continuent d’être importées malgré les 35 000 douaniers déployés aux frontières de l’empire. Cette situation suscite un fort ressentiment contre la France, notamment en outre-Rhin.
L’ogre de l’Europe
Napoléon Bonaparte est resté dans l’histoire en tant que fin stratège, et à juste titre. Cependant, sa stratégie militaire, autrefois considérée comme révolutionnaire, notamment à Toulon ou durant la campagne d’Italie, finit par perdre de son éclat. Même s’il remporte toujours des victoires, sa tactique est désormais prévisible, et ces victoires sont devenues des victoires à la Pyrrhus. La Grande Armée a un grand besoin d’hommes, aussi bien français qu’étrangers, provenant des nations sous la domination de l’empereur.
Le trente-huitième article de la Confédération du Rhin stipule le nombre d’hommes que les États membres doivent fournir à la Grande Armée :
- 30 000 hommes pour la Bavière ;
- 12 000 hommes pour le Württemberg ;
- 8 000 hommes pour le Bade…
En tout, ce sont 120 000 Allemands qui rejoignent les troupes de Napoléon. Cette mobilisation suscite une certaine fierté au début. Rejoindre des troupes victorieuses et prestigieuses est une source de fierté pour tous les hommes appelés.
Cependant, la lassitude de la guerre mine rapidement le moral des troupes mobilisées. Les conflits s’étirent dans le temps et les combats se déroulent de plus en plus loin. Par exemple, les troupes allemandes en Espagne ne comprennent pas toujours l’intérêt de leur implication dans ces territoires. En somme, la surexploitation de ces contingents est rapidement ressentie comme un affront envers ces États vassaux.
Cette lassitude pousse certains à commettre des actes graves contre l’empire et l’empereur, que ce soit des actes de contrebande ou des tentatives d’assassinat, notamment en octobre 1809 lorsque Friedrich Staps, un jeune homme de Saxe, tenta d’assassiner Napoléon Bonaparte. Cet acte marque en quelque sorte le début du nationalisme allemand et l’aspiration à l’indépendance.
Il fut condamné à mort le 18 octobre 1809.
Vive la liberté ! Vive l’Allemagne ! Mort à son tyran !
Frédéric Staps lors de son exécution
L’Autriche définitivement contre la France
Cette rencontre historique, qui a vu les deux hommes se confronter verbalement pendant plus de neuf heures, pourrait aujourd’hui être considérée comme un point de repère du règne de Napoléon sur la France et l’Europe.
Le choix de l’Autriche de rejoindre la coalition n’est pas un choix naturel. La France est désormais liée à l’Autriche par le mariage, car l’empereur a épousé Marie-Louise d’Autriche, la fille de François Ier d’Autriche. Néanmoins, Metternich parvient à convaincre son empereur de préparer l’empire d’Autriche à la guerre contre Napoléon.
L’Autriche rejoint la coalition quelques jours après la rencontre entre Napoléon et Metternich. Par la suite, la Confédération du Rhin se désintègre, certains États allemands font défection pour rejoindre les forces antinapoléoniennes. Le 2 novembre, les forces françaises traversent le Rhin, et Napoléon Bonaparte ne remettra plus jamais les pieds en Allemagne.
Pour conclure cet article, nous vous invitons à poursuivre votre lecture en visionnant un excellent reportage d’Arte intitulé : Napoléon-Metternich : le commencement de la fin | ARTE.
Quelques liens et sources utiles
Wolfram Siemann, Metternich: Strategist and Visionary, The Belknap Press, 2019
Léon Bloy, L’âme de Napoléon, Librofilio, 2021
Günter Müchler, Napoléon – Metternich, le jour où l’Europe a basculé, Dresde, 26 juin 1813, France-Empire, 2013