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Pablo Picasso : faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

Découvrez comment l’adulation continue de Pablo Picasso contraste avec les difficultés à critiquer ses aspects les plus sombres.
« Guernica », de Pablo Picasso, exposé au Musée de la Reine Sofia, à Madrid (2010) - Pedro Belleza | Domaine public.
« Guernica », de Pablo Picasso, exposé au Musée de la Reine Sofia, à Madrid (2010) – Pedro Belleza | Domaine public.

Pablo Picasso, souvent considéré comme un véritable génie, est sans doute l’artiste le plus célèbre et le plus étudié au monde. Ses œuvres atteignent des prix astronomiques, culminant à plus de 142 millions d’euros pour Les Femmes d’Alger (Version O).

Les femmes occupent d’ailleurs une place centrale non seulement dans ses créations, mais aussi dans sa vie personnelle, souvent de manière trouble. Qualifié de « personnage misogyne », « artiste pervers » ou encore « homme violent », il soulève une question complexe et récurrente : faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

La naissance de l’artiste

Pablo Picasso, né le 25 octobre 1881 à Málaga en Espagne, est sans conteste l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire de l’art. Très jeune, il montre des aptitudes exceptionnelles pour le dessin et la peinture, un talent nourri par son père, professeur de dessin.

À l’âge de 14 ans, il est admis à l’École des beaux-arts de Barcelone, marquant ainsi le début d’une carrière fulgurante qui le propulsera au sommet de la scène artistique mondiale.

Portrait de Pablo Picasso, 1908 - Anonyme | Domaine public.
Portrait de Pablo Picasso, 1908 – Anonyme | Domaine public.

Mais ce n’est pas simplement par son habileté technique que Pablo Picasso se distingue ; c’est par sa capacité à remettre en question les conventions établies et à redéfinir les frontières de l’art.

À travers son œuvre, il a non seulement capturé l’essence de son époque, mais a également révolutionné la manière dont l’art est perçu et interprété.

Ses premières œuvres, influencées par le symbolisme et le post-impressionnisme, laissent progressivement place à une exploration plus radicale des formes et des perspectives, aboutissant à la naissance du cubisme, un mouvement artistique dont il est aujourd’hui – à tort – considéré comme le seul représentant sur la scène mondiale.

Le cubisme, avec ses représentations décomposées et fragmentées de la réalité, bouleverse les codes visuels traditionnels. Pablo Picasso s’attaque à l’idée même de l’illusionnisme en peinture, préférant montrer les multiples facettes d’un objet ou d’une figure en une seule image, créant ainsi une réalité plus complexe et dynamique.

Ce mouvement, qui conjugue destruction et déconstruction, devient le fondement de son œuvre, où la figure humaine et les objets sont réinterprétés à travers des prismes multiples, symbolisant la diversité des perceptions humaines.

Ce processus de déconstruction ne se limite pas aux œuvres de Picasso ; il infiltre également sa vie personnelle, souvent de manière troublante. Ses relations, marquées par la manipulation et l’exploitation émotionnelle de ses proches, ainsi que sa vision parfois égocentrique du rôle de l’artiste, font de lui une figure aussi controversée qu’admirée. Si ses qualités créatives sont indéniable, il est tout aussi important de reconnaître les aspects plus sombres de sa personnalité, où l’arrogance et le mépris pour les autres se manifestent fréquemment.

Les créateurs ont-ils le droit d’engloutir et de désespérer tous ceux qui les approchent ?

Marina Picasso, Grand-père ; Folio Gallimard, 2003.

L’homme derrière l’artiste ne suscite pas seulement l’admiration ; il est aussi l’objet de critiques sévères, à la mesure de ses excès. En explorant ces aspects, nous découvrirons comment les contradictions de Pablo Picasso – entre talent créatif et comportement destructeur – contribuent à la complexité de son héritage.

L’éveil de l’homme

Pablo Picasso, derrière l’éclat du « génie créateur », est un homme dont la vie est marquée par des traumatismes profonds et des contradictions intenses. Dès son enfance, il est confronté à des événements qui semblent avoir profondément influencé son rapport au monde et aux femmes.

À l’âge de 14 ans, il perd sa jeune sœur Conchita, décédée de la diphtérie, un drame qui le marque durablement. Peu avant, il avait assisté à la naissance de sa sœur Lola, une expérience qui, selon certains biographes, aurait laissé en lui des impressions ambiguës et troublantes. Ces événements traumatiques nourrissent peut-être le rapport complexe et souvent toxique qu’il entretient avec les femmes tout au long de sa vie.

En grandissant, Pablo Picasso développe un comportement ambivalent, voire destructeur, vis-à-vis des femmes. C’est Julie Beauzac qui en parle le mieux dans son Podcast « Vénus s’épilait-elle la chatte ? » (disponible sur toutes les plateformes). Dans son épisode « Picasso, séparer l’homme de l’artiste », elle explique très justement :

Cette idée de destruction, elle est centrale dans son travail. Il se trouve qu’il était aussi excessivement misogyne, il disait « pour moi il y a deux types de femmes, les déesses et les paillassons », et c’est vraiment dans la destruction des femmes qu’il s’est « spécialisé ». C’est assez effarant de voir dans son travail le nombre de femmes qui sont complètement démembrées ou disloquées, et ça va largement au-delà d’une recherche qui serait purement esthétique. C’était quelqu’un de particulièrement violent avec toutes les femmes qu’il a fréquentées, et les détruire sur la toile c’était rarement anodin.

Au fil du temps, Picasso s’impose progressivement dans le monde de l’art, jusqu’à être reconnu comme un génie. Il est donc admiré par des figures influentes telles que Guillaume Apollinaire, Paul Éluard (qui lui a même prêté sa femme), et Max Jacob. Cette admiration masculine contribue à légitimer son œuvre et à lui conférer ce statut tant convoité de génie.

En réalité, Picasso est un homme admiré par d’autres hommes, ce qui créé ainsi une « sociabilité masculine très puissante » (Julie Beauzac), un véritable boys club où tout semble permis. Pablo Picasso aime être adulé, entouré de fidèles admirateurs et de serviteurs, mais il n’a pas de véritables amis. Chaque personne qui gravite autour de lui doit lui apporter quelque chose. Chacun a un rôle à jouer. Quant aux femmes, elles sont reléguées au statut de « muses ». Elles nourrissent et inspirent son travail, tout en subissant sa toxicité.

Ses relations « amoureuses » – si tant est que l’on puisse parler d’amour – sont marquées par la domination, la manipulation, et parfois l’abus émotionnel. Au début de sa carrière, il vivait avec Fernande Olivier, un modèle apprécié d’autres peintres et sculpteurs. Jaloux, Picasso lui interdit de continuer son métier et la séquestrait en son absence, exigeant qu’elle l’attende au lit.

Plus tard, il épouse la ballerine Olga Khokhlova, qui abandonne également sa carrière pour se consacrer entièrement à la maternité. Elle endure les infidélités de Picasso ainsi que son ambivalence émotionnelle, ce qui la plonge dans une profonde détresse psychologique.

Pendant qu’il est avec Olga, il rencontre Marie-Thérèse Walter, qu’il « repère dans la rue ». Elle a 17 ans, lui en a 45. Leur relation est souvent présentée comme une simple liaison, Marie-Thérèse étant qualifiée de « jeune amante et muse » par la revue en ligne des Beaux Arts.

Cependant, il faut rappeler les faits : « Un été il est parti en vacances avec sa femme et son fils, qui est encore un enfant, et il s’est arrangé pour inscrire Marie-Thérèse Walter qui avait 18 ans à une colonie de vacances juste à côté » (Julie Beauzac cite le livre d’Arianna Huffington ; Picasso : créateur et destructeur, p. 202).

Pablo Picasso rendait visite en cachette à Marie-Thérèse Walter dans une colonie de vacance. Et on ose toujours appeler cela une liaison ?

Marie-Thérèse dit une phrase terrible, j’ai entendu dans une interview radiophonique donc je l’ai citée intégralement : « quand Picasso arrivait, d’abord il me violait, d’abord il viole la femme puis après on travaille ». Ce « on travaille » est extraordinaire, elle reste gisante sur le lit et il la peint. La phrase c’est « d’abord il viole la femme, après on travaille ».

Sophie Chauveau, Picasso, séparer l’homme de l’artiste.

Entrer dans les détails des relations de Pablo Picasso serait une tâche trop longue, car l’objectif ici est de fournir un aperçu global de la situation.

Pour approfondir le sujet, nous vous encourageons vivement à écouter le podcast de Julie Beauzac et à lire les ouvrages qu’elle y cite.

Sophie Chauveau et Arianna Huffington, par exemple, mentionnent les « liaisons » de Picasso avec des jeunes filles mineures. Les récits de ses relations révèlent un homme qui, malgré son talent, semble incapable d’aimer sans détruire.

Françoise Gilot et Pablo Picasso, octobre 1952 | Domaine public.
Françoise Gilot et Pablo Picasso, octobre 1952 | Domaine public.

Françoise Gilot, l’une des rares femmes à s’être éloignée de lui de son propre chef, dépeint un homme tyrannique, pour qui l’art prévaut sur tout, y compris sur les sentiments des autres.

Dans ses mémoires, elle décrit un Pablo Picasso souvent cruel, obsédé par le contrôle et la domination, tant dans son art que dans ses relations personnelles.

Il ne pouvait pas supporter l’idée que quiconque avait partagé sa vie pût lui survivre. Je me rappelais de ce qu’il avait dit un jour : « Chaque fois que je change de femme, je devrais brûler la précédente. Comme cela, j’en serais débarrassé. Elles ne seraient pas toutes là à compliquer ma vie. Et puis, cela me redonnerait peut-être la jeunesse. On tue la femme, et on efface le passé qu’elle représente ».

Françoise Gilot à propos de Pablo Picasso, Une vie avec Picasso, p. 349

Au-delà de ses relations personnelles, Pablo Picasso est aussi une figure controversée sur le plan politique. Bien qu’il ait adhéré au Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, son engagement semble parfois superficiel, davantage motivé par le désir de s’aligner sur une idéologie en vogue que par de réelles convictions.

Son œuvre « Guernica », bien que symbole puissant de la dénonciation de la guerre, est aussi critiquée pour sa récupération politique par un artiste qui ne s’est jamais véritablement engagé dans les combats sociaux ou humanitaires.

Ainsi, l’éveil de l’homme derrière l’artiste révèle une personnalité complexe, marquée par des zones d’ombre profondes. Pablo Picasso est à la fois créateur et destructeur, un homme dont le talent artistique est indéniable, mais dont le comportement personnel est hautement problématique. Ce contraste pose une question troublante : jusqu’où peut-on séparer l’artiste de son art ?

L’héritage complexe de Pablo Picasso

Aujourd’hui encore, Pablo Picasso laisse un héritage qui traverse les générations. Il est souvent décrit comme ayant une « personnalité controversée » (RTBF), comme étant un « homme à femmes » (TV Magazine) ou encore comme quelqu’un qui « croquait ses femmes » (Expertisez Enchères). Certains le qualifient même d’ « homme qui aimait les femmes » (Le JDD), et le présentent comme oscillant « entre génie et zones d’ombre » (RTS). Pour couronner le tout, il est parfois célébré comme « le génie du mâle » (Libération).

Cependant, il est préoccupant de constater que Pablo Picasso est rarement décrit pour ce qu’il est véritablement : violent, et uniquement violent. Il n’est pas simplement controversé ou un homme à femmes ; il est violent, dominant, sexiste et misogyne.

Il semble difficile pour l’opinion publique et les médias de critiquer Pablo Picasso sans constamment rappeler son talent. Il est commun que l’art devienne excuse. Cette tendance persiste : on veut toujours souligner que même un homme ayant causé du tort a probablement accompli des choses remarquables.

Qu’il soit un grand artiste, un excellent acteur, un brillant réalisateur, un grand politicien ou un bon père de famille, ses qualités sont souvent mises en avant. Et lorsqu’il n’est rien de tout cela, il devient un monstre, un cas à part, un fou ou un sociopathe. Mais dans tous les cas, il n’est jamais simplement ce qu’il est vraiment : un homme, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, un homme blanc occidental, mais un homme profondément violent.

Certains pourraient arguer que « ce n’était pas la même époque, ce temps est révolu ». Certes, mais considérons l’esclavage. Bien que ce fût une autre époque, il est aujourd’hui unanimement condamné.

Pourquoi est-il alors si difficile de condamner la domination des hommes sur les femmes, les violences sexuelles, et les violences sexistes ? L’esclavage est rejeté car nous ne nous y identifions pas. La domination d’un homme sur un autre homme est perçue comme une violence inacceptable, une grave atteinte à la dignité humaine.

En revanche, les violences faites aux femmes sont souvent considérées différemment. On minimise leur gravité, comme si dominer une femme était finalement moins problématique.

« L’histoire de Picasso, c’est l’histoire d’un homme à qui on a tout laissé faire, précisément parce qu’il avait ce statut de génie. C’est quelqu’un qui toute sa vie, a écrasé et maltraité toutes les personnes qui étaient moins élevées que lui dans la grande hiérarchie hétéro-patriarcale ».

Julie Beauzac, Picasso, séparer l’homme de l’artiste.

En 2023, pour le cinquantenaire de sa mort (oui, on célèbre non seulement sa vie, mais aussi sa mort), pas moins de 42 expositions majeures ont été organisées à travers le monde. Et plus tôt, en 2019, l’Europe avait déjà accueilli 86 expositions consacrées à Pablo Picasso.

Il est donc clair que l’artiste est loin d’être « cancelled » ; ne nous leurrons pas. Mais comment peut-on réellement séparer l’homme de l’artiste, alors que c’est justement l’homme qui façonne l’artiste ?

Il disait : « Quand je mourrai, ce sera un naufrage. Quand un grand navire sombre, bien des gens alentour sont aspirés par le tourbillon, ce sera pire que ce qu’on imagine. »

Julie Beauzac cite Arianna Huffington dans Picasso, séparer l’homme de l’artiste.

Quelques liens et sources utiles

Vénus s’épilait-elle la chatte ?, Picasso, séparer l’homme de l’artiste,

Françoise Gilot, Carlton Lake, Vivre avec Picasso, Calmann-Lévy, 1965.

Arianna Huffington, Picasso, créateur et destructeur, Le Livre de Poche, 1988.

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