C’est une question qui suscite depuis longtemps l’intérêt des historiens, des archéologues et des passionnés d’histoire. Les Vikings, explorateurs scandinaves du haut Moyen Âge, ont-ils atteint et exploré l’Amérique du Nord avant Christophe Colomb comme le suggérerait certaines études archéologiques ?
Nous allons explorer les récits historiques et théories à ce sujet, bien que certaines questions restent toujours sans réponse.
Les témoignages de la littérature
En 1705, le savant islandais Torfaeus publie la première étude complète sur l’histoire du « Vinland » – le « Pays du vin » – , qui est le nom par lequel les Vikings auraient désigné l’Amérique. C’est réellement au siècle suivant que des écrits sur la présence du peuple scandinave sur le Nouveau Continent voient le jour.
Un récit qui remonte au XVIIIe siècle
Un des ouvrages majeurs est celui du danois Carl Christian Rafn, publié en 1843 et traduit dans plusieurs langues, dont en français, qui s’intitule Mémoire sur la découverte de l’Amérique au dixième siècle. Celui-ci suscite un grand engouement, en particulier chez les américains, dont certains se lancent à une recherche passionnée de « reliques » vikings, ce qui donne lieu à nombre de supercheries.
Par exemple, à partir de l’ouvrage de Rafn, la « tour de Newport », dans l’État du Rhode Island, a longtemps été considéré comme un baptistère – soit un édifice religieux destiné à pratiquer le baptême chez les chrétiens – ayant été construit par des colons scandinaves, alors qu’il s’agissait d’un simple moulin à vent en ruine.
Beaucoup d’autres exemples de prétendus vestiges nordiques ont proliféré, certains allant jusqu’à faire douter les chercheurs, tel que la carte dite « du Vinland ». Il s’agissait d’une carte du monde confectionnée en vélin, censée dater d’environ 1440, qui montrait deux îles dans l’Atlantique Nord : le Groenland, ainsi que le Vinland. Ce document aurait vraisemblablement été élaboré au cours de la première moitié du XXe siècle.
Le Vinland en question
Dans la littérature du XIe siècle cependant, on retrouve des allusions au Vinland, sans savoir s’il s’agit du continent américain. Le géographe germanique Adam de Brême évoque la découverte du Vinland dans son écrit Histoire des archevêques de Hambourg :
« En outre, il [le roi Sveinn] mentionna encore une île que beaucoup ont découverte dans cet océan et qui s’appelle Vínland [quæ dicitur Winland] du fait que des vignes sauvages y poussent et donnent un excellent vin. Et il y a abondance de blé qui pousse sans semailles, ce qui n’est pas une affabulation, nous le savons de source danoise très sûre. »
Histoire des archevêques de Hambourg, Adam de Brême, XIe siècle
Adam de Brême a bien rencontré le roi danois Sveinn, mais son récit n’offre pas davantage de précisions. On trouve une meilleure description des expéditions et de la découverte du Vinland particulièrement dans deux sagas islandaises, datant probablement du XIIIe siècle.
Il s’agit de la Saga d’Eric le Rouge et de la Saga des Groenlandais. Depuis le milieu du XIXe siècle, celles-ci ont fait l’objet de nombreuses études critiques et la question de la valeur de vérité que l’on peut attribuer à ces récits restent discutables, puisque ces récits mêlent histoire et fiction.
La considération des sagas par les historiens a évolué depuis le XIXe siècle. Durant ce dernier, ils considéraient que ces histoires reposaient sur des faits tandis qu’au XXe siècle, ils y voyaient plutôt des compositions littéraires, pouvant de fait, romancer la réalité. Néanmoins, en analysant les deux récits, on retrouve de véritables éléments historiques, toujours sujets à controverse et difficiles à cerner.
Par exemple, la mention de la vigne et du blé sauvage est une réalité du Vinland puisque Adam de Brême l’évoquait lui-même dans le passage cité ci-dessus de son ouvrage, et au XVIe siècle, l’explorateur français Jacques Cartier voyait en remontant le fleuve Saint-Laurent du « blé sauuaige, qui a l’espy come seilgle et le grain conme auoyne » et « tant de vygnes chargez de raisins le long dudict fleuve ».
Les preuves archéologiques
Une découverte archéologique au cours des années 60 nous permet aujourd’hui d’affirmer la présence du peuple scandinave en Amérique du Nord : les vestiges d’un établissement viking sur le site de l’Anse aux Meadows, sur l’île de Terre-Neuve. Ceux-ci furent découverts et fouillés par le couple norvégien Helge et Anne Stine Ingstad.
Le site de l’Anse aux Meadows
Les constructions s’apparentent aux riches fermes d’Islande et du Groenland. Grâce à la méthode de datation au carbone 14, nous savons que le site fut occupé entre 990 et 1030, ce qui colle avec la chronologie des sagas.
La capacité d’accueil de l’installation est estimée à au moins 80 personnes. La présence de trois ateliers avec un fourneau qui servait à la fusion du minerai de fer ainsi que de copeaux de bois, de clous ou de scories de forge attestent d’une activité de réparation navale. De plus, l’absence de sépultures païenne ou chrétienne corrobore l’idée d’une occupation assez courte dans le temps.
Des questions qui subsistent
Si la présence viking sur le continent américain est une idée largement accepté, la question de ce qu’est précisément le Vinland reste en suspens aujourd’hui. En effet, il paraît peu vraisemblable que Terre-Neuve soit le Vinland puisque la péninsule n’abrite aucune vigne.
Également, il reste encore des débats concernant l’ampleur des voyages vikings en Amérique du Nord. Sont en question la durée de leur présence et leurs interactions avec les populations autochtones notamment. Certains chercheurs soutiennent que les Vikings sont allés explorer plus loin dans le continent nord-américain, tandis que d’autres pensent que leurs voyages étaient limités et sporadiques.
Ainsi, les Vikings ont bel et bien traversé l’Atlantique et foulés l’Amérique avant Christophe Colomb, sans que l’on puisse réellement se prononcer sur le fait qu’ils aient exploré le Nouveau Continent.
Quelques liens et sources utiles
Renaud, J. (2021). V. Les Vikings en Amérique ? Dans Perrin eBooks (p. 105‑121). https://doi.org/10.3917/perri.petit.2021.02.0105
Vignaud, H. (1910). Les expéditions des Scandinaves en Amérique devant la critique. Un nouveau faux document. Journal de la Société des Américanistes, 7(1), 85‑116. https://doi.org/10.3406/jsa.1910.3572