Le 22 août 2024, une nouvelle loi a été proclamée par les talibans en Afghanistan. De nouvelles sanctions sont ainsi apparues, venant interdire aux femmes de chanter, lire à voix haute et même parler en public.
Bien que dramatique, cette mesure n’est pas étonnante. Elle n’est en effet qu’un exemple supplémentaire de la série de restrictions imposées depuis le retour des talibans au pouvoir en 2021, qui ont plongé les femmes dans un état d’exclusion sans précédent.
En parallèle, les sanctions économiques internationales, destinées à faire pression sur le régime, ont paradoxalement contribué à aggraver la crise humanitaire qui frappe l’ensemble du pays, à commencer par les femmes.
Déjà privées de leurs droits fondamentaux, les Afghanes se retrouvent aujourd’hui de fait confrontées à une double peine : celle d’un régime oppressif et celle d’un système de sanctions qui accentue leur précarité, les faisant apparaître comme les premières et principales victimes de cette situation. Zoom sur les conséquences tragiques de ces sanctions.
Sanctions, crise économique et appauvrissement croissant des Afghanes
Ce n’est un secret pour personne, les sanctions économiques imposées à l’Afghanistan ont gravement endommagé l’économie du pays. Il faut aussi dire que geler les actifs de la Banque centrale afghane à l’étranger et suspendre les aides au développement a été aussi radical qu’efficace dans cet objectif. Le problème, c’est qu’en faisant cela, les dirigeants internationaux n’ont pas fait réellement pression sur les talibans comme ils le souhaitaient, mais bien sur la population.
En rendant vulnérable le pays à la précarité économique, les politiques ont ainsi aggravé des conditions de vie déjà précaires, notamment pour les femmes.
À exacerber la crise économique, les sanctions ont en effet davantage réduit les possibilités pour les femmes de participer à des activités génératrices de revenus. Alors que la majorité des emplois féminins dans les secteurs public et privé, notamment dans l’éducation, la santé et les ONG, ont été supprimés par les talibans, les sanctions internationales se sont quant à elles chargées d’entraîner la fermeture des dernières organisations humanitaires et entreprises qui acceptaient d’employer les femmes.
Par conséquent, ces dernières sont obligées de se tourner vers des métiers informels, comme le tissage, la couture ou la vente ambulante, où les conditions de travail sont précaires, mal rémunérées et ne comprennent évidemment pas de protection sociale. Certaines femmes se retrouvent donc littéralement dans des situations de survie pour protéger le peu d’indépendance qu’il leur reste.
Réduction de l’aide humanitaire : une survie féminine incertaine
Si les femmes sont autant en difficulté en Afghanistan, c’est aussi parce que le gel des fonds internationaux et les sanctions financières rendent difficile le fonctionnement des ONG et des agences d’aide internationale, qui sont pourtant cruciales pour la survie de millions d’Afghans, en particulier des femmes et des enfants.
En bloquant l’envoi d’argent vers l’Afghanistan, les dirigeants internationaux ont effectivement contraint nombre d’ONG à réduire, voire à arrêter leurs opérations. De manière concrète, le budget du Plan d’intervention humanitaire (HNRP) pour 2023 a subi un déficit important, manquant près de 2,96 milliards de dollars par rapport à son objectif initial. En cause, un retrait de financement de la part de pays donateurs majeurs, comme le Royaume-Uni, qui a réduit son aide à l’Afghanistan de 76 %, et l’Allemagne, qui a diminué ses contributions de 93 %.
Le problème, c’est que cela nuit directement à l’autonomisation des femmes. Certains programmes d’ONG, comme l’Afghanistan Women’s Empowerment Program (AWEP), visent par exemple à aider directement ces dernières, en leur offrant des formations professionnelles ou des cours d’alphabétisation. Seulement, sans financements, les organisations ont du mal à fournir l’aide essentielle dont les femmes ont pourtant cruellement besoin, notamment dans les zones rurales.
Santé maternelle en danger : une mortalité en hausse avec les sanctions
S’il y a bien un domaine plus impacté que les autres par la crise économique et les sanctions internationales, c’est la santé. Qu’elle soit maternelle, reproductive ou infantile, la santé des femmes est clairement mise à rude épreuve en Afghanistan.
En effet, à cause des sanctions, les hôpitaux reçoivent moins de fonds, et ont donc plus de difficultés à fournir les soins adéquats. C’est d’autant plus dramatique pour les femmes afghanes enceintes, qui, à cause du manque de médicaments, d’équipements et de personnel médical qualifié, risquent des complications pouvant aller jusqu’à la mort dues au non-suivi médical de leur grossesse. Alors que 100 000 mères meurent chaque année en Afghanistan pendant leur grossesse ou leur accouchement, les sanctions ne viennent qu’accroître le risque que les services de santé reproductive se réduisent ou ferment.
Exclusion des femmes de l’éducation : un avenir compromis par les sanctions
L’éducation est également un domaine impacté par les sanctions internationales. Si ces dernières ne sont pas responsables de la fermeture des écoles secondaires pour les filles dans la majorité du pays, elles rendent toutefois bien plus difficile la réouverture ou le maintien des rares établissements scolaires qui peuvent encore fonctionner sous forme de financement privé ou humanitaire.
Or, si les femmes afghanes sont exclues de l’éducation, elles ne peuvent pas se donner les clés de leur autonomie économique et sociale. L’éducation leur est pourtant indispensable pour pouvoir améliorer significativement leur condition.
Ainsi, l’annulation de nombre de programmes d’alphabétisation et de formation pour adultes faute de fonds est regrettable. En empêchant les femmes afghanes de se former aux compétences professionnelles ou artisanales, les sanctions internationales deviennent donc presque aussi répressives que les talibans dans le domaine éducatif.
Les droits des Afghanes menacés par la hausse des mariages forcés et des violences
Du fait de la dégradation des conditions économiques et du manque de perspectives futures pour les femmes, nombre de familles afghanes en viennent à recourir à des mariages forcés ou précoces. En 2021, on estimait ainsi à 28 % le nombre des femmes afghanes âgées de 15 à 49 ans mariées avant l’âge de 18 ans pour permettre à leur famille d’obtenir une dot et de réduire le nombre de bouches souvent très important à nourrir.
Si le mariage forcé n’est pas nouveau en Afghanistan, il a en revanche explosé depuis le début de la crise économique dans le pays. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les sanctions internationales n’arrangent pas la situation.
Au-delà de l’augmentation des mariages forcés, il y a aussi en Afghanistan l’augmentation des violences domestiques. Un phénomène lié en partie à la pauvreté, et au désespoir et à l’incertitude qui en découlent.
La situation est d’autant plus dramatique que les femmes afghanes se retrouvent de plus en plus sans recours, car les réseaux de soutien et les abris pour femmes victimes de violence deviennent de plus en plus rares à cause des restrictions et de la diminution des financements étrangers.
Repenser les sanctions pour redonner espoir aux femmes afghanes
Pour résumer, les sanctions économiques imposées à l’Afghanistan ont un impact disproportionné sur les femmes. En plus d’être opprimées par les politiques misogynes des talibans, ces dernières se retrouvent en effet privées d’éducation, d’opportunités économiques et d’accès à des services essentiels comme la santé ou l’aide humanitaire.
Leurs droits fondamentaux sont ainsi systématiquement violés, et les sanctions économiques, bien qu’ayant pour objectif de faire pression sur le régime taliban, ne font qu’exacerber la souffrance des femmes afghanes en détruisant les infrastructures sur lesquelles elles comptaient pour s’autonomiser.
Il semble ainsi plus que nécessaire de redéfinir la nature des sanctions internationales, afin que celles-ci cessent de porter davantage atteinte à la population qu’aux talibans.
Quelques liens et sources utiles :
Isabella Damiani, Géopolitique de l’Asie centrale: Entre Europe et Chine : le coeur de l’Eurasie Broché, Evergreen, 2013
Célia Cuordifede, Ceux qui restent : En Afghanistan, au Liban, au Sénégal, au Guatemala, en Tunisie, Editions du Rocher, 2023