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Fiche de lecture : Rapt en Aragon de Martine Charageat

La péninsule Ibérique est marquée par le concept de rapt durant la période médiévale, avec une division du territoire marqué par la religion.
La basilique Notre-Dame du Pilier, à Saragosse, en Espagne, en illustration à notre article sur le rapt en Aragon à l'époque médiévale - Willtron | Creative Commons BY-SA 3.0
La basilique Notre-Dame du Pilier, à Saragosse, en Espagne, en illustration à notre article sur le rapt en Aragon à l’époque médiévale – Willtron | Creative Commons BY-SA 3.0

Usage polyvalent et évolution du concept de rapt en Aragon : entre normes et récits judiciaires (XIIIe – XVIe siècles)

Martine Charageat, Estudis. Revista de Historia Moderna, 2014 (p. 13-30)

Nature du texte et auteur

Le document est un article scientifique, qui comprend de nombreuses notes de bas de page, prouvant la méthodologie scientifique appliquée par l’auteur.

L’article a été publié en 2014, dans une revue espagnole, Estudis pour son quarantième numéro. Cette revue est éditée une fois par an, depuis 1972, par l’Université de Valence, dans leur faculté de géographie et d’histoire par l’intermédiaire du département d’histoire moderne. L’ensemble de la revue est rédigé par des historiens hispaniques et internationaux. La revue est une publication scientifique basée sur des travaux universitaires originaux cadrés par l’époque moderne, mais sans zone géographique privilégiée, toutefois, un accent particulier est accordé aux territoires valenciens.

Notre article partage la revue avec des thèmes variés allant du clergé catalan[1], aux conflits de l’État milanais[2]. Il est important de noter que l’article est classé ACLN[3], ce qui signifie qu’un comité de lecture non répertorié dans les bases de données internationales a effectué une relecture. En somme c’est une évaluation par les pairs, qui permet de retirer des contenus de mauvaise qualité. Ce classement est gage de sûreté et de sérieux, mais est plus faible qu’un classement ACL, qui signifie que le comité de lecture est répertorié.

Martine Charageat est historienne médiéviste, maitre de conférences en histoire médiévale à l’Université Bordeaux-Montaigne. Elle est également membre du laboratoire de recherche Ausonius à l’Université de Bordeaux. Ce laboratoire a pour axe de recherche : 

  • La péninsule Ibérique et le Maghreb, de la Protohistoire à la fin du Moyen-Âge
  • Textes, contextes, pouvoirs
  • Gestes techniques, gestes rituels, pratiques sociales.

Elle obtient son CAPES histoire géographie en 1992, son agrégation en histoire en 1993 et passe un doctorat en 2001 sur la thèse : Mariage, couple et justice en Aragon à la fin du Moyen-Âge. Elle devient par la suite spécialiste des questions autour des rapports entre la société et la justice au Moyen-Âge, mais également sur les couples et la justice en Aragon à la fin du Moyen-Âge. En somme la péninsule Ibérique et plus particulièrement l’Aragon au Moyen-Âge deviennent son domaine d’étude privilégié.

Objectif et méthodologie du texte

L’objectif de l’auteur dans cet article est de définir le rapt sur le plan humain, social, économique et également juridique. En utilisant les sources et le travail préliminaire d’autres historiens, sur des territoires différents, elle permet en introduction de souligner un certain nombre de questions vis-à-vis de cet acte.

En effet le rapt est un terme qui trouble les historiens, il fait référence à la fois aux crimes sexuels, à l’enlèvement et au vol. Ce premier niveau de compréhension n’est valable que pour une certaine temporalité, car à partir du XIIIe siècle, en Aragon, le rapt fait exclusivement référence à l’enlèvement et peut autant toucher les femmes que les hommes en principe.

L’auteur doit donc au cours de son récit adapter la définition du terme, car il évolue à travers le Moyen-Âge. Le terme est ambigu et complexe comme l’évoque l’auteur.

Le terme sert à qualifier des affaires variées selon la nature du litige, les attentes de la partie plaignante et selon la juridiction où les procureurs évoquent les faits ». Ainsi, l’article pourrait s’articuler autour de la problématique suivante : « comment le rapt devient-il un terme polyvalent en fonction de l’appréciation des hommes et des sociétés qu’il touche ?

Afin de répondre à cette question Martine Charageat utilise dans un premier temps le travail préliminaire de ses collègues historiens. En effet, elle introduit son sujet par les travaux de Caroline Dunn, et son ouvrage Stolen women in medieval England. Rape, abduction and adultery 1100- 1500, cambridge, cambridge university press, 2013. L’historienne Caroline Dunn réalise par l’intermédiaire des sources juridiques et législatives, mais également par les sources littéraires, un compte rendu exhaustif de la situation du rapt en Angleterre.

L’auteur utilise par la suite les travaux de María del Mar Agudo Romeo pour définir le rapt dans la législation aragonaise, le territoire cible de la recherche. En plus de citer ses collègues historiens, l’auteur utilise à plusieurs reprises des sources, pour argumenter et consolider ses axes de réflexion :

  • Archivo Histórico de Protocolos de Zaragoza (AHPZ), Alfonse Francès, Protocolos de los años 1477-1480, fol. 77-79, avec le travail de retranscription de Miguel Ángel Pallarés Jiménez.
  • Archives diocésaines à Saragosse (ADZ), Procesos civiles, caja M lig. 14, 1479, qui est un document inédit trouvé par l’auteur.
  • AHPH, Papeles de justicia, 261, 1494
  • AHMZ, Procesos ante jurados, n° 70, 1474

Les sources utilisées sont des extraits de fueros[4], de procès, de procédures civiles etc. Les citations sont en langues vernaculaires, ainsi l’historienne cite à plusieurs reprises des citations en espagnol ou en galicien. L’évolution du rapt se fait par l’intermédiaire de sources, et aucun fait n’est avancé sans au préalable une citation ou un document source qui relève cette même évolution. L’historienne travaille donc sous la forme de citation et explication, afin de répondre aux enjeux de son plan et de son analyse. 

Nous avons également remarqué que l’auteur fait appel à ses précédents travaux. Ainsi, elle fait référence à son article : « De l’affrontement et de la violence entre époux à l’affrontement entre pouvoirs publics et pouvoir des maris à Saragosse au XVe siècle », Cahiers d’Études Hispaniques Médiévales, n° 28, 2005, pp. 341-373.

Synthèse de l’article sur le rapt en Aragon

Organisation de l’article

L’auteur commence à traiter son sujet par une introduction réalisée par l’intermédiaire des travaux de Caroline Dunn, comme expliqué auparavant. Elle réalise dans cette introduction, un point sur la définition et la raison même du rapt dans l’historiographie du Moyen-Âge puis en Aragon.

L’auteur décompose ensuite son récit en trois axes majeurs :

1. « Le rapt dans la législation aragonaise : vers le rapt des hommes » ;
2. « La rhétorique du rapt dans les récits judiciaires » ;
3. « Le rapt : crime de vol ? ».

Le procédé d’analyse est différent pour le premier axe de recherche de l’historienne. En effet, elle s’appuie davantage sur les recherches de ses collègues que sur son propre travail au sein de sources. Le deuxième axe et le troisième axe se confrontent eux véritablement aux sources, en y faisant appel à de multiples reprises et en y faisant référence dans les notes de bas de page.

Explication linéaire du concept de rapt

Le rapt en Angleterre au cours du XIIIe et XVe siècles sert d’introduction pour l’article. Cela permet d’entrer dans le monde du rapt au Moyen-Âge et de lever les premières difficultés de cette notion, en outre la définition vague du terme et son utilisation différenciée à travers les royaumes, les territoires, les sociétés.

Le premier axe de recherche est l’évolution juridique du rapt en Aragon. L’auteur se base sur les recherches de María del Mar Agudo Romeo, qui traite du rapt au sein des fueros. En effet, entre le début de la Reconquista et le XVe siècle, la définition et la vision du rapt évoluent, passant d’un crime équivalant au viol, à un crime qui porte atteinte aux projets de mariage des familles.

Cette évolution passe par des changements de définitions importantes, ainsi avant le XIIIe siècle, le rapt est vu comme un crime exclusivement violent. Il faut attendre le Cortes[5] de Maella en 1423, pour ne plus lier automatiquement la violence au rapt, permettant dès lors de confirmer le rapt de séduction. Ce changement est notable également dans les règles séculières qui cherchent à régler le problème des mariages clandestins qui augmentent vraisemblablement les rapts de séduction. Ce même changement a lieu lors du Cortes de Calatayud en 1461, qui supprime la vision violente du rapt, il inclut dès lors : « la fugue d’épouses seules ou avec leurs amants, les fugues de jeunes filles se laissant ravir par un amoureux ».

Dans les lois urbaines aragonaises le rapt reste un crime violent limité aux femmes. Il faut attendre le XVIe siècle avec la promulgation de nombreux statuts figurant les termes « rapt de personne libre » pouvant permettre d’intégrer les hommes également à ce type de crime. La notion de « personne libre » reste quand même libre d’interprétations.

Le second axe a pour objectif de confronter les connaissances juridiques du rapt à la vision que pouvait en avoir les hommes et les femmes du Moyen-Âge. Ainsi sont évoquées de multiples exemples de sentences appliqués contre des crimes de rapts en Aragon. Nous pouvons évoquer celui de l’affaire Gracia de Montanes. Cette femme a subi une tentative d’enlèvement en 1474 dans le but d’être violée et épousée. Le rapt échoue et le commanditaire Johan de Burgos est arrêté et jugé. Malgré tout le procureur n’évoque pas un crime de rapt et ne fait référence qu’au terme rapada qui « est associé au viol de jeunes victimes n’ayant pu physiquement résister à leur agresseur ».

Les jugements liés au rapt sont confrontés à la bonne volonté des juges. Ainsi, les différents exemples, évoqués par l’auteur, montrent une tendance à diminuer l’importance du crime pour ne pas le rattacher à un crime de rapt. Les juges jouent sur la terminologie pour minorer et classer les affaires en fonction des victimes. Ainsi, les termes rapado/rapada ne sont utilisés, selon les travaux de l’auteur, que pour les jeunes victimes, les mineurs ou non, mais caractérisés par leur faiblesse physique.

Il est difficile d’évoquer le terme rapt dans les jugements, certainement pour la violence que cela dégage. En effet, il n’y est fait référence que dans le dernier exemple, dans la procédure instituée par Isabelle de Salas contre Pedro de Aguas. Elle souhaite qu’il soit condamné à mort pour crime de rapt et de mariage forcé à l’encontre de son jeune frère. Le juge procède à l’acquittement du condamné, montrant bien que le rapt est une notion complexe et pas toujours comprise même au Moyen-Âge, surtout envers les personnes libres.

Le troisième axe de recherche se concentre sur le rapprochement qui est fait entre un vol et un rapt. En effet le rapt lors des jugements est souvent comparé à un vol de propriété pour les gens du Moyen-Âge. Ainsi, dans les archives de Saragosse il existe une multitude de documents traitant à première vue de vol à l’époque médiévale, alors qu’il est in fine sujet de rapt. Le rapt se rapproche d’un crime de vol pour les gens de l’époque, pour deux raisons : « atteinte en termes de possession ou de propriété sur la personne de l’individu enlevé ou, simplement, d’une perturbation du système de circulation des biens conjugaux et familiaux par des alliances matrimoniales subséquentes ». Dans les archives judiciaires aragonaises, entre le XVe et le XVIe siècles, toutes les affaires de rapt sont traitées comme des affaires de vol et inversement. Il est considéré que la manière d’agir entre ces deux crimes est très proche et donc semblable pour l’époque.

Le viol d'Hélène : Ce tableau faisait partie de la Galerie céleste, où il se trouvait au Palazzo Ducale de Mantoue - Jacopo Tintoretto | Domaine public
Le viol d’Hélène : Ce tableau faisait partie de la Galerie céleste, où il se trouvait au Palazzo Ducale de Mantoue – Jacopo Tintoretto | Domaine public

Critère et réception de texte

Remarques et précautions

L’article permet d’appréhender le sujet relativement facilement dans sa globalité. Pour autant de nombreux détails sont malheureusement peu expliqués. Il faut un certain nombre de bagages pour comprendre toutes les subtilités du document.

La première limite est langagière, de nombreux mots sont cités en espagnol, en latin ou en galicien et pour certain, aucune traduction n’est apportée. Enfin du vocabulaire spécifique comme fueros ou Cortes ne sont pas définis, alors qu’ils sont importants pour le récit. Le sujet en lui-même nécessite de maîtriser un minimum la situation de la péninsule Ibérique pendant la période traitée par le sujet.

Réception de l’article sur le rapt en Aragon

L’article « Usage polyvalent et évolution du concept de rapt en Aragon : entre normes et récits judiciaires (XIIIe – XVIe siècles) » de Martine Charageat ne fait pas partie des articles les plus plébiscités de l’historienne. En effet, nous n’avons trouvé que deux citations de cet article par ses pairs.

  • Carole Avignon, « Les mariages clandestins : impasse disciplinaire, scandale ou moteur de la réflexion doctrinale ? », Médiévales, 71, 2016, P. 55-74

Carole Avignon est une historienne médiéviste enseignant à l’Université d’Angers. Dans son article elle traite de la conceptualisation du mariage en Occident médiéval latin. Au cours de cette histoire du mariage, une question apparaît ; celle du rapt. Un procédé courant et surtout inégalement accepté en fonction du royaume, mais qui se retrouve marginalisé par nombre d’entre eux et surtout par les institutions ecclésiastiques. Le rapt dans cet article est évoqué comme une caractéristique des mariages. Ainsi l’auteur renvoie à l’article de Martine Charageat et à d’autres du même genre, afin d’apport un complément d’informations sur l’évolution du rapt au cours du Moyen-Âge.

Nous avons également trouvé une citation dans un ouvrage espagnol, traitant des différentes formes de violences.

  • Cañete Lairla, Miguel Ángel. Algunas formas de violencia: mujer, conflicto y género. Prensas de la Universidad de Zaragoza, 2016.

L’auteur Miguel Ángel Cañete Lairla est un professeur de psychologie évolutive et de l’éducation à l’université de Saragosse. Son ouvrage traite des violences diverses à travers les époques et les sociétés. Ainsi, il diffère de la citation précédente, qui s’apparentait à un article de la même discipline. Dans tous les cas l’article de Martine Charageat permet une fois de plus d’apporter davantage d’informations sur le sujet des rapts.

Nous n’avons pas trouvé d’autres articles qui citaient Martine Charageat pour ce travail, mais elle est régulièrement citée pour ses autres travaux, tels que son ouvrage La délinquance matrimoniale : Couples en conflit et justice en Aragon (XVe-XVIe siècle, Nouvelle Édition, Paris, 2011. Pour cet ouvrage, nous avons identifié 21 citations. Son travail semble apprécié et valorisé par les autres historiens.

[1] Rosa Maria Alabrus Iglesias, « El clero catalán en la Guerra de Sucesión », Estudis. Revista de Historia Moderna, 40, 2014, pp. 213-233

[2] Lina Scalisi, « « Gobernar las fronteras ». Terranova y el ejercicio del poder en los conflictos del estado milanés », Estudis. Revista de Historia Moderna, 40, 2014, pp. 91-114

[3] Classification émise par le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres), remplaçant l’Agence d’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AÉRES) à partir de 2014.

[4] En Espagne, charte garantissant les privilèges et libertés d’une ville ou d’une province, selon le Larousse.

[5] En Espagne et au Portugal, assemblée législative selon le CNRTL

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