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L’aménagement conflictuel de Notre-Dame des Landes

Histoire d'un conflit d'aménagement de plus de 40 ans, précurseur des luttes actuelles dont la ZAD est aujourd'hui habitée
Contestation contre l'aéroport du Grand Ouest à Nantes en 2012 - Adam Bishop | Creative Commons BY-SA 3.0
Contestation contre l’aéroport du Grand Ouest à Nantes en 2012 – Adam Bishop | Creative Commons BY-SA 3.0

Une agriculture certifiée biologique, des fermes historiques transformées en logement paysan HLM, des rassemblements militants, des activités culturelles informatives (forums, conférences…) ou récréatives (ateliers, balades…). Voilà ce que l’on peut retrouver aujourd’hui sur la ZAD de Notre-Dame des Landes (NDDL). En 2019, environ 150 personnes y vivaient, poursuivant leur combat pour faire reconnaître leur mode de vie et montrer qu’une autre façon d’habiter le monde est possible.

Avec la lutte du Larzac, c’est avec ce projet d’infrastructure aéroportuaire que les Zone à Défendre (ZAD) sont nés en France, sens détourné de la Zone d’Aménagement Différé. Plus généralement, c’est une nouvelle manière de lutter qui a vu le jour, celle de manifester en occupant l’espace.

Loin de se limiter à du nimbisme, c’est-à-dire au fait de s’opposer à tout projet d’aménagement se situant près de chez soi, les contestations au projet de Notre-Dame des Landes porte des arguments écologiques, sociaux et politiques et sont aussi bien portés par des militants aguerris que des citoyens ordinaires.

Les luttes face à de récents grands projets tels que l’autoroute A69, la Ligne à Grande Vitesse (LGV) Sud-Ouest ou le barrage de Sivens sont plus compréhensibles en passant par l’épisode Notre-Dame des Landes. Ce dernier est un exemple emblématique d’aménagement conflictuel, qui doit être retenu comme ce qu’il ne faudrait jamais reproduire.

Un projet pensé, mis en veille, puis relancé

Tout commence à la fin des années 60. Le préfet de Loire-Atlantique souhaite trouver un site destiné à accueillir un nouvel aéroport, qui remplacerait l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique. En 1972, deux ans avant l’inauguration de Roissy-Charles de Gaulle dans la capitale, le sénateur du département Michel Chauty revoit les ambitions du projet à la hausse évoquant que celui-ci pourrait être « le Rotterdam aérien de l’Europe par la création d’un aéroport international de fret ».

Une zone au nord-ouest de l’agglomération nantaise entre les communes de Grandchamps-des-Fontaines, Notre-Dame des Landes, Treillières et Vigneux répond aux critères de la nouvelle envergure du projet. De plus, le site est jugé comme étant un centre de gravité entre les grandes villes de l’Ouest, ce qui le rendait plus facilement accessible.

Et, le 11 janvier 1974, un arrêté officialise la création de la ZAD, zone d’aménagement différée. Ce dispositif urbanistique permet de créer des réserves foncières pour un futur projet. Cela permet également d’atténuer la spéculation puisque la valeur fixée du terrain correspond à celle qui existait un an avant la création de la ZAD.

Dans le même temps, une opposition paysanne se structure contre ce vaste projet d’infrastructure. L’ADECA, association de défense des exploitants agricole est créée et en 1976, l’ouvrage Dégage !…On aménage est publié par l’agronome Roger Le Guen et le journaliste Jean de Legge. A travers le dossier de Notre-Dame des Landes, celui-ci dénonce le cheminement des décisions d’aménagement en France – que l’on pourrait schématiser par « penser d’en haut vers le bas, sans le bas » – et le fait d’imposer ces projets aux populations locales.

Les lentes avancées du projet entre les années 80 et 2000

À partir des années 80, le projet est presque mis en pause, pour plusieurs raisons. Déjà, l’acquisition de foncier prend du temps. Jusqu’en 1988, le Conseil Général de Loire-Atlantique obtient 850 hectares sur les 1600 hectares nécessaires. Ensuite, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 ainsi que l’essoufflement de l’essor du trafic aérien français contribuent à reléguer au second plan le projet d’aéroport.

De plus, dès les années 70 comme partout en France, les communes autour de la ZAD connaissent un développement périurbain important avec la démocratisation de l’automobile et le souhait de nombreux ménages de devenir propriétaire d’une maison avec jardin. Ainsi, entre 1968 et 2009, la population des quatre communes se situant sur le tracé du futur aéroport passe de 6000 à près de 20 000 habitants.

En 1994, le débat sur la construction d’un troisième aéroport parisien permet aux partisans du projet de Notre-Dame des Landes de remettre ce dernier sur la table. Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes jusqu’en 2012, le soutenait vigoureusement en mettant en avant une opportunité de développement régional pour des territoires « à l’écart des grands flux économiques » à l’échelle européenne.

Notre-Dame des Landes sort des cartons

En 2000, le Premier ministre Lionel Jospin donne une nouvelle impulsion au projet. Pour lui, ce dernier comporte un enjeu économique et écologique majeur, par la création de 3000 emplois et la fin des nuisances sonores dans l’agglomération nantaise par le transfert de son actuelle plateforme aéroportuaire.

Également, la ministre de l’aménagement du territoire Dominique Voynet se dit en faveur d’un rééquilibrage territorial jugeant les métropoles régionales trop dépendantes de la desserte parisienne sur le plan aérien. Notre-Dame des Landes permettrait ainsi d’aller dans ce sens.

Des études préalables sont menées, puis rapidement un grand débat public est organisé entre 2002 et 2003. Malgré une opposition importante au projet, estimant notamment qu’aucun autre scénario crédible n’avait été envisagé, les autorités estiment qu’un courant majoritaire se veut en faveur de la construction du nouvel aéroport.

En 2008, l’État signe la déclaration d’utilité publique, pour une plateforme aéroportuaire censée accueillir à terme neuf millions de passagers, pour un coût estimé de 581 millions d’euros. Deux ans plus tard, le législateur délègue le financement, la conception, la construction ainsi que l’exploitation de l’aéroport à la multinationale Vinci pour cinquante-cinq ans, avec une ouverture prévue initialement en 2017.

Une multiplication des acteurs à différentes échelles

Au fil des ans, le nombre d’acteurs impliqué dans le projet se démultiplie. Dès la relance en 2000, l’ADECA est réactivée et l’association citoyenne des populations concernées par le projet d’aéroport, l’ACIPA, est créée. Après le débat public de 2002-2003, de nouveaux collectifs s’impliquent à différentes échelles.

On peut par exemple citer le CéDpa, Collectif d’Élus Doutant de la Pertinence de l’Aéroport, qui regroupe divers bords politiques, l’ACIPRAN, Association Citoyenne Pour la Réalisation d’un Aéroport International sur le site de NDDL, entre autres soutenue par le Medef des Pays de la Loire ou encore le Syndicat Mixte Aéroportuaire, qui regroupait toutes les collectivités favorables au projet, ayant toutefois été dissout en 2018 après l’abandon de celui-ci.

Quels sont les arguments avancés dans le débat ?

Pour mieux comprendre quels enjeux recèlent le projet de plateforme aéroportuaire de Notre-Dame des Landes, faisons un point sur les arguments tenus en faveur et contre cet aménagement.

Un projet censé du point de vue de l’aménagement du territoire et de la croissance économique

Du côté des partisans, comme nous l’avons déjà abordé, on défend un enjeu économique, direct par la création de près de 4000 emplois pendant plus de trois ans avec la construction, et indirect par la contribution de l’infrastructure à la croissance économique de l’agglomération nantaise.

L’aéroport est aussi justifié par une logique d’aménagement du territoire, favorisant le rééquilibrage territorial comme dit plus tôt. De plus, le transfert de Nantes-Atlantique signerait la fin des nuisances sonores aux portes de Nantes.

Une infrastructure jugée non nécessaire et anachronique

Pour les opposants, le principal objet de débat sur le fond est la question de la nécessité d’un nouvel aéroport plutôt que d’un réaménagement de Nantes-Atlantique. L’argument de la saturation de l’aéroport est discutable, notamment en comparant avec un aéroport équivalent, comme celui de de San Diego, aux États-Unis, ayant une emprise inférieure à celui de Nantes mais dans lequel on recensait environ cinq fois plus de mouvements par an et de passagers.

La destruction de la zone humide a également beaucoup fait parler d’elle, France Inter ayant même publié un podcast le 27 juin 2016 intitulé Notre-Dame-des-Landes : la zone humide la plus étudiée de France.

Plusieurs naturalistes ont mis en évidence l’existence de plusieurs espèces protégées et réfute la compensation prévue dans le projet, rétorquant que l’on ne peut pas recréer une zone humide refuge pour la biodiversité et régulatrice de la ressource en eau comme celle de NDDL.

Le projet a aussi été remis en cause avec le contexte de crise économique et de transition énergétique qui fait émerger des doutes quant à la croissance des trafics aériens et quant à l’adéquation avec les Grenelles de l’Environnement, signés en 2007 et 2010, qui prévoient notamment la réduction d’artificialisation des espaces agricoles.

Une remise en cause de la logique de grands projets

Au-delà des arguments d’opposition sur le fond du projet, des militants s’opposent également à la logique de grands projets, certains utilisant notamment l’expression de Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII) pour les qualifier.

Les idées derrière ce qualificatif sont celles de projets hors-norme qui posent question sur leurs réponses à un besoin de la population et qui font souvent l’objet d’un passage en force par leurs promoteurs, sans réelle concertation au niveau local.

Aujourd’hui, de vastes mouvements de lutte existent contre ces projets et interrogent sur le fonctionnement de notre modèle écologique et social actuel qui favorise la concurrence et la métropolisation des territoires, c’est-à-dire l’accroissement de la taille et de la puissance des
métropoles, souvent au détriment de villes plus petites et des espaces ruraux.

La place grandissante des acteurs privés dans ces opérations d’aménagement est également source de critiques. En effet, la logique de Partenariat Public Privé (PPP) dans laquelle s’inscrit l’aéroport de Notre-Dame des Landes, prévoit que les coûts de conception et de réalisation soient pris en charge par une entreprise concessionnaire, ce qui permet à priori à l’Etat d’économiser de l’argent public.

Ces partenariats ont deux grands points noirs. Si l’aménagement n’est pas abouti ou n’est pas suffisamment rentable pour la compagnie, l’ensemble des coûts retombe sur les collectivités, et donc, sur les contribuables. Et, cette modalité constitue un frein à la concertation et à l’intérêt général puisqu’une entreprise a pour principal objectif de maximiser ses profits et très souvent, elle n’a pas d’intérêt à discuter avec la population locale.

Dans le cas de Notre-Dame des Landes, c’est une filiale de Vinci, Aéroports du Grand Ouest (AGO), qui a été missionné. Les nombreuses filiales des grandes entreprises complexifient la possibilité de dialogue et de remontée d’informations.

Un conflit d’aménagement au retentissement international

À la fin des années 2000, alors que le projet se concrétise, le conflit s’enlise entre les opposants et les forces de l’ordre. Des manifestations répétées et fortement médiatisées ont lieu dans les rues de Nantes, mais aussi à Paris avec des manifestants arrivant avec tracteurs et animaux dans la capitale.

Dans la ZAD, des agriculteurs entament une grève de la faim qui auraient duré un mois pour certains, et un an plus tard, le 11 mai 2013, entre 12 000 et 40 000 personnes forment une chaîne humaine pour protester contre la construction de l’aéroport sur le site de Notre-Dame des Landes.

Chaîne humaine le 13 mai 2013 autour de la ZAD, contre le projet d'aéroport - Jules78120 | CC BY SA 3.0
Chaîne humaine le 11 mai 2013 autour de la ZAD, contre le projet d’aéroport – Jules78120 | CC BY SA 3.0

L’opération Caesar, un tournant dans l’ampleur du conflit

À l’automne 2012, l’État lance l’opération Caesar pour évacuer les zadistes. L’intervention dura trois semaines et fit de nombreux blessés. Le président François Hollande demande le retrait des forces de l’ordre face à l’obstination des militants et l’excès de violence.

La médiatisation de l’événement fait passer le projet dans une toute autre dimension, attirant même le soutien d’agriculteurs et d’habitants aux quatre coins du pays et même d’Europe. En 2014, certains ont parcouru plus de 700 kilomètres pour venir manifester à Nantes.

Un référendum local qui ne règle pas les dissensions au gouvernement

Deux ans plus tard, le chef de l’État décide de lancer un grand référendum aux habitants de Loire-Atlantique avec comme question : « Etes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? ». 55 % des votants approuvent le projet de Notre-Dame des Landes.

Toutefois, les positions divergent au gouvernement : la ministre de l’Environnement Ségolène Royal demande l’abandon du projet alors que le gouvernement planifie une nouvelle évacuation de la ZAD.

Une médiation pour clore le dossier

En 2017, Emmanuel Macron est élu président et décide de nommer trois médiateurs pour trancher sur la question.

À la fin de l’année, Gérard Feldzer, ancien pilote de ligne et proche du ministre de la transition écologique Nicolas Hulot, Michel Badré, ingénieur membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et la préfète Anne Boquet se prononcent en faveur d’un réaménagement de Nantes-Atlantique.

Et, le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce le renoncement au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, plus de quarante ans après la création de la ZAD.

Un projet contesté et constestable

Dans une vision matérialiste, certes très simpliste mais ayant sa part de vérité, on peut dire qu’aucun aéroport fantôme n’a coûté aussi cher. En effet, Notre-Dame des Landes c’est aussi d’innombrables recours en justice, des études et rapports spécifiques, des interventions des forces de l’ordre et une indemnisation que l’État doit verser au concessionnaire. Vinci les chiffrait à 1,6 milliards d’euros mais le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande, sans qu’un accord n’ait été trouvé entre les deux parties sur la somme de cette indemnité.

Du point de vue de la recherche, la ZAD est une innovation sociale. Les sociologues, politologues et géographes notamment s’intéressent à comment y a émergé une convergence des luttes entre agriculteurs locaux, habitués des luttes anticapitalistes et simples résidents et quelle gestion peut se développer dans ce bocage de 1650 hectares.

Enfin, paradoxalement, l’aéroport de Notre-Dame des Landes n’a pas vu le jour mais a contribué à protéger la biodiversité de la ZAD par son poids médiatique et son caractère controversé.

Quelques liens et sources utiles

École normale supérieure de Lyon. (s. d.). Le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : les rebonds d’un aménagement conflictuel — Géoconfluences. 2002 Géoconfluences ENS de Lyon. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/territ/FranceMut/FranceMutDoc17.htm

Drouelle, F., Cosme, S., Chédebois, V., Cognard, F., Denantes, R., Teisseire, C., & Maisonobe, S. (2024, 16 septembre). Notre-Dame-des-Landes : naissance de la ZAD. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/affaires-sensibles-du-lundi-16-septembre-2024-2383197

Bolis, A. (2016, 10 décembre). Notre-Dame-des-Landes : l’histoire de « la plus vieille lutte de France » en 6 actes. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/02/18/notre-dame-des-landes-petite-histoire-de-la-plus-vieille-lutte-de-france_4868063_3244.html

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