Jeanne d’Arc, icône séculaire de la France, incarne à la fois la bravoure, la confiance en la foi, la loyauté et la détermination.
Dans son périple, souvent romancé, tous ces aspects redoublent d’intensité. Née dans la France du XVe siècle, son destin s’est tissé dans les désordres causés par la guerre de Cent ans. Tout en agitant les passions françaises, elle s’est aussi exportée. Prenons l’exemple de l’écrivain japonais Yukio Mishima qui l’évoque dans ses Confessions d’un masque.
Dans cet article, nous étudions un aspect précis de Jeanne d’Arc en observant comment les discours et les images de la jeune fille ont pu évoluer.
Une reconnaissance relative du Moyen Âge à la Renaissance
C’est le 30 mai 1431 que Jeanne d’Arc meurt sur le bûcher. Capturée par les troupes bourguignonnes à Compiègne, elle est vendue aux Anglais qui décident de la faire juger. L’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, en prend la charge et après un procès aux allures douteuses, elle est condamnée.
Jeanne d’Arc de son vivant
De son vivant, Jeanne d’Arc profite de nombreuses prophéties qui circulent en Europe. Suffisamment brumeuses pour correspondre à de nombreux profils, Jeanne peut facilement les endosser. Dans l’Historia regum Britanniae, une prophétie inspirée de Merlin l’enchanteur annonce qu’une « vierge venue de la forêt de chênes chevauchera contre le dos des archers et tiendra secrète la fleur de sa virginité, et elle chassera les ennemis du royaume ».
Les prophéties sont détournées à des fins politiques, diffusées par les proches de Charles VII et dotent la jeune fille d’une légitimé. Des miracles s’ajoutent à cela, comme cette fameuse scène où Jeanne, sans n’avoir jamais vu le monarque, se dirige instinctivement vers lui. En outre, elle profite d’une bonne image : calme, généreuse, pieuse, énergique…
Mais dans le camp d’en face, les détracteurs sont légion. Le Journal d’un bourgeois de Paris, qualifie la jeune fille de « créature en forme de femme ». On cherche à l’attaquer là où sa réputation est exemplaire.
Pour nuire à sa foi, on compare les interventions de sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel à des messages diaboliques. Même chose sur sa virginité et son surnom de « putain des Armagnacs » en référence au conflit civil entre Armagnacs et Bourguignons. En bref, de son vivant, le regard sur Jeanne est assez banal : appréciée par une partie de ses compagnons, elle est agonie dans le camp adverse.
La fin du Moyen Âge ou l’oubli consenti
Victime d’un procès douteux de la part des Anglais, elle n’est pas secourue et l’on dit même qu’elle est abandonnée par le pouvoir royal. Cela fait de Jeanne d’Arc un sujet assez secondaire pour la monarchie, qui continue sa lutte pour récupérer le territoire.
Pour cause, ça n’est que le 7 juillet 1456 que l’annulation du premier procès de la jeune fille est obtenue, au terme d’un autre procès. Cette réhabilitation de Jeanne, souhaitée par la famille, est aussi un moyen de protéger l’image du roi.
Néanmoins, l’hommage s’arrête là. Si elle est mentionnée dans différentes histoires de la vie de Charles VII, on réduit ses mérites au minimum. Par exemple, dans les Vigiles de la mort du roy Charles VII de 1470, elle est certes mentionnée, mais volontairement oubliée durant le sacre et non représentée sur l’illustration qui accompagne la scène.
En bref, Jeanne d’Arc n’est pas un enjeu. Louis XI lui accorde un intérêt assez limité, par exemple dans le traité politique le Rosier des guerres. Cela n’empêche que l’on décide d’entreposer dans le château d’Amboise, où Charles VIII réside, le harnois de Jeanne d’Arc, qui fréquente alors les armes de saint Louis, Charles VII…
Un changement au XVIe siècle ?
Avec la Renaissance et l’influence gréco-romaine, Jeanne ne connaît pas une réhabilitation particulière. Anne de Bretagne, reine de France, demande au religieux Antoine Dufour de réaliser un ouvrage intitulé Les vies de femmes célébres dans lequel Jeanne apparaît. Les Annales de France de Nicole Gilles, notaire et secrétaire du roi, publiées en 1525, dont une petite place à la jeune fille.
La Réforme est aussi l’occasion d’ériger Jeanne en figure du catholicisme traditionnel face aux protestantismes. C’est ainsi que les ligueurs en font en exemple, quand les protestants s’en prennent aux monuments catholiques, dont un voué à Jeanne d’Arc sur le pont d’Orléans, accusé de représenter « le symbole détestable d’une forme dévoyée de vénération, représentative des errements catholiques » pour le dire avec Franck Collard.
Affaibli, le pouvoir royal n’est pas en état de s’imposer et de protéger cette figure : il a bien d’autres priorités.
Un intérêt manifeste du XVIIe à la Révolution française
Au sortir des conflits religieux, la figure de Jeanne d’Arc obtient quelques lettres de noblesse grâce à plusieurs auteurs. Charles du Lys, proche du roi Henri IV compose un recueil mélangeant poèmes en latin et en français, dans son Recueil d’inscriptions et poésies en l’honneur de la Pucelle d’Orléans :
Une figure louée
Lors que cette jeune Pucelle,
Pierre Patris
Pour nous remettre en liberté,
Avec tant de facilité
Vous chassoit ainsi devant elle ;
Ses armes cachoient ses habits,
Ce n’estoit rien qu’une Bergère :
Anglois, qu’eussiez-vous peu moins faire,
Si vous eussiez esté brebis ?
Autre œuvre notable, c’est La Pucelle ou la France délivrée de Jean Chapelain.
Cette héroïsation de la jeune fille rime avec la liberté historique qui est prise : l’objectif est moins le travail fiable que l’hymne à la bravoure.
Ici, Jeanne est avant tout un personnage religieux plutôt que politique. Le roi est mis en avant comme seul architecte de la victoire. Jeanne est secondaire dans son action, une aide de Dieu mis sur la route du roi.
Dans les arts picturaux aussi elle louée : Richelieu demande à Simon Vouet une série de portraits féminins, dont un de Jeanne d’Arc.
Les Lumières ou le désaveu de Jeanne d’Arc
Ce regard positif apporté par le XVIIe est à relativiser au XVIIIe siècle avec l’influence des Lumières. Pourfendeurs de l’Ancien Régime, en quête de rationalisme, ils s’attaquent à différents piliers de la monarchie, dont l’Église.
En bref, la foi, la fidélité au roi… tout ce que Jeanne représente est contraire à leurs croyances. Voltaire est probablement un des plus pernicieux à son encontre. Œuvre de salon à l’origine, destinée à un public privé, Voltaire décide malgré tout de publier La Pucelle d’Orléans, provoquant un scandale par son contenu.
Dans les 8 500 vers de son œuvre, Voltaire explique comment Jeanne n’est rien de plus qu’une paysanne utilisée à son insu par le pouvoir, en accusant donc la monarchie, et met la mort de Jeanne d’Arc sur le dos de l’Église déraisonnée – tout en accusant la monarchie de n’avoir rien fait pour contrer le jugement.
L’ouvrage met aussi à l’épreuve la virginité de Jeanne, terrain d’attaque sempiternellement exploité. Par Jeanne, il lui est possible de cibler la monarchie et son système. Cependant, plus que le portrait du XVe siècle, c’est la cour de Louis XV qui est dépeinte ici, mais à demi-mot, pour éviter la Bastille.
D’autres figures de ce siècle apportent un jugement assez négatif, comme Montesquieu tandis que ceux qui prennent sa défense, comme François de L’Averdy, ont une notoriété moindre.
L’hésitation révolutionnaire
Avec la Révolution française, se pose un dilemme : que faire de Jeanne d’Arc ? Figure de l’Ancien Régime dont la Révolution veut s’éloigner, c’est en même temps une fille du peuple – rappelons toutefois que son père avait une situation correcte. La question se pose donc entre un rejet et une acculturation de Jeanne à l’épopée révolutionnaire. Victime de la monarchie pour les uns, elle est à l’image de la foule qui prend la Bastille pour les autres. Même la ville d’Orléans cesse ses commémorations pour la jeune fille de 1793 à 1803 et doit faire fondre la statue de Jeanne d’Arc.
Finalement, une nouvelle figure est adoptée par la Révolution, c’est l’allégorie de la République, à savoir Marianne. Assez proche de Jeanne d’Arc dans l’esprit, il était plus simple de créer une nouvelle image, vide de sens, plutôt que de récupérer une figure empêtrée dans le symbolisme monarchique. Ainsi, sans chercher la damnatio memoriae, on préfère affaiblir le symbole pour, peut-être, l’utiliser plus tard. C’est dans cet esprit que commence le XIXe et où les passions s’accroissent autour de sa figure.
Le XIXe : âge d’ôr pour l’historiographie johannique
Au début du siècle, l’Empire essaye de créer une filiation avec quelques personnages relatifs à la monarchie.
Quelques initiatives au début du siècle
On retrouve un dessin de Charles Lameire, sur lequel sont représentés un défilé de personnages historiques français de manière chronologique. À l’avant, on distingue Jeanne d’Arc, puis Henri IV, Richelieu. Tous arborent des oriflammes différentes, jusqu’au dernier personnage avec le drapeau républicain, qui n’est autre que Napoléon. Par cette simple esquisse, il se place dans le sillage de ces personnages et accorde une place à Jeanne d’Arc ;
La Restauration permet une plus grande familiarité avec la figure de Jeanne d’Arc et elle suscite toujours plus l’attention. Louis XVIII lui fait ériger un monument dans sa ville natale de Domrémy et il fait de la maison de Jeanne d’Arc un lieu public, comparable à un lieu de culte. Des artistes s’y intéressent aussi, que ce soit Pierre Révoil, avec sa Jeanne d’Arc prisonnière à Rouen en 1819 ou encore, Paul Delaroche, à travers son tableau Jeanne d’Arc, malade, est interrogée dans sa prison par le cardinal de Winchester en 1824.
Une première révolution : Jules Quicherat
Deux figures sont incontournables pour étudier la vie de Jeanne d’Arc, par l’importance de leurs travaux. Jules Quicherat d’abord, diplômé de l’École des chartes, en 1839, la Société de l’histoire de France lui délègue l’étude des sources connus à propos de Jeanne d’Arc. De son travail, cinq ouvrages sont publiés, de 1841 à 1849, répertoriant lesdites sources. Cette envie de travailler sur ce sujet en France n’est pas anodine : les Allemands commençaient à l’étudier et il fallait réagir en conséquence.
Le travail de Quicherat apporte un regard neuf sur la question, sourcé et remet en cause plusieurs totems. Par exemple, il était de mise de considérer le second procès comme plus honnête que le premier et ainsi en faire une source exacte. L’historien remet en cause cette théorie et considère que si le premier n’est pas fiable en raison des biais qu’il porte (l’objectif était de la faire condamner) le second est à remettre en perspective : c’est un procès qui a pour but de la réhabiliter. Cependant, son travail se cantonne à la sphère intellectuelle principalement. C’est un autre historien qui fonde une nouvelle image de la jeune fille.
Une seconde révolution : Jules Michelet
Reconnu pour ses multiples ouvrages relatifs à l’histoire de France, les mots qu’il pose sur la vie de Jeanne d’Arc sont assez bien considérés à l’époque. Pour Michelet, Jeanne est le peuple, sa plus pure et parfaite incarnation, arborant les plus beaux sentiments de ce dernier. Il ne la considère ni comme un être divin, ni comme une sorcière. Michelet, anticlérical convaincu, veut s’éloigner de cette vision providentielle de l’histoire. Il considère plutôt que la volonté du peuple est le moteur de l’histoire et que Jeanne en est une illustration.
Il rejette bien évidemment des aspects miraculeux de cette histoire comme le récit des voix divines entendues. À cela, il répond plutôt que c’est est « une toute jeune fille, confondant la voix de son cœur et la voix du ciel ».
Par cette explication Michelet veut purger le récit johannique de toutes les explications superstitieuses. Bien évidemment romancée, comme son histoire de France, il n’en demeure pas moins que le talent littéraire de Michelet transpire dans son travail. En bref, Jeanne est le symbole de la patrie française, d’où cette phrase connue :
Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous, est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous.
Jeanne d’Arc, Jules Michelet
La riposte catholique
Mais, cette historiographie, très républicaine, purgée des aspects religieux, est loin de séduire tout le monde. Mieux, elle dérange les historiens catholiques comme Guido Görres, de nationalité allemande. S’il partage certains constats avec Quicherat, comme le point du procès précédemment expliqué, il ne trouve pas cohérent de mettre de côté tous les arguments divins.
En France, la riposte est menée par Henri Wallon, entre autres. Républicain catholique, il essaye de concilier ces deux aspects dans son œuvre, en étant moins incisif que Michelet. Par exemple, sur l’accusation d’abandon de Jeanne par le pouvoir, il se veut plus conciliant avec le roi, considérant que la situation ne lui permettait pas d’aller la récupérer.
Enfin, c’est Félix Dupanloup, évêque d’Orléans qui reprend le travail de ces deux hommes. Celui-ci est un fervent défenseur de Jeanne d’Arc et exprime son admiration envers celle-ci dans ses panégyriques qu’il prononce durant la commémoration à Orléans. Dans ses derniers, il se refuse à laisser la jeune fille aux républicains et la considère comme sauveuse de la nation et fidèle à l’Église. Il convoite même la canonisation pour elle, mais la situation étant trop compliquée, l’idée est abandonnée.
Du XXe à nos jours : Jeanne d’Arc moins sollicitée ?
Les débats continuent en la fin du XIXe et perdurent au XXe toujours sur la place que Jeanne doit occuper dans l’idéal républicain. Lucien Herr, figure socialiste, écrit dans le journal Le Parti Ouvrier, un article au nom explicite : « Notre Jeanne d’Arc », dans lequel il affirme que « Jeanne est des nôtres, elle est à nous ».
Un début de siècle agité
La question religieuse est toujours au cœur du sujet et cristallise les tensions. D’un côté, le journal La Lanterne est soucieux de déposer une gerbe en l’honneur de Jeanne d’Arc sur laquelle il est inscrit « À Jeanne la Lorraine, à l’héroïque Française, à la victime du cléricalisme ». Jaurès a déjà fait allusion à Jeanne dans un de ses discours, Ferry est d’accord pour élever une statue « laïque » en son honneur… De l’autre côté, l’Action Française se place du côté des catholiques dans la défense de Jeanne, et, en 1913, dépose une gerbe de fleurs devant une statue.
Les tensions se font même sentir dans l’école, notamment avec l’enseignement, comme le prouve l’affaire Thalamas. En 1904, le professeur Amédée Thalamas provoque une polémique en remettant en doute le caractère sacré de Jeanne. Rapidement, la situation s’envenime et l’affaire devient gênante pour les autorités.
Afin d’étouffer paisiblement l’affaire, Thalamas écope d’un blâme et est envoyé dans un autre lycée. L’intéressé essaye de se justifier dans un ouvrage, ce qui excite encore plus les passions. Plus tard, en 1908, alors qu’il doit intervenir à la Sorbonne pour quelques cours, Amédée Thalamas est de nouveau pris pour cible. Les camelots du roi, militants de l’Action française, interviennent de façon régulière pour provoquer le désordre durant ses cours.
La Première Guerre mondiale et Jeanne canonisée
Avec la Première Guerre mondiale, Jeanne doit faire front avec les soldats. Encore une fois, elle est érigée comme exemple : elle a donné sa vie pour accomplir sa mission et protéger sa patrie. On voit en elle une figure bénie, quand, que la ville de Reims est détruite par les bombardements, sa statue est toujours debout, allégorie du dernier rempart face à l’ennemi.
Cette image de la patriote Jeanne d’Arc devient populaire, et les anciens adversaires s’accordent indirectement à ce sujet. On retrouve également un chant de Marie Thérèze Vergniaud, sous le pseudonyme de Jean Vézère, évoquant la vie de la jeune fille, en insistant sur le soutien qu’elle apporte aux soldats durant la guerre. Ici, un bref extrait de ce dernier :
Tu préférais à ton épée
Marie Thérèze Vergniaud
Ton étendard plein de rayons ;
Abrège la grande épopée
Qui décime les bataillons.
Ô bouclier de la patrie
Garde nos fils ! … Qu’ils soient vainqueurs
Et nous, chantons, l’âme attendrie
-Vive la France et haut les cœurs !
L’entre-deux-guerres est hautement important dans notre histoire, car c’est le moment de sa canonisation. Face à une demande insistante des catholiques français, un procès est ouvert en 1894 afin de s’intéresser une nouvelle fois à son cas.
C’est déjà une grande victoire, quand, en 1909, Pie X accepte de béatifier la jeune fille. C’est l’occasion de satisfaire les Français d’un côté et de rétablir une meilleure entente entre la République et la papauté, après la loi de 1905. C’est ensuite en 1920 que Jeanne est déclarée comme sainte, par le pape Benoît XV.
D’autres bataillent aussi pour l’instauration d’une fête nationale en l’honneur de Jeanne d’Arc, comme Maurice Barrès, qui prononce un discours à ce sujet :
Il n’y a pas un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont Jeanne d’Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de nous peut personnifier en elle son idéal. Êtes-vous catholique ? C’est une martyre et une sainte. Êtes-vous royaliste ? C’est l’héroïne qui a fait consacrer le fils de Saint Louis par le sacrement gallican de Reims… Pour les Républicains, c’est l’enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies… Enfin les socialistes ne peuvent oublier qu’elle disait : « J’ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des malheureux ».
Discours de Maurice Barrès à l’Assemblée nationale le 14 avril 1920.
Figure française avant d’être partisane, c’est une victoire remportée, car une fête du patriotisme est instaurée en l’honneur de Jeanne d’Arc. Elle a lieu, non le jour de la mort de Jeanne d’Arc, mais le deuxième dimanche de mai – le jour de la mort de Jeanne étant déjà investi par l’Église.
De la fin de l’entre-deux-guerres à Vichy : une figure ambiguë
La révolution historiographique que connaît le XXe siècle avec l’école des Annales fait de Jeanne une figure moins prégnante : la nouvelle historiographie privilégie moins les grandes figures de l’histoire.
En parallèle, dans une Europe où la guerre plane et les totalitarismes s’arment, l’extrême-droite est accusée de reprendre l’image de Jeanne d’Arc et de salir son image en calquant ses valeurs, comme l’antisémitisme, laissant croire que le personnage de Jeanne d’Arc est antisémite. Ainsi, l’Action française du lundi 10 mai 1937 titre « Jeanne d’Arc a vaincu le juif ». Dans la même veine, Charles Maurras, intellectuel du XXe siècle, s’attache à défaire l’image républicaine de Jeanne dans sa Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc.
Avec la défaite française en 1940 durant et l’instauration du régime de Vichy, Jeanne d’Arc est de nouveau mise en avant, considérée comme celle qui peut réunir les Français dans cette étape difficile. Aussi, n’oublions pas contre qui Jeanne se battait en son temps : les Anglais. Quoi de mieux pour susciter la lutte contre les Anglais, adversaire des Allemands.
La fête patriotique de Jeanne d’Arc est également modifiée, afin que l’on puisse être béni durant cette dernière. Jeanne d’Arc est ici un modèle à suivre car elle arbore des valeurs saines que le régime de Vichy veut mettre en avant.
Même les communistes décident d’utiliser Jeanne d’Arc, en faisant le rapprochement entre cette dernière et Danièle Casanova, femme communiste qui meurt en déportation. La Résistance est soucieuse à son tour de l’image que véhicule la France de Vichy, et ainsi, utilise Jeanne comme porte-drapeau, mais pas en tant qu’ennemi des Anglais, mais en résistante face aux envahisseurs du XXe siècle, les Allemands.
De la reconstruction à nos jours
Avec la fin de la guerre, les élites commencent à douter du personnage étant donné qu’il peut être utilisé pour de nombreuses causes, comme Vichy le prouve. La reconstruction de la France est une priorité et le général de Gaulle abandonne l’idée d’utiliser Jeanne d’Arc dans celle-ci – notons que Roosevelt aurait eu ces mots amusants à propos de Charles de Gaulle :
« Comment voulez-vous que je fasse avec un homme qui se prend à la fois pour Jeanne d’Arc et Napoléon ! »
La figure de Jeanne inspire timidement quelques mouvements, comme une « Alliance Jeanne d’Arc » en Algérie, qui souhaite défendre l’Algérie française. L’historien André Bossuat réalise un bref ouvrage autour de Jeanne d’Arc, dans laquelle il expose la théorie que Jeanne n’est pas « l’origine du sentiment national, comme le XIXe siècle l’avait martelé, Jeanne d’Arc est le produit d’une construction idéologique antérieure sans laquelle elle n’aurait pu fleurir. » Si le personnage semble susciter de moins en moins de passion, et que les travaux historiques sur le sujet se multiplient, quelques usages partisans demeurent.
C’est le cas de Jean-Marie Le Pen qui décide d’en faire un symbole, en choisissant le 1er mai pour commémorer celle qui incarne les valeurs nationales. Plusieurs personnalités dénoncent alors cette utilisation de la jeune fille, tant elle semble anachronique.
Dans le Petit dictionnaire pour lutter contre l’extrême droite, Olivier Duhamel et Martine Aubry déclarent que « puisque tout élève, français ou étranger, a forcément entendu parler de la petite bergère luttant pour la liberté et infléchissant la marche de l’histoire, ne laissons pas l’extrême-droite s’associer illégitimement à un modèle positif des représentations collectives ».
Néanmoins ces querelles pour la figure de Jeanne d’Arc ne constituent en rien un regain pour la question johannique : il faut les inscrire dans une tradition qui remonte au XIXe ou droite et gauche se disputaient déjà son image.
Le président de la République actuel, Emmanuel Macron disait déjà en 2016, lors d’un hommage à Orléans, que « dans notre passé, il est des traces vibrantes qui doivent nous éclairer, nous aider à retrouver le fil de cette histoire millénaire qui tient notre peuple debout : Jeanne d’Arc appartient à cette histoire. ».
Il déclare aussi que Jeanne permet aux français divisés de se rassembler et qu’elle « fend le système ». Peut-être pouvons-nous voir ici un clin d’œil à sa propre personne, lui qui sera élu un an après sans se préférer de droite ou gauche.
Sous la plume d’historiens et de journalistes, sous le pinceau de peintres, dans l’esprit de nombreux Français, Jeanne d’Arc a incarné un nombre incalculable de valeurs. Elle est la preuve de la perméabilité des symboles et des recharges sacrales dont les symboles peuvent faire les frais.
Même si les passions autour de son histoire semblent éteintes, elle demeure un personnage essentiel pour l’histoire de France, au moins dans son imaginaire. Les plus pessimistes pourraient affirmer que Jeanne d’Arc a été le martyre de sa propre historiographie et les paroles de Léon Bloy se trouvent alors infiniment juste :
Le meilleur ami de la Pucelle et le plus sûr fut le bourreau qui lui ouvrit la porte du ciel !
Jeanne d’Arc et l’Allemagne, Léon Bloy
Quelques liens et sources utiles
COLLARD Franck, La passion Jeanne d’Arc. Mémoires françaises de la Pucelle, Paris, Presses universitaires de France, 2017.
MICHELET Jules, Jeanne d’Arc, Gallimard, coll. « Folio », Paris, 2017.
NEVEUX François (dir.), De l’hérétique à la sainte. Les procès de Jeanne d’Arc revisités, Caen, Presses universitaires de Caen, 2012.