« Ceux qui aimeront la beauté naturelle de ce sommet, ne pourront croire que cette montagne est maudite parce qu’elle a abrité l’enfer des hommes libres »
Léon Boutbien, matricule 4463, résistant-déporté français NN (Nacht und Nebel, terme allemand pour désigner les déportés « Nuit et Brouillard »)
Le Konzentrationslager Natzweiler ou plus connus en France sous le nom du « camp du Struthof » est l’unique camp de concentration nazi mis en place sur le territoire de français et plus précisément en Alsace annexée.
À partir du 1er mai 1941, le camp du Struthof est prêt à recevoir les premiers détenus.
Les origines du camp KL Natzweiler en France
Le 22 juin 1940, l’armistice entre la France et le IIIe Reich est signé, mettant fin à la « Drôle de guerre ». L’Allemagne nazie, victorieuse, occupe la partie nord du territoire français. Cependant, le sort de l’Alsace et de la Moselle reste incertain. De ce fait, ces départements sont annexés par l’Allemagne.
Le 10 septembre 1940, Karl Blumberg, un officier SS et géologue, découvre un filon de granite rose sur le Mont Louise, situé près du village de Natzweiler. L’exploitation de ce filon représenterait un bénéfice considérable pour l’économie du IIIe Reich. Ainsi, la décision est prise de construire un camp de concentration à proximité de la carrière d’exploitation. Situé à environ 1 km de la carrière de granite, au lieu-dit « le Struthof », un camp commence à être édifié.
Autrefois, une station de ski prisée des touristes, avec une auberge, une ferme, une villa privée et un bâtiment en face de l’auberge servant aux réceptions et aux bals, est réquisitionnée par les Allemands. Le camp devient fonctionnel à partir du 1er mai 1941, et les premiers détenus y sont enfermés dès le 21 mai. Ils sont contraints de travailler à l’aménagement du camp et à la carrière de granite.
Josef Kramer, Hauptsturmführer de 39 ans, devient le commandant du KL entre 1942 et 1944.
La disposition du camp en fait un engrenage mortel particulièrement efficace. Situé sur une pente à 20 %, les 17 baraques sont alignées les unes à côté des autres, avec en leur centre la place d’appel où se déroulaient les longs et interminables appels du matin et du soir. Les détenus arrivaient par le haut du camp et descendaient progressivement jusqu’à se retrouver, inévitablement, confrontés au four crématoire situé dans un bâtiment tout en bas du camp.
Le camp était entouré d’un réseau de barrières en fils barbelés électrifiés, avec des miradors équipés d’immenses projecteurs balayant l’enceinte du camp pendant la nuit. La kommandantur, située à environ 500 mètres à l’extérieur du camp, était installée dans une villa privée, construite par de riches Strasbourgeois et réquisitionnée. Une piscine et un jardin fleuri, entretenus par les détenus, s’y trouvaient également.
Les détenus du camp KL Natzweiler
Le camp enferme 52 000 détenus jusqu’en 1945. Jusqu’en 1942, le camp était dit « fermé » : il ne pouvait recevoir que des prisonniers provenant d’autres camps de concentration. Par la suite, il devient « ouvert », c’est-à-dire que les détenus pouvaient être transférés directement depuis des prisons ou à la suite d’arrestations menées par la Gestapo sur l’ensemble du territoire européen.
Les premiers détenus internés dans le camp de concentration sont principalement des Allemands, détenus de droit commun, « asociaux », Tziganes, opposants politiques, etc. À partir de 1942, des détenus soviétiques arrivent dans le camp, parce qu’ils sont soviétiques ou en tant que prisonniers de guerre capturés sur le front de l’Est. On y trouve également des Polonais, des Tchèques, des Alsaciens et des Lorrains.
En 1943, des résistants commencent à y être enfermés, venant d’autres camps de concentration ou prisons européennes. En juin 1943, le premier convoi de détenus Nacht und Nebel arrive au camp. Ces détenus portent ce nom en référence au décret Keitel du 7 décembre 1941. Leur sort ne doit être connu de personne, et ils ne doivent en aucun cas être en contact avec le monde extérieur au camp. Aucune information sur ces « nuit et brouillard » ne doit être communiquée.
Les premiers Français arrivent dans le camp les 9, 12 et 15 juillet 1943. Ils sont identifiés par le symbole « NN » inscrit sur le dos de leur uniforme.
Une autre catégorie de détenus est constituée par les Juifs, déportés parce qu’ils étaient Juifs ou parce qu’ils étaient résistants. Ils représentent 11 % des détenus du camp. Ils viennent pour la majorité de Hongrie et de Pologne et sont affectés dans les camps annexes.
Le 5 octobre 1942, tous les Juifs du camp du Struthof sont transférés vers Auschwitz, et ce jusqu’en 1943. En revanche, des déportés juifs sont acheminés vers Natzweiler dans l’objectif de servir de cobayes pour des expériences médicales. Un va-et-vient est organisé : le dilemme nazi consiste à rendre Judenfrei les territoires du Reich tout en faisant venir des Juifs des camps plus à l’Est pour répondre à un besoin de main-d’œuvre en 1944.
Les prisonniers sont acheminés par la gare de Rothau, d’où ils sont emmenés en camions ou à pied dans le camp après un long périple, épuisant et affamant. Ils sont ensuite forcés de se déshabiller, douchés, rasés. Une fouille au corps est pratiquée, puis ils sont badigeonnés de crésyl, un produit ménager chimique utilisé pour désinfecter les toilettes et les cuisines.
Ils reçoivent un uniforme rayé et des galoches en bois (pour les Kommandos de travail) ; les autres détenus sont vêtus de vêtements civils. Ils se voient attribuer un numéro de matricule et un triangle distinguant leur catégorie de détenu. Les prisonniers sont déshumanisés et ne répondent plus qu’à l’appel de leur matricule.
La vie quotidienne au sein du KL
La journée des détenus était rythmée par la violence, les brimades, les tortures et le sadisme des kapos et des SS. L’appel du matin débutait à 4 heures, et à 5 heures en hiver, sous des températures pouvant frôler les -15 degrés. Les détenus, vivants et morts, étaient appelés sur la place d’appel entre les baraquements. Forcés de rester debout, silencieux, dans le froid, après avoir dû se « laver » à l’eau glacée, ces appels se transformaient en séances de torture collective pouvant se prolonger jusqu’à 12 heures.
La journée, les détenus étaient forcés de travailler dans des Kommandos de travail. La devise des SS, « Arbeit macht frei » (le travail rend libre), était appliquée dans toute son inhumanité. Parmi les Kommandos, on retrouvait :
- La construction, pour réaliser les blocs, terrasses, canalisations et barbelés.
- La « cave à pommes de terre », construite sous terre sur une longueur de 115 mètres.
Les détenus affectés à ces tâches subissaient régulièrement les coups des kapos et les morsures des chiens des SS.
« Quelques-uns des Français qui avaient de la peine à se tenir debout car leurs molets avaient déchirés par les chiens et les chairs pendaient en lambeaux. J’ai vu ainsi un Français étendu par terre, les pieds déchirés, les os du talon à nu, sans aucun pansement »
Natzweiler-Struthof, Histoire d’un camp de concentration en Alsace annexée 1941-1945, Robert Steegmann.
D’autres kommandos, moins pénibles sont également en action : entretien, jardinage, services divers… Dans l’objectif de faire tourner l’industrie de guerre, des kommandos extérieurs sont également crées.
Les détenus sont forcés de travailler à l’extérieur du camp. Ils ne logent pas dans le camp principal et sont amenés à pied sur le lieu de travail. Ces camps annexes sont nombreux.
Les punitions et la hiérarchie
La vie des détenus était régie par un code strict, inspiré de celui du camp de Dachau, et toute infraction, même minime, était sévèrement punie. Les SS imposaient une hiérarchie brutale, et les punitions étaient administrées avec un sadisme extrême :
- Cages : Les peines les plus sévères consistaient à enfermer les détenus dans des cages étroites, dans le noir total, sans possibilité de s’asseoir ou de se tenir debout correctement.
- Bastonnade : Le détenu, installé sur un chevalet, recevait un nombre précis de coups de fouet à compter à haute voix. S’il perdait connaissance ou se trompait, les coups recommençaient à zéro.
- Prison : Les peines allaient de 3 à 42 jours dans des conditions inhumaines : surpeuplement, manque d’hygiène et de nourriture.
Les conditions naturelles et le taux de mortalité
Le camp, situé sur un pan du Mont Louise, rendait tous les déplacements extrêmement difficiles. Même aujourd’hui, la visite du camp reste éprouvante en raison de l’altitude, du froid et du vent. À ces conditions naturelles s’ajoutaient la faim et les mauvais traitements, transformant chaque jour en un combat pour la survie.
Les détenus, affaiblis, ne se déplaçaient plus comme des êtres humains, mais comme des créatures courbées par la souffrance. Le taux de mortalité était alarmant :
- La durée de vie moyenne ne dépassait pas six mois.
- 40 % des détenus mouraient dans le camp.
- En 1944, ce chiffre atteignait 10 % par mois.
Les exécutions et le crématoire
Des exécutions sommaires orchestrées par la Gestapo avaient lieu à la Sablière ou au crématoire. Près de 300 personnes non détenues furent assassinées dans ces lieux.
- En mai 1942, une famille de six personnes, dont un enfant de moins de 3 ans, fut tuée.
- En 1943, 24 personnes furent exécutées.
- En 1944, les fusillades devinrent quasi quotidiennes.
Le 6 juillet 1944, quatre femmes résistantes membres du SOE furent tuées par injection de phénol avant d’être incinérées. Jusqu’en février 1943, les corps étaient incinérés à Strasbourg, mais un four crématoire fut ensuite acheminé et installé dans le camp. Les cendres des détenus non réclamées étaient déversées dans la fosse d’aisance ou utilisées comme engrais pour le Kommando de jardinage.
Un revier est mis en place à partir de 1942. Cependant, l’existence de ces baraquements médicaux n’a aucun objectif de guérir ou de prendre soin des détenus admis dans ce secteur. L’objectif principal était de préserver la main-d’œuvre essentielle à l’économie du Reich. En 1944, on dénombrait six blocs dédiés à la médecine : chirurgie, médecine générale, traitement des tuberculeux et des typhiques.
Malgré le manque de traitements et d’hygiène, environ un quart des détenus du camp fut admis au revier en 1944. Ce sont les détenus ayant une formation médicale qui, avec des moyens rudimentaires, se débrouillaient tant bien que mal pour soigner les patients admis. « Une véritable pathologie de la charogne » s’est développée, explique le docteur Léon Boutbien.
Les expériences médicales dans le camp, l’abomination scientifique
Grâce à la création, le 23 novembre 1941, de la Reichuniversität de Strasbourg, des chercheurs aux opinions politiques nazies ambitionnaient de révolutionner la recherche scientifique. Ils mirent la science au service de l’horreur, transformant le camp de concentration en un lieu privilégié pour les expérimentations médicales.
L’anatomiste August Hirt fut l’un des principaux responsables de ces expériences. Dès 1942, il testa le gaz moutarde sur des détenus, provoquant des brûlures graves sur la peau des cobayes vivants.
Le camp de concentration se dota également d’une chambre à gaz, située dans un bâtiment jouxtant l’auberge en contrebas. Les chercheurs avaient pour projet de créer une collection anatomique d’une « nouvelle race ». Ainsi, des détenus furent sélectionnés au camp de Birkenau, puis acheminés au KL Natzweiler début août 1943. Entre le 11 et le 19 août 1943, 57 hommes et 30 femmes, principalement juifs et Tziganes, furent gazés au cyanure par le commandant Kramer. Leurs corps furent transportés à la faculté d’anatomie pour y être étudiés, disséqués et conservés. Cette opération, tenue secrète, ne fut entièrement révélée qu’en 2003, lorsque les noms des victimes furent identifiés. La chambre à gaz du camp servit ainsi à des fins médicales, et non d’extermination massive, selon la logique des administrateurs nazis.
Un autre scientifique, Otto Bickenbach, utilisa cette chambre pour tester le gaz phosgène sur des détenus de droit commun et des Tziganes. Les scientifiques impliqués dans ces expériences étaient des spécialistes reconnus, mais ils mirent en place, dans le KL Natzweiler, une véritable entreprise criminelle sous couvert de science.
En septembre 1944, à l’approche des forces alliées, les autorités SS évacuèrent le camp principal et dispersèrent les prisonniers dans les sous-camps, qui furent démantelés en mars 1945. La majorité des détenus fut contrainte de participer à des marches de la mort, parcourant de longues distances dans des conditions extrêmement brutales, en direction du camp de Dachau, au sud de l’Allemagne.
Quelques liens et sources utiles
Robert Steegmann, « septembre 1944 : il faut évacuer le camp de Natzweiler », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, nos 46-2, 2014