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Une mappemonde français à l’intention du Roi

La France avec son empire colonial participe activement à la cartographie du monde, c'est notamment le cas avec ce planisphère français.
Mappemonde a l’usage du Roy a été publié en 1720 à Paris. Elle a été réalisée par Guillaume Delisle à l’intention de Roi, Louis XV. L’œuvre mesure 44 centimètres sur 68 centimètres. Un exemplaire est conservé à la BnF - Guillaume Delisle | Domaine public
Mappemonde a l’usage du Roy a été publié en 1720 à Paris. Elle a été réalisée par Guillaume Delisle à l’intention de Roi, Louis XV. L’œuvre mesure 44 centimètres sur 68 centimètres. Un exemplaire est conservé à la BnF – Guillaume Delisle | Domaine public

La cartographie une discipline scientifique

Cette réalisation se veut être précise et sûre

La Mappemonde a l’usage du Roy est le quatrième planisphère que nous allons étudier dans cette série d’articles. Il a été réalisé par Guillaume Delisle et publié en 1720 à Paris. Il devient géographe et cartographe, après avoir été élève de Cassini. Guillaume Delisle est un éminent érudit français.

Dès 1700, il réalise et publie ses premières cartes ; la Carte du monde et la Carte des continents. Il enseigne la géographie à Louis XV et reçoit alors le titre de géographe royal en 1718. Dès lors, il réalise des missions au nom de la couronne, comme la cartographie de la Mer Caspienne. Il est à l’origine de nombreuses « premières » cartographies, comme la Louisiane, ou le cours du Mississippi en Amérique du Nord.

Son travail se détache également des standards de l’époque, surtout néerlandais, qui réalisaient des cartes très décoratives. Il réduit au maximum ces détails pour se concentrer sur la cartographie. Il incorpore au maximum les informations les plus récentes et les plus sûres, c’est pour cela que dans ses cartes, certaines parties sont fragmentées. Il a également apporté de nouveaux standards dans le calcul des latitudes et des longitudes, les rendant bien plus précises. Ces cartes ont été très vite utilisées par des cartographes ou des entreprises de cartographies qui étaient contemporains à Guillaume Delisle, comme Châtelain ou encore Covens & Mortier.

Un royaume en retard sur le plan maritime

La France n’a pas une puissance maritime comparable aux puissances ibériques, hollandaises ou anglaises. Au XVIe siècle, la marine est essentiellement commerciale et les trajets se limitent au cabotage. La France se concentre sur l’Amérique du Nord, territoire relativement oublié par les Portugais et les espagnols. Malgré le traité de Tordesillas, qui partage le monde entre les Espagnols et les Portugais, des expéditions sont menées par d’autres puissances européennes. Ainsi, Verrazano, ou encore Jacques Cartier explorent l’Amérique du Nord au compte de la France entre 1523 et 1534.

Cependant, la France n’arrive pas à s’implanter pendant le XVIe siècle. En cause, les guerres de religions qui explosent au sein du pays, mais également le manque de moyens envoyés aux colonies françaises qui tentent de s’implanter sur le Nouveau Monde. Il faut attendre 1624 et Richelieu comme principal ministre du roi pour que la France se lance véritablement dans la création d’une puissante flotte maritime. Malgré cela, une fois de plus, les moyens sont limités et très vite les espoirs de domination française sur les océans s’écroulent.

Lorsque Mazarin succède à Richelieu, la flotte française est de nouveau réduite. C’est seulement lorsque Louis XIV prend possession du pouvoir et nomme Colbert comme principal ministre que la marine est revalorisée. À partir de 1683, la marine française se compose de 250 bâtiments, permettant d’obtenir une certaine forme d’hégémonie.

La concurrence européenne, surtout anglaise et hollandaise, limitent les espoirs de la France. Elle n’a pas de structures solides dans les territoires qu’elle souhaite exploiter contrairement aux autres puissances européennes. La fin du XVIIe siècle marque le déclin des Hollandais. En cause, la guerre provoquée par Louis XIV contre les Provinces-Unies. À la fin du siècle, la France possède la Nouvelle-France – la Floride, la Louisiane et une partie du Canada (le long du fleuve Saint Laurent) – les Antilles et de nombreuses possessions dans l’Océan et le sous-continent indien.

Les mappemondes deviennent histoire de sciences

Sur cette mappemonde, nous retrouvons les armoiries de la monarchie française, avec la couronne et les fleurs de lys. L’armoirie de la France est entourée de quatre femmes, qui pourraient, comme pour la carte précédente, faire référence aux quatre éléments, la terre, le feu, l’air et la terre – néanmoins, ce n’est qu’une hypothèse.

Le nom de la carte, de l’auteur et le destinataire sont indiqués sur le ruban supérieur de la mappemonde, et une cartouche richement décorée entre les deux hémisphères donne des indications sur l’auteur et le lieu de réalisation de la carte. Le globe est représenté comme la carte précédente (Nova Orbis Tabula in Lucem Edita), en double hémisphère. Les continents sont représentés avec des couleurs différentes, l’Amérique a ses frontières représentées en jaune, l’Europe en bleu pâle, l’Afrique en rouge, l’Asie en jaune et l’Océanie en vert.

Comme la carte précédente, il n’y a pas de représentations ésotériques. La cartographie semble davantage devenir une science, avec seule la représentation de territoires véritablement connus. En ce sens, l’Australie n’est que partiellement représentée et l’Amérique du Nord n’a pas de délimitation au Nord-Ouest. Il y a plus d’îles représentées sur cette carte ainsi que l’indication d’un territoire austral. En effet, il est clair pour les cartographes de l’époque – depuis déjà quelques siècles – qu’il y a un territoire au Sud du globe pour faire opposition aux terres qui se trouvent au Nord, mais il n’a pas été réellement découvert avant 1819.

Le cartographe utilise la projection de Mercator. Il représente les méridiens et les parallèles, avec les plus connus comme le Tropique du Cancer, le Tropique du Capricorne et le Cercle Polaire (qui sont indiqués avec un trait plus gras). L’Équateur est représenté avec un trait blanc et noir.

Le cartographe Guillaume Delisle représente sur la carte différentes expéditions, avec par exemple la route de Magellan en 1519, ou la route d’Abel Tasman en 1642. En somme, la carte représente les voyages de Magellan (1520), Le Maire (1615), Saint-Louis (1708), Halley (1700), Mendana (1595), St. Antoine, (1710), Tasman (1642) et Quiroz (1605). Il y a également la date de découverte de certaines îles, comme l’Isle de Saxembourg vue en 1670, mais aussi Glaces vues par Mr Hailley. Ces représentations permettent de suivre l’évolution des découvertes à travers le monde.

Ainsi, la mappemonde devient un support cartographique pour la navigation, mais également historique, permettant à tous les lecteurs de suivre les grandes expéditions en connaissant les chefs d’expéditions, les dates, etc. Cette carte permet de nous rendre compte des derniers territoires inconnus des Européens, comme l’Australie, l’Amérique septentrionale et les deux pôles.

Mappemonde a l’usage du Roy a été publié en 1720 à Paris. Elle a été réalisée par Guillaume Delisle à l’intention de Roi, Louis XV. L’œuvre mesure 44 centimètres sur 68 centimètres. Un exemplaire est conservé à la BnF. - études des planisphères
Mappemonde a l’usage du Roy a été publié en 1720 à Paris. Elle a été réalisée par Guillaume Delisle à l’intention de Roi, Louis XV. L’œuvre mesure 44 centimètres sur 68 centimètres. Un exemplaire est conservé à la BnF. – études des planisphères [version haute qualité du planisphère].

Quelques liens et sources pour faire l’histoire des planisphères à l’époque moderne

Auteur inconnu, Carta da navigar per le Isole nouam tr [ovate] in le parte de l’India: dono Alberto Cantino al S. Duca Hercole., Bibliothèque Estence de Modène, Italie, 1502

GerardusMercator, Nova et Aucta Orbis Terrae Descriptio ad Usum Navigantium Emendate Accommodata, Duisburg, 1569, BnF

Frederik de Wit, Nova Orbis Tabula in Lucem Edita, Amsterdam, entre 1660 et 1680, Bibliothèque royale de Belgique

Guillaume Delisle, Mappemonde a l’usage du Roy, Paris, 1720, BnF

PELLETIER, Monique. Science et cartographie au Siècle des lumières In : Cartographie de la France et du monde de la Renaissance au Siècle des lumières. Paris : Éditions de la Bibliothèque nationale de France, 2002

KABAKOVA Galina, « Baba Yaga dans les louboks », Revue Sciences/Lettres, 2016

TOLIAS Georges, « Représentations de l’espace, fin du Moyen Âge – époque moderne », Annuaire de l’École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 2017

DE CRAECKER-DUSSART Christiane, « La cartographie médiévale : d’importantes mises au point », Le Moyen Age, 2010/1 (Tome CXVI), p. 165-175

MOLHO Anthony, RAMADA Curto Diogo, « Les réseaux marchands à l’époque moderne », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003/3 (58e année), p. 569-579

CHASSAGNETTE Axelle, « Les usages de la cartographie au début de l’époque moderne (XVe-XVIIe siècle) / Der Gebrauch der Karten am Anfang der Frühen Neuzeit (15.-17 Jahrhundert) », Revue de l’IFHA, 2009

BnF – Les cartes marines. http://expositions.bnf.fr/marine/arret/10-32.htm

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