L’histoire de la France dans le Tournoi des Six Nations

L'intégration en 1910 de l’équipe de France dans le Tournoi des Six Nations, marque une étape importante de l'histoire de cette compétition dont les origines sont largement méconnues du grand public.
Tournoi des Six Nations 2014, France-Irlande, Stade de France I Cangadoba, CC BY-SA 3.0
Tournoi des Six Nations 2014, France-Irlande, Stade de France I Cangadoba, CC BY-SA 3.0

Sommaire

Le Tournoi des Six Nations qui a lieu annuellement en février ou mars depuis 1883 est l’un des événements les plus attendus du monde du rugby.

Désignant la compétition qui organise les rencontres annuelles entre les sélections nationales de la France, l’Irlande, l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Italie, le tournoi rassemble chaque année un nombre grandissant de téléspectateurs à travers le monde. Mais comment cet événement si important pour le rugby mondial est-il né ?

Un développement progressif du rugby

Le développement du rugby dans les universités britanniques au milieu du XIXème siècle, sujet abordé dans l’article : L’histoire captivante du rugby : des origines antiques aux universités anglaises, permet progressivement en Grande-Bretagne puis en Irlande la formation de clubs puis de sélections nationales. En 1883, est créé le « British Home Championship » qui devient ensuite le « Home Nations Championship » ou Tournoi des Quatre Nations qui rassemble les équipes de rugby de l’Angleterre, de l’Irlande, du Pays de Galles et ֤de l’Écosse.

La création un peu plus tardive de clubs français vers 1880 permet quelques années plus tard la constitution d’une sélection nationale. Après le premier match officiel entre la France et l’Angleterre en 1903, une rencontre annuelle est organisée fin 1909 entre les Français et les Gallois, les Irlandais et les Écossais. La France est enfin admise en 1910 au Tournoi des Cinq Nations.

Un premier tournoi pas brillant

Le premier match des Cinq Nations a lieu à Swansea le 1er janvier 1910 entre le Pays de Galles et la France.

La sélection française est loin d’être professionnelle contrairement à ses adversaires : les joueurs travaillent souvent à côté et doivent se libérer lors des grandes rencontres. Ainsi quelques heures avant de prendre le train qui doit emmener les joueurs en terre galloise, un pilier doit être trouvé. La Commission du rugby trouve ainsi Joe Anduran, joueur de rugby au club parisien du SCUF (Sporting Club Universitaire de France), alors à son travail en train de vendre des tableaux.

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L’équipe de France de Rugby avant le match du Tournoi des Cinq Nations contre l’Angleterre le 3 Mars 1910, au Parc des Princes à Paris I Domaine Public

Les équipements des joueurs français sont également modestes. Ainsi, avant le match, les joueurs doivent chausser de simples souliers montants alors que les Gallois sont tous équipés de bottines à crampons.

L’entame du match est bonne pour les Français qui sont menés simplement d’un essai transformé à la mi-temps. Mais ces derniers, sûrement pas conditionnés à la longueur des rencontres, s’effondrent à la reprise. Le jeu des Français s’avère en réalité bien inférieur au jeu gallois avec notamment des phases de mêlées où les avants tricolores sont écrasés. Les Français finissent par s’incliner 49-14.

Ainsi, la presse britannique ne tarit pas de critiques à l’égard de la sélection française :

« Bien que le football français s’améliore, il s’écoulera du temps avant qu’il puisse figurer avec quelques succès dans le concert international du football-rugby ». (Le Football Post)

Les autres rencontres du tournoi s’achèvent malheureusement toutes par des défaites dont un 27-0 contre l’Écosse à Edimbourg.

Une première victoire française dans le Tournoi des Cinq Nations

L’édition suivante de 1911 voit la première victoire française. En effet, les Français battent à domicile les Écossais 16-15 dans un stade de Colombes bouillonnant dans lequel les Tricolores doivent leur victoire grâce à un sauvetage de dernière minute.

En effet, alors qu’il ne reste que quelques minutes, les Écossais menés d’un point enchaînent les assauts sur la défense française. Soudain, une percée est faite et l’ailier écossais Sutherland fonce tout droit vers les en-but français sans aucun défenseur devant lui. Mais à ce moment, le trois-quarts français Failliot, venant de l’aile opposée, traverse toute la largeur du terrain et renverse l’Écossais juste avant la ligne d’en-but.

Le public français venu en nombre exulte, la France tient sa première victoire dans le Tournoi des Cinq Nations et les vainqueurs sont portés par la foule. Malgré cet exploit, les autres rencontres du XV de France s’achèvent toutes par des défaites.

À cette période, de nouvelles équipes du championnat français émergent : après Bordeaux, Toulouse, Racing, Stade Français, des clubs comme Lyon, Perpignan, Tarbes, Bayonne se développent. Ainsi, 6 équipes différentes s’affrontent dans les 3 finales du championnat français entre 1912 et 1914. Cela est bénéfique pour le XV de France qui dispose d’une grande diversité de joueurs à sélectionner.

Des interruptions notables du tournoi aux moments des guerres mondiales

Le tournoi de 1913 donne lieu à des incidents regrettables avec des spectateurs français. Ainsi, lors du match France-Écosse, des décisions jugées en défaveur de l’équipe française poussent certains spectateurs à tenter d’agresser l’arbitre qui se voit protégé par les joueurs. À la fin du match, les Écossais ne veulent plus jouer avec les Français.

Cependant la Première Guerre mondiale ne permet pas de sanctionner cet incident car le Tournoi des Cinq Nations est suspendu pendant le conflit en raison de la mobilisation d’un certain nombre de joueurs. Pendant la durée du conflit, le XV de France perd ainsi 23 joueurs et cela est de même côté britannique : 39 pour l’Écosse, 26 pour l’Angleterre, 10 pour le Pays de Galles et 9 pour l’Irlande.

Le Tournoi des Cinq Nations reprend en 1920 à la suite des accords de paix de 1919. L’Angleterre et l’Ecosse dominent les éditions de cette décennie nommée « Les Années folles » entre 1920 et 1930. Le XV de la Rose y remporte ainsi 6 éditions dont 4 Grands Chelems (terme désignant une équipe qui remporte toutes ses rencontres) et le XV du Chardon gagne 4 fois avec un premier Grand Chelem en 1925. Malgré sa 2ème place en 1921 et 1930, la France connaît une période difficile marquée par un enchaînement de défaites important.

Mais le pire est à venir car, en 1930, une scission a lieu au sein de la fédération entre la F.F.R et un groupe de clubs qui fonde un championnat dissident : l’U.F.R.A. Cela prive le XV de France de la moitié de ses joueurs pour le tournoi. Le XV de France finit malgré cela 2ème derrière le Pays de Galles qui écrase les Tricolores 35 à 3.

La division entre la F.F.R (Fédération Française de Rugby) et l’U.F.R.A (Union Française du Rugby Amateur) entraîne l’exclusion de la France du tournoi à partir de 1932 car la fédération britannique estime que le principe d’unité, qui est primordial dans l’esprit du rugby, n’est pas respecté pour ce championnat français scindé en deux.

Une réconciliation a cependant lieu et l’U.F.R.A est dissoute en 1932. Mais la France n’est pas réintégrée dans le tournoi et les relations restent rompues avec les Britanniques.

Le Rugby League, association promouvant le développement du Rugby à XIII, profite de cette période pour s’implanter en France. Un match treiziste a lieu entre l’Angleterre et l’Australie au stade Pershing à Paris le 31 décembre 1933 et attire quelque 20 000 spectateurs. Une part importante d’anciens joueurs du rugby à XV passent au rugby à XIII dans les années suivantes.

En 1939, les Britanniques posent comme ultimatum à la réintégration de la France dans le tournoi, la suppression du championnat de France. La décision est prise par le Congrès par 315 voix contre 154. Un match France-Angleterre a lieu le 25 février 1940 et les Français sont sèchement battus 36 à 3.

Mais la guerre reprend et le Tournoi des Cinq Nations est de nouveau suspendu pendant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale. Pendant cette période, le Régime de Vichy dissout la ligue de rugby à XIII, à la demande de membres de la F.F.R bien placés. La reconversion du XIII vers le XV pour certains joueurs est compliquée comme l’illustre Jean Dauger qui est interdit d’équipe de France pendant plusieurs années.

La renaissance du XV de France dans l’après-guerre

Les rencontres internationales reprennent progressivement à la fin de la guerre avec le début de la construction européenne. Le 22 décembre 1945, le Pays de Galles affronte la France et cette dernière s’impose 10 à 0. Les Français remportent également la rencontre contre l’Irlande en janvier 1946 par un score de 4 à 3.

Le Tournoi des Cinq Nations reprend en 1947 et voit une forte domination de la sélection irlandaise qui gagne la compétition en 1948, 1949 et 1951.

trophée remis au vainqueur annuel du match entre l'angleterre et l'Écosse i jacastro7, cc by sa 4.0
Trophée remis au vainqueur annuel du match entre l’Angleterre et l’Écosse I JaCastro7, CC BY-SA 4.0

Cependant, le XV de France évolue fortement dans l’après-guerre. En effet, sous la présidence à la F.F.R de René Crabos, grand théoricien du rugby français, l’équipe de France rayonne et obtient en 1954 la 1ère place à égalité avec l’Angleterre et le Pays de Galles. L’année suivante, elle réitère cet exploit avec la 1ère place à égalité avec le Pays de Galles.

La France remporte enfin le tournoi par un Petit Chelem (au moins une défaite ou un nul) pour la 1ère fois en 1959 sous la direction de Lucien Mias. Les Français dominent le tournoi et terminent premiers dans les années suivantes en 1960, 1961 et 1962 emmenés par leur capitaine François Moncla. La France remporte son premier Grand Chelem en 1968.

L’équipe de France réalise un autre Grand Chelem en 1977 avec de talentueux joueurs dont le capitaine Jacques Fouroux en demi de mêlée, Jean-Pierre Romeu à l’ouverture et Jean-Pierre Rives en troisième ligne.

Les années 1986 à 1989 permettent également la victoire du XV de France sous la houlette de l’entraineur et ancien joueur Jacques Fouroux, avec un vivier de joueurs remarquables comme Berbizier, Charvet, Sella, Blanco. Plusieurs actions rentrent dans la légende à cette époque dont l’essai aux mille passes de la France contre l’Irlande en 1986 ou l’interception de Phillipe Sella qui marque un essai de 60 mètres en 1987 contre l’Angleterre et renverse le match.

Le passage au XXIème siècle permet à l’Italie de rejoindre le Tournoi en 2000 et de former ainsi le Tournoi des Six Nations. Cette équipe italienne montante démarre très bien la compétition en battant dès la première édition l’Écosse 34 à 20 à Rome mais les éditions suivantes l’amènent à perdre 18 fois l’ensemble de ses rencontres. Toutefois, la victoire de l’Italie au Pays de Galles en 2022 et ses bonnes performances en 2024 sont signes d’une montée en puissance de la sélection italienne.

Depuis l’an 2000, la France gagne à 6 reprises le Tournoi des 6 nations dont 4 fois en faisant le Grand Chelem en 2002, 2004, 2010 puis 2022. Cela porte à 10, le nombre de Grands Chelems remportés derrière l’Angleterre (13) et le Pays de Galles (12) depuis la création du tournoi.

La France qui a fini 2ème dans les 4 des 5 dernières éditions sera-t-elle capable de gagner l’édition de 2025 avec la génération talentueuse de joueurs portés par leur inarrêtable capitaine Antoine Dupont ?

Quelques spécificités du Tournoi des Six Nations

Évoquons les quelques particularités du Tournoi des Six Nations :

  • Les équipes participantes sont surnommées des appellations suivantes : le XV de la Rose pour l’Angleterre, le XV du Chardon pour l’Écosse, le XV du Poireau pour le Pays de Galles, le XV du Trèfle pour l’Irlande, la Squadra Azzura pour l’Italie et le XV de France.
  • Une année sur deux, chaque équipe se déplace 3 fois à l’extérieur pour recevoir 2 fois à domicile. Cela est inversé l’année suivante avec 2 déplacements à l’extérieur à 3 matchs à domicile.
  • Un Grand Chelem désigne le fait pour une équipe de gagner tous ses matchs tandis qu’un Petit Chelem se produit quand l’équipe qui remporte le tournoi est défaite au moins une fois.
  • La cuillère de bois indique le fait pour une équipe de perdre tous ses matchs.

Des trophées sont remis pendant le tournoi pour chaque rencontre entre deux nations, nous pouvons en lister quelques-uns :

  • La Calcutta Cup est le trophée qui récompense le vainqueur de la rencontre Ecosse et l’Angleterre. Il s’agit du plus ancien trophée du rugby car il est remis depuis 1879.
  • La Triple Couronne récompense depuis 1891 le vainqueur des rencontres pour les équipes britanniques.
  • La France se dispute chaque année des trophées dont le Trophée Eurostar avec l’Angleterre, le Trophée Auld Alliance avec l’Ecosse et le Trophée Garibaldi avec l’Italie.

Quelques liens et sources utiles

Robert Poulain, Le rugby, Presses universitaires de France, 1975

Jean-François Gleymann, Le rugby, Organisation EdsD’, 2011

Henri Garcia, Fabuleuse histoire du rugby, MARTINIERE BL, 2013

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